Comment Idi Amin Dada, un simple soldat ougandais, est-il devenu l’un des dictateurs les plus sanguinaires du XXe siècle ? De son ascension militaire à sa paranoïa meurtrière, analyse d’un régime fondé sur la répression, le populisme et la brutalité.
Le 25 janvier 1971, un coup d’État militaire propulse Idi Amin Dada à la tête de l’Ouganda. L’homme, un soldat à l’ambition brute et à la violence incontrôlée, s’installe au pouvoir pour huit années d’un régime marqué par la répression, les purges ethniques et un isolement international croissant.
Mais comment un simple militaire analphabète est-il devenu l’un des dictateurs les plus sanguinaires du XXe siècle ? Quels mécanismes lui ont permis de régner par la peur et la propagande ? Voici le premier article d’une série de 6 qui explore comment Idi Amin Dada a manipulé, éliminé et terrorisé pour s’imposer comme le tyran incontesté de l’Ouganda.
1. L’ascension d’un soldat brutal : De la cuisine militaire au sommet du pouvoir

Idi Amin Dada n’était pas destiné à diriger un pays. Né vers 1925 à Koboko, dans l’actuel Ouganda, il grandit dans une famille modeste issue de l’ethnie Kakwa, minoritaire dans le pays. Peu éduqué, il quitte l’école tôt et s’oriente vers une carrière militaire, l’un des rares moyens pour un jeune homme pauvre de gravir les échelons sociaux à l’époque coloniale.
En 1946, alors âgé d’environ 21 ans, il s’engage dans les King’s African Rifles (KAR), une unité de l’armée coloniale britannique. Mais contrairement aux futurs officiers britanniques, Amin commence au bas de l’échelle, affecté aux tâches les plus ingrates : aide-cuisinier, blanchisseur, homme de corvée.
Cependant, les officiers britanniques remarquent sa force physique impressionnante – un colosse de 1m91 pour plus de 100 kg – et décident de lui donner une formation de soldat. Son ascension commence alors, non pas grâce à une formation académique ou une intelligence stratégique hors pair, mais par sa brutalité, sa loyauté inébranlable aux ordres et son absence totale d’hésitation à user de la violence extrême.
De la répression coloniale à la carrière militaire

Au sein des King’s African Rifles, Amin participe à plusieurs opérations militaires britanniques, notamment :
- La répression du soulèvement Mau Mau au Kenya (1952-1956) : Il est envoyé pour traquer, torturer et tuer les insurgés kényans, souvent avec des méthodes d’une extrême brutalité.
- Les opérations en Somalie contre les nationalistes somaliens cherchant à se libérer du joug colonial britannique.
Grâce à sa férocité, il grimpe rapidement les échelons militaires :
- 1953 : promu caporal, puis sergent
- 1958 : devient le premier sous-officier noir d’un régiment britannique
- 1961 : atteint le grade de lieutenant
Amin n’est pas un stratège, mais un exécutant sans scrupules, toujours prêt à se salir les mains pour ses supérieurs.
Un officier fidèle aux colons, puis à Milton Obote

Quand l’Ouganda obtient son indépendance en 1962, l’armée devient un enjeu majeur : qui la contrôlera ? Milton Obote, premier ministre, voit en Idi Amin un instrument parfait pour asseoir son pouvoir.
Pourquoi Obote fait-il confiance à Amin ?
- Il est sans culture politique – ne pouvant pas lire ou écrire couramment, il ne représente aucune menace intellectuelle.
- Il est loyal et brutal – Obote sait qu’il peut compter sur lui pour réprimer toute opposition sans poser de questions.
- Il est charismatique et populaire dans l’armée, notamment auprès des soldats analphabètes qui voient en lui un modèle de réussite.
Obote le récompense généreusement : en 1966, il le nomme commandant en chef adjoint de l’armée ougandaise.
Le premier bain de sang : L’élimination du roi Mutesa II

Le premier test grandeur nature du futur dictateur a lieu en 1966.
À l’époque, l’Ouganda est une république fédérale avec plusieurs royaumes traditionnels, dont le Buganda, dirigé par le roi Mutesa II, également président de la République. Mais Mutesa et Obote entrent en conflit : Obote veut centraliser le pouvoir, tandis que le roi défend l’autonomie du Buganda.
C’est là qu’Obote utilise Amin comme bras armé.
Mars 1966 :
- Obote donne l’ordre d’envahir le palais du roi avec l’armée
- Amin dirige personnellement l’attaque
- Le palais est pris d’assaut, des centaines de partisans du roi sont massacrés
- Mutesa fuit en exil au Royaume-Uni, où il mourra en 1969
Cet épisode marque un tournant : pour la première fois, Amin goûte au pouvoir absolu et réalise qu’il n’est qu’à un pas du sommet.
L’ombre d’un putsch : Amin prépare son coup
Après le massacre du Buganda, les relations entre Obote et Amin se détériorent.
Obote commence à comprendre que son bras droit est devenu trop puissant. Amin a des alliés dans l’armée, des connexions avec les services de renseignement britanniques et israéliens, et surtout un goût grandissant pour le pouvoir.
En 1969, un attentat est dirigé contre Obote, qui échappe de justesse à l’assassinat. Amin est soupçonné d’être derrière l’attaque, mais Obote manque de preuves pour l’arrêter.
La tension monte :
- En 1970, Obote réduit les pouvoirs d’Amin et le place sous surveillance.
- En janvier 1971, il prévoit de l’arrêter officiellement.
Mais Amin a un coup d’avance. Il sait que s’il ne frappe pas le premier, il sera éliminé.
Le Coup d’État du 25 janvier 1971 : Amin s’empare du pouvoir

Le 25 janvier 1971, alors qu’Obote assiste à une réunion des chefs d’État du Commonwealth à Singapour, Idi Amin déclenche son putsch.
- L’armée prend le contrôle des bâtiments stratégiques de Kampala.
- La radio nationale annonce qu’Idi Amin est le nouveau chef du pays.
- Obote, piégé à l’étranger, ne peut rien faire et s’exile en Tanzanie.
Dès les premiers jours, Amin promet un « nouveau départ » :
- Il affirme qu’il ne restera pas au pouvoir longtemps
- Il annonce des élections démocratiques dans un futur proche
- Il libère certains prisonniers politiques
Mais ces fausses promesses ne dureront pas. En quelques semaines, le visage du tyran apparaît.
La dictature d’Amin commence.
L’ascension d’Idi Amin ne doit rien au génie politique ou à une idéologie claire. Il a prospéré grâce à trois éléments clés :
- Une brutalité sans bornes, qui a séduit à la fois les colons britanniques et Milton Obote
- Une intelligence instinctive pour manipuler ses supérieurs et anticiper leurs faiblesses
- Un soutien militaire clé, lui permettant d’éliminer tous ses adversaires sans opposition
Mais ce qui suit est encore plus terrifiant : une fois au sommet, Idi Amin ne va plus chercher à plaire ou à rassurer. Il va laisser libre cours à sa paranoïa et à son sadisme.
L’Ouganda ne le sait pas encore, mais il est entré dans l’ère la plus sombre de son histoire.