Amanirenas et les Candaces : les reines noires qui ont tenu tête à Rome

Dans les marges de l’histoire officielle telle qu’on nous l’a longtemps enseignée, des figures majeures sommeillent, invisibilisées. Parmi elles, Amanirenas, reine du royaume de Koush, se dresse comme un symbole de puissance, de souveraineté et de résistance face à l’impérialisme romain. Son nom résonne au sein d’une lignée royale hors du commun : les Candaces, reines-mères ou reines régnantes de la Nubie antique. Ces femmes d’influence ont dirigé, combattu et négocié au même titre que leurs homologues masculins. Et pourtant, combien connaissent leur nom ?

Les Candaces : quand les femmes gouvernaient un royaume

Le mot « Candace » n’est pas un prénom, mais un titre. Il désigne, dans la tradition méroïtique, la souveraine ou la reine-mère du royaume de Koush, situé au sud de l’Égypte actuelle, dans l’actuel Soudan. Ce royaume africain puissant a connu son apogée entre le IIIe siècle avant notre ère et le IVe siècle après, avec pour capitale Méroé.

Contrairement aux idées reçues, le pouvoir n’était pas exclusivement masculin dans cette région d’Afrique ancienne. Bien au contraire. Les Candaces avaient la capacité de régner seules ou de co-régner avec leurs fils ou époux. Elles commandaient les armées, administraient le territoire et prenaient part aux décisions diplomatiques. Certaines d’entre elles ont même mené la guerre avec une férocité qui a marqué les esprits, y compris ceux des historiens gréco-romains.

Amanirenas : la reine borgne qui défia l’Empire romain

Parmi toutes ces Candaces, Amanirenas reste la plus célèbre — et pour cause. Reine de Koush entre 40 et 10 avant J.-C., elle est connue pour avoir tenu tête à un empire parmi les plus redoutables de l’Histoire : Rome.

Amanirenas et les Candaces : les reines noires qui ont tenu tête à Rome
 Image credit HappySloth via Shutterstock

Le contexte est tendu. Après la mort de Cléopâtre et la conquête de l’Égypte par Auguste, les Romains installent leur domination jusqu’au sud de la vallée du Nil. Mais ils se heurtent à un obstacle inattendu : la résistance de la Nubie, dirigée à l’époque par Amanirenas.

Alors que les Romains pensent étendre tranquillement leur pouvoir, Amanirenas lance une offensive audacieuse. Profitant d’une période de vide politique, elle prend la tête de son armée et envahit plusieurs territoires sous domination romaine, dont Assouan et Philae. Son fils, le prince Akinidad, l’accompagne dans cette campagne qui humilie les troupes impériales.

Une reine avec un œil en moins, mais la vision claire

Les sources grecques, notamment l’historien Strabon, décrivent Amanirenas comme une femme de grande taille, borgne, mais farouchement déterminée. Elle aurait perdu un œil au combat — mais ce handicap n’a en rien entravé sa vision stratégique.

L’un de ses actes les plus symboliques : après avoir saisi une statue de l’empereur Auguste, elle en fait enterrer la tête sous l’entrée d’un temple afin que les fidèles la piétinent à chaque passage. Un geste de défi qui résonne encore aujourd’hui comme un acte politique fort.

Une paix signée… à ses conditions

Face à cette attaque inattendue, Rome réagit avec violence. Le préfet Gaius Petronius mène la contre-offensive, saccage Napata, ancienne capitale de Koush, et tente d’imposer sa loi. Mais Amanirenas ne se rend pas. Malgré la destruction, elle continue la lutte. Finalement, en 21-20 av. J.-C., un traité de paix est négocié.

Carte du royaume de Koush

Et c’est là que l’histoire prend une tournure inattendue : les conditions du traité sont largement favorables à Koush. Le royaume est exempté de tout tribut, la frontière est redessinée au sud de Syène, et les Koushites récupèrent une grande partie des territoires disputés. Une victoire diplomatique autant que militaire.

Ce traité tiendra pendant près de trois siècles. Une prouesse dans un monde où les empires s’effondrent aussi vite qu’ils émergent.

Méroé : un royaume brillant, trop longtemps ignoré

L’histoire d’Amanirenas ne peut être dissociée de celle du royaume de Koush et de sa capitale, Méroé. Cette cité, surnommée “l’Athènes d’Afrique” par certains archéologues, regorgeait de palais, de pyramides, de temples et de bibliothèques. Les Koushites maîtrisaient le fer, avaient un système d’écriture propre (le méroïtique), et entretenaient des relations commerciales avec l’Afrique de l’Est, l’Arabie, l’Inde et même l’Europe.

La prospérité de ce royaume, souvent réduit à une “zone frontière” dans les récits occidentaux, témoigne de la richesse des civilisations africaines anciennes. Et les Candaces, par leur gouvernance éclairée, ont contribué à cette grandeur.

Pourquoi ces reines ont été effacées de l’Histoire ?

L’histoire d’Amanirenas et des Candaces pose une question essentielle : pourquoi ces figures puissantes, noires et féminines, ont-elles été écartées des récits dominants ?

La réponse est multiple. D’abord, l’égyptomanie européenne a largement éclipsé les autres civilisations africaines. Ensuite, l’image d’une Afrique précoloniale puissante et organisée dérange les récits colonialistes construits pour justifier la domination européenne. Enfin, la combinaison du genre et de la race a joué : une femme noire à la tête d’un empire prospère, qui bat Rome ? Inconcevable pour bien des historiens d’hier.

Un héritage à transmettre

Aujourd’hui, Amanirenas revient dans les récits. Des artistes, des écrivains, des historien·nes afrodescendant·es s’emparent de son histoire pour réparer l’oubli. Des bandes dessinées comme Kandaka de Biyong Djehuty, des romans comme Malkia : Les deux reines, des documentaires, des expositions mettent en avant ces reines méconnues.

Redonner sa juste place à Amanirenas, c’est aussi honorer la mémoire d’un continent dont les voix ont été trop souvent tues. C’est rappeler que les femmes africaines n’ont pas seulement été victimes de l’Histoire : elles en ont été les actrices, les bâtisseuses, les guerrières.

Loin des clichés sur l’Afrique « sans histoire », Amanirenas et les Candaces incarnent un passé africain glorieux, féminin, combatif, à l’instar d’une Reine Nzinga ou d’une Kimpa Vita. Leur existence, attestée et documentée, impose une relecture de l’histoire mondiale, où les femmes noires ne sont plus en marge, mais au centre. Il est temps de graver leurs noms dans la mémoire collective. Comme une revanche sur le silence.

Jérémy Musoki
Jérémy Musokihttps://malkiasuperhero.com/
Spécialisé dans la pop-culture, le sport (surtout le basketball). Auteur des romans Malkia !

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