Quand Missy Elliott s’inspirait (un peu trop) de Douala

En 2001, Missy Elliott cartonne avec Dog in Heat. Mais derrière ce titre culte se cache un plagiat d’un morceau camerounais de 1978, Douala by Night, signé Tim et Foty. Un scandale culturel qui illustre les enjeux profonds de la reconnaissance des artistes africains face à l’industrie musicale mondiale.

Makossa piraté à Hollywood

Miss E… So Addictive est le troisième album studio de Missy Elliott, sorti le 15 mai 2001

​En 2001, Missy Elliott, figure emblématique du hip-hop américain, sortait son troisième album studio, « Miss E… So Addictive« . Parmi les titres phares de cet opus figurait « Dog in Heat« , une collaboration avec Method Man et Redman. Ce morceau, salué pour son rythme envoûtant et sa production innovante, a contribué à renforcer la réputation de Missy Elliott et de son producteur de longue date, Timbaland, en tant que visionnaires de la musique urbaine.​

Cependant, derrière ce succès se cache une histoire méconnue qui traverse les continents et les décennies, reliant les États-Unis au Cameroun. « Dog in Heat » puise en effet une partie de son essence dans « Douala by Night« , un morceau du duo camerounais Tim et Foty, sorti en 1978. Cette connexion inattendue soulève des questions sur l’appropriation culturelle, les droits d’auteur et la reconnaissance des artistes africains sur la scène musicale internationale.​

Tim et Foty : pionniers de la musique camerounaise

Jean-Marie Tiam (Tim) et Théodore Epée (Foty)

Dans les années 1970, le Cameroun est le théâtre d’une effervescence musicale sans précédent. Parmi les artistes qui se distinguent, Jean-Marie Tiam (Tim) et Théodore Epée (Foty) forment un duo innovant qui fusionne les rythmes traditionnels camerounais avec des influences funk, disco et soul. Leur musique, caractérisée par des harmonies vocales distinctives et des arrangements sophistiqués, reflète l’urbanisation rapide et la modernité naissante des villes camerounaises.​

« Douala by Night« , l’un de leurs morceaux emblématiques, est une célébration de la vie nocturne de Douala, la capitale économique du Cameroun. Sorti en 1978, ce titre capture l’énergie vibrante de la ville et témoigne de la capacité du duo à transcender les frontières culturelles. Le morceau connaît un succès notable en Afrique centrale et de l’Ouest, consolidant la réputation de Tim et Foty comme figures majeures de la scène musicale africaine.​

L’ascension de Missy Elliott et Timbaland

Timbaland et Missy Elliot lors des MTV Video Music Awards 2006 – MTV.com Show au Radio City Music Hall à New York City, New York, États-Unis. (Photo prise par John Shearer/WireImage pour MTV.com)

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, Missy Elliott et Timbaland forment un partenariat créatif qui redéfinit le paysage du hip-hop et du R&B. Leur approche novatrice de la production musicale, mêlant des rythmes syncopés à des sonorités électroniques, leur vaut une reconnaissance mondiale. L’album « Miss E… So Addictive » illustre parfaitement cette alchimie, avec des titres qui repoussent les limites conventionnelles du genre.​

« Dog in Heat » se distingue par une ligne de basse accrocheuse et une ambiance hypnotique. Cependant, peu de fans savent que cette ligne de basse est directement inspirée de « Douala by Night » de Tim et Foty. Cette appropriation non créditée soulève des questions sur les pratiques de sampling et le respect des droits des artistes originaux.​

La découverte du plagiat et la quête de justice

En 2006, Jean-Marie Tiam, alias Tim, décide de réenregistrer « Douala by Night » avec une touche contemporaine. Lors de sessions d’enregistrement à Paris, il est surpris d’apprendre que son morceau est perçu comme une copie de « Dog in Heat » de Missy Elliott. Cette révélation le pousse à enquêter sur l’utilisation de sa composition.​

Tim contacte la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) en France pour faire valoir ses droits. Après une analyse approfondie, la SACEM confirme que « Dog in Heat » reprend 70% de la composition de « Douala by Night » sans autorisation ni crédit. Fort de cette validation, Tim engage une action en justice contre Missy Elliott et sa maison de disques.​

Les implications culturelles et éthiques

Cette affaire met en lumière les dynamiques complexes de l’industrie musicale mondiale. L’appropriation de musiques africaines par des artistes occidentaux sans reconnaissance adéquate est une problématique récurrente. Elle soulève des questions sur l’équité, le respect et la valorisation des contributions culturelles des artistes africains.​

Le cas de Tim et Foty rappelle d’autres incidents similaires, comme celui impliquant Manu Dibango et Michael Jackson concernant « Soul Makossa« . Ces situations illustrent la nécessité d’une vigilance accrue et d’une reconnaissance appropriée des sources d’inspiration, afin de promouvoir une collaboration respectueuse et équitable entre les cultures.​

L’histoire de « Douala by Night » et de « Dog in Heat » est emblématique des défis auxquels sont confrontés les artistes africains dans la protection de leurs œuvres. Elle souligne l’importance de mécanismes juridiques robustes pour assurer la reconnaissance et la rémunération équitable des créateurs, indépendamment de leur origine géographique.​

Cette affaire sert également de rappel aux artistes et producteurs du monde entier sur la nécessité de respecter les droits d’auteur et de promouvoir une appropriation culturelle éthique. En célébrant les richesses musicales de diverses cultures, il est essentiel de le faire avec intégrité, en honorant ceux qui en sont les véritables architectes.​

En fin de compte, la reconnaissance tardive de l’apport de Tim et Foty à un morceau à succès international met en lumière la richesse du patrimoine musical africain et la nécessité de le protéger et de le célébrer sur la scène mondiale.​

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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