Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Avec “Paris Noir”, le Centre Pompidou célèbre un demi-siècle de création afrodescendante. Une exposition magistrale qui retrace les circulations artistiques et les luttes anticoloniales dans le Paris du XXe siècle.

Une effervescence artistique au cœur de Paris

Dès que l’on franchit les portes du Centre Pompidou, un frisson d’histoire et de modernité nous saisit. L’exposition « Paris Noir : Circulations artistiques et luttes anticoloniales (1950-2000)«  est un moment rare, un hommage nécessaire à des générations d’artistes afro-descendants dont les œuvres, souvent invisibilisées, ont pourtant marqué de leur empreinte indélébile l’histoire de l’art en France et bien au-delà.

Pensée comme une cartographie vivante des dialogues artistiques transatlantiques, Paris Noir dévoile plus de 150 artistes, des pionniers du modernisme panafricain aux avant-gardes noires américaines et caribéennes, en passant par les figures postcoloniales des années 90. Une plongée saisissante dans un Paris où l’art noir n’a jamais cessé d’être un acte de résistance, de mémoire et de réinvention.

Quand Paris était la capitale de l’Art Noir

Dans l’imaginaire collectif, Paris est cette ville-lumière, berceau des avant-gardes et des révolutions artistiques. Mais derrière la Tour Eiffel et les galeries du Marais, il existe une autre histoire, celle d’une ville qui fut aussi un refuge intellectuel et artistique pour des générations d’artistes noirs venus d’Afrique, des Caraïbes et des États-Unis.

L’après-guerre marque l’arrivée d’intellectuels et créateurs comme James Baldwin, Beauford Delaney, Wifredo Lam ou encore le peintre sud-africain Gérard Sekoto. Paris devient le centre névralgique d’un art noir en quête d’émancipation, où se croisent influences surréalistes, expressionnistes et avant-gardistes.

L’exposition Paris Noir met en lumière cette effervescence, en réhabilitant des trajectoires méconnues mais essentielles. Comment ne pas être saisi par les portraits vibrants de Delaney, immortalisant Baldwin avec une intensité quasi mystique ? Ou par les sculptures de Harold Cousins, qui transforment l’acier en une ode au mouvement et à la musique jazz ?

L’art comme arme de lutte anticoloniale

Paris Noir ne se contente pas d’être une rétrospective artistique : c’est un manifeste visuel, un rappel que l’art a toujours été un vecteur de luttes et de revendications.

Dans les années 50 et 60, les artistes noirs présents à Paris sont les témoins directs des luttes anticoloniales qui secouent l’Afrique et les Caraïbes. L’exposition revient sur ces liens entre art et engagement, en présentant des œuvres qui dialoguent avec les luttes politiques et sociales de leur époque.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
José Castillo, (1955, République dominicaine – 2018, République française), Los Cimarrones, 1994

José Castillo, avec son tableau « Los Cimarrones », rend hommage aux esclaves marrons qui ont fui les plantations pour bâtir des communautés libres. Elodie Barthélémy, dans « Hommage aux ancêtres marrons », matérialise la mémoire résistante par des sculptures-textiles poignantes.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Elodie Barthélémy, (1965, Colombie), Hommage aux ancêtres marrons, 1994

Le parcours explore également le rôle du jazz et de la littérature comme prolongements de ces combats, avec des figures comme Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Frantz Fanon, dont les pensées ont irrigué ces expressions artistiques.

Paris, vecteur de rencontres et de transmissions

L’une des grandes forces de cette exposition est sa capacité à cartographier les circulations culturelles et esthétiques entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Chanel Diagne, (1953, République française), Le Garçon de Venise, 1976

Dès les années 70, une nouvelle génération d’artistes caribéens et africains arrive à Paris, cherchant à repenser leur identité dans un monde postcolonial. On retrouve cet héritage dans les œuvres de Diagne Chanel, qui fusionne influences européennes et esthétiques sénégalaises dans « Le Garçon de Venise », ou encore dans la démarche de Skunder Boghossian, pionnier de l’abstraction éthiopienne.

L’exposition met également en lumière les espaces qui ont permis ces échanges, comme les galeries engagées, les festivals panafricains et les cercles littéraires, où se sont écrites certaines des pages les plus audacieuses de l’histoire de l’art noir.

Pourquoi cette exposition est essentielle aujourd’hui

Dans un contexte où les débats sur la reconnaissance de l’art africain et afro-descendant sont plus vifs que jamais, Paris Noir arrive à point nommé. Cette exposition interroge la place des artistes noirs dans les musées, les institutions et le marché de l’art.

Elle pose aussi une question essentielle : comment intégrer ces récits dans une histoire de l’art qui a trop longtemps été écrite sans eux ?

Avec cette rétrospective, le Centre Pompidou offre enfin une visibilité méritée à ces créateurs qui, à travers les époques, ont bâti des ponts entre les continents et redéfini les canons artistiques.

Un rendez-vous incontournable

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Ouverte du 19 mars au 30 juin 2025, Paris Noir est plus qu’une exposition : c’est un événement historique, une invitation à redécouvrir une scène artistique trop souvent occultée.

Si vous êtes passionné d’histoire, d’art et de luttes, si vous voulez voir Paris sous un prisme panafricain et engagé, ne manquez pas cette immersion dans un demi-siècle de création, de résistance et de beauté.

L’art noir a toujours été là. Il était juste temps de le voir.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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