Dans une Amérique qui aime à se penser post-raciale, le procès glaçant de Jeanne Whitefeather et Donald Lantz, condamnés pour avoir réduit leurs enfants noirs adoptés en esclavage, réactive les fantômes d’un passé qu’on croyait révolu. Voici le récit juridique d’un cauchemar américain – froid, implacable, et terriblement contemporain.
« Faites entrer les coupables »

Ils sont arrivés, menottés, visages figés, dans la salle d’audience du tribunal de Charleston, Virginie-Occidentale. Jeanne Kay Whitefeather, 63 ans. Donald Lantz, 61. Un couple blanc, anodin au premier regard. Des visages de retraités sans histoire. Mais en réalité, les visages d’un enfer domestique d’une violence inouïe, qui a laissé cinq enfants noirs brisés, et un pays une nouvelle fois confronté à ses démons.
Le 22 mars 2025, le verdict est tombé comme une sentence biblique : 215 ans de prison pour elle, 160 pour lui. Aucun espoir de libération. Le juge a parlé. Mais avant la justice, il y a eu les faits. Et les faits, eux, glacent le sang.
Un couple de monstres ordinaires

Nous sommes en 2018. Jeanne et Donald vivent alors dans l’État de Washington. Ils adoptent cinq enfants afro-américains, frères et sœurs, arrachés à un système de protection de l’enfance défaillant, où l’argent prime souvent sur l’éthique. L’affaire n’a rien d’exceptionnel – en apparence.
Mais rapidement, les voisins s’interrogent. Les enfants apparaissent rarement. Pas d’école. Pas de jeux. Pas de rires. Juste des silhouettes épuisées, affairées dans les champs.
Quand la famille déménage en Virginie-Occidentale en mai 2023, le cauchemar s’approfondit. Dans une zone rurale isolée de Sissonville, sans regard extérieur, Jeanne et Donald intensifient leur emprise : les enfants sont réduits à l’état d’outils agricoles. Le mot est pesé : esclaves.
Un système d’adoption comme façade
Entre 2019 et 2023, le couple perçoit près de 300 000 dollars de subventions pour l’accueil des enfants, versés par les autorités fédérales et locales. Ce qui aurait dû garantir leur sécurité a, au contraire, financé leur enfermement.
La juge Maryclaire Akers ne mâche pas ses mots lors du verdict :
« Vous avez adopté ces enfants non pas par amour, mais pour les exploiter. Parce qu’ils étaient noirs. Vous les avez achetés pour les réduire en esclavage. »
Les faits présentés au procès corroborent ce constat glaçant : les enfants étaient désignés dans les SMS échangés entre les deux adultes comme “des porcs” ou “des singes”. Ils étaient battus, affamés, et soumis à des punitions dégradantes. Des insultes racistes fusaient au quotidien. Ils n’avaient pas le droit d’entrer dans la maison principale. Ils vivaient dans un hangar.
L’arrestation : une soirée d’octobre 2023

C’est un voisin inquiet qui alerte les services sociaux. Il a vu Donald enfermer deux adolescents dans une remise métallique et partir, comme si de rien n’était. Les secours arrivent. Ils découvrent l’impensable.
Deux garçons de 14 et 16 ans, nus, affamés, allongés à même le sol en béton, sans eau ni toilettes. Une fillette de 9 ans est retrouvée enfermée dans un grenier, recroquevillée, les bras couverts de marques.
La travailleuse sociale, choquée, appelle immédiatement les forces de l’ordre. Le couple est arrêté le 2 octobre 2023. Une enquête est lancée. L’Amérique se réveille face à l’indicible.
« Ils nous appelaient des animaux »

Le procès dure plusieurs mois. Les témoignages sont insoutenables.
L’aînée des enfants, aujourd’hui majeure, prend la parole :
« Ils me pulvérisaient du spray au poivre quand je ne me réveillais pas assez tôt. Ils m’appelaient “la bête”. Ils me disaient que je ne valais rien. Qu’on nous avait sortis du ghetto pour travailler, pas pour vivre. »
Un autre enfant dira simplement :
« Je croyais que c’était ça, une famille. »
Les avocats de la défense évoquent un « contexte compliqué », des « troubles psychologiques » chez leurs clients. La juge Akers balaie la ligne de défense :
« Ce tribunal ne vous absoudra pas. Ce que vous avez fait, c’est de l’esclavage. Rien d’autre. Et je ne laisserai pas cette réalité être édulcorée. »
Un racisme structurel en plein jour
Ce qui glace autant que l’affaire elle-même, c’est la structure qui l’a rendue possible.
Pourquoi ces enfants ont-ils été placés chez Jeanne et Donald ? Pourquoi aucun contrôle sérieux n’a été effectué pendant cinq ans ? Pourquoi personne n’a vu les signaux d’alarme ?
La réponse tient dans un système américain d’adoption souvent motivé par des intérêts financiers, où les enfants noirs sont les plus nombreux à être placés, les moins souvent adoptés, et donc les plus vulnérables.
La juge l’a dit :
« Ces enfants ont été choisis pour leur couleur de peau. »
Le précédent historique : l’écho de l’esclavage
Ce procès n’est pas un simple cas de maltraitance aggravée. Il s’inscrit dans une longue histoire.
Depuis les plantations de coton jusqu’aux orphelinats du XXIe siècle, le corps noir a toujours été perçu par une partie de la société blanche comme une force à exploiter. L’esclavage n’a pas disparu : il a muté. Il a enfilé le masque du silence rural, celui des hangars et des SMS racistes.
Ce que Jeanne et Donald ont infligé à leurs enfants adoptés, c’est une reproduction quasi littérale de l’esclavage d’Ancien Régime. Pas de salaire, pas de repos, pas de droits. Seulement l’exploitation, la souffrance, la déshumanisation.
Un verdict exemplaire, une société à interroger

Le verdict est historique. Jamais un couple adoptif n’avait été condamné à une telle peine pour des faits de ce type. Mais la vraie question demeure : combien d’autres enfants vivent aujourd’hui dans des conditions similaires, hors du radar ?
L’affaire Whitefeather-Lantz agit comme un révélateur. Un signal d’alarme. La société américaine ne peut plus détourner les yeux. Car ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement le sort de cinq enfants. C’est la santé morale d’une nation entière.
Les ombres ne s’éteignent pas seules
La juge Akers, en prononçant sa sentence, a conclu par ces mots :
« Que Dieu ait pitié de vos âmes, car ce tribunal ne le fera pas. »
Il ne s’agit pas de vengeance. Il s’agit de justice. D’un pays qui regarde enfin en face ses fantômes, et qui refuse de les laisser hanter une nouvelle génération.
Mais l’Amérique tiendra-t-elle cette promesse ?
Ou bien l’affaire Whitefeather-Lantz ne sera-t-elle qu’un énième épisode de son éternel procès avec elle-même ?
Notes et références
- BFMTV – Un couple américain condamné à 215 et 160 ans pour esclavage d’enfants noirs adoptés – https://www.bfmtv.com
- CNEWS – États-Unis : un couple condamné pour avoir réduit en esclavage ses enfants adoptés – https://www.cnews.fr
- Fondas Kreyol – Esclavage moderne en Virginie : l’Amérique face à son reflet – https://fondaskreyol.org
- Brut US – Enquête vidéo sur le procès Whitefeather-Lantz – https://www.brut.media
- Linfo.re – Deux Américains condamnés à plus de 200 ans de prison pour avoir fait travailler leurs enfants adoptés comme esclaves – https://www.linfo.re
- The Guardian – White couple sentenced to decades for enslaving Black adopted children (consulté via sources croisées)
- Human Rights Watch – The Foster Care-to-Prison Pipeline in the U.S. (rapport 2022)
- Department of Health and Human Services (HHS) – Annual Report on Adoption and Foster Care Statistics – USA 2023
- U.S. Department of Justice – Child Abuse and Neglect Statistics, Federal Prosecutions, 2024