À travers Fanon, Jean-Claude Barny signe un biopic magistral et engagé sur Frantz Fanon, figure majeure de l’anticolonialisme. Ce film intense mêle fresque historique, révolte politique et humanité poignante, éclairant le destin d’un homme dont les idées résonnent encore aujourd’hui. À ne pas manquer en 2025, pour comprendre l’histoire et penser notre présent.
Fanon, le nouveau film biographique réalisé par Jean-Claude Barny, s’apprête à plonger le public au cœur de l’histoire tumultueuse de Frantz Fanon, penseur anticolonial et psychiatre révolutionnaire. Présenté en avant-première mondiale au Festival international du film de Marrakech 2024, ce biopic engagé mêle fresque historique et drame humain. Entre portrait intime et épopée politique, « Fanon » s’annonce comme l’un des événements cinéma engagés de l’année, offrant une réflexion percutante sur le colonialisme tout en restant accessible et captivant pour un large public.
Contexte historique et importance culturelle

Se déroulant dans l’Algérie coloniale des années 1950, Fanon replace l’histoire personnelle de Frantz Fanon dans le contexte plus large de la guerre d’indépendance algérienne et de la lutte contre le colonialisme français. Né en 1925 en Martinique (alors colonie française), Frantz Fanon a vécu de l’intérieur les rouages de l’empire colonial avant de devenir l’une des voix les plus influentes de la décolonisation. Le film se concentre sur son arrivée en Algérie en 1953 en tant que chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, un poste prestigieux où il va rapidement se heurter aux injustices du système colonial.
À travers cette période charnière, Fanon met en lumière comment les expériences vécues par le jeune psychiatre ont forgé sa conscience politique et nourri ses écrits révolutionnaires.
Sur le plan culturel, l’importance de Frantz Fanon dépasse largement le cadre universitaire – ses ouvrages Peau noire, masques blancs (1952) et Les Damnés de la Terre (1961) ont inspiré des générations de penseurs, d’artistes et de militants à travers le monde. Porter sa vie à l’écran aujourd’hui revêt une importance particulière : non seulement 2025 marque le centenaire de la naissance de Fanon, mais le film arrive à un moment où les questions de colonialisme et de décolonisation occupent de nouveau le devant de la scène. À l’image de classiques du cinéma engagé comme La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo ou Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, le film de Barny s’inscrit dans une démarche à la fois historique et politique, invitant le public à réfléchir aux mécanismes de l’oppression coloniale et à leur écho dans notre société contemporaine. Cet ancrage historique fort confère à Fanon une portée culturelle qui va au-delà du simple biopic : c’est un dialogue entre le passé et le présent, une œuvre qui questionne notre mémoire collective et la notion même d’humanité face à l’injustice.
Jean-Claude Barny à la réalisation : une vision entre réalisme et poésie

Aux commandes de Fanon, le réalisateur Jean-Claude Barny apporte une vision passionnée et nuancée. Cinéaste français originaire de Guadeloupe et de Trinité-et-Tobago, Barny s’est fait connaître avec Le Gang des Antillais (2016) et est reconnu pour sa capacité à mêler réalisme social et souffle poétique. Avec Fanon, il relève le défi ambitieux de transcender le simple récit biographique pour offrir une expérience cinématographique immersive. Sa mise en scène évocatrice plonge le spectateur dans l’atmosphère bouillonnante de l’Algérie des années 50 : des couloirs de l’asile de Blida baignés de soleil brûlant et de tension, jusqu’aux ruelles agitées par les premiers soubresauts de la révolte.
Barny choisit d’illustrer les tensions morales et politiques qui ont façonné Fanon, plutôt que de s’en tenir à une chronologie linéaire. Ce parti pris donne lieu à des scènes intenses où l’on voit le protagoniste confronté à des dilemmes éthiques et aux violences du régime colonial.
Visuellement, Barny s’appuie sur une photographie soignée – signée Ariel Méthot – aux teintes lumineuses contrastant avec la dureté du propos.
Son style, alliant réalisme cru (pour dépeindre sans fard la brutalité de l’oppression) et poésie visuelle (pour traduire l’espoir et l’humanité qui subsistent malgré tout), confère au film une identité singulière. Il en résulte un équilibre entre le cinéma d’auteur européen et le drame historique grand public, ce qui rend Fanon aussi édifiant qu’enthousiasmant. D’ailleurs, lors de sa projection à Marrakech, le film a été remarqué pour son approche engagée et son accessibilité, capable de toucher autant les cinéphiles avertis que le grand public avide d’histoire et d’émotions fortes.
Un casting au service de l’Histoire

Pour donner vie à ce récit, Fanon s’appuie sur un casting solide mêlant nouveaux visages et acteurs confirmés. Dans le rôle-titre de Frantz Fanon, le jeune Alexandre Bouyer crève l’écran. Encore peu connu du grand public, Bouyer incarne avec justesse le charisme, la détermination et la sensibilité du héros anticolonial. Son Fanon apparaît d’abord comme un homme courtois et plein d’assurance – débarquant en costume impeccable avec son diplôme de psychiatre – pour peu à peu révéler le militant ardent qui sommeille en lui face à l’injustice.
Aux côtés de ce nouveau talent, on retrouve la comédienne belge Déborah François dans le rôle de Josie, l’épouse de Fanon. Elle compose un personnage de femme forte et bienveillante, soutien indéfectible de son mari dans son combat. Si Josie Fanon est souvent en retrait dans le film, son importance transparaît dans chaque scène où Déborah François lui apporte sa grâce et sa détermination – rappelant que Josie fut elle-même une militante engagée.
Le reste de la distribution renforce la crédibilité historique du film. L’acteur vétéran Olivier Gourmet prête ses traits à le Pr Darmain, le directeur de l’hôpital de Blida, représentant d’une autorité coloniale paternaliste et cynique face aux méthodes novatrices de Fanon. Stanislas Merhar incarne quant à lui le sergent Rolland, un militaire français zélé dont la brutalité féroce envers les détenus et les insurgés algériens incarne la violence d’État – un rôle dur et nuancé où Merhar montre comment l’oppression déshumanise aussi l’oppresseur. On note également la présence de Mehdi Senoussi dans le rôle d’Hocine, un infirmier algérien qui introduit Fanon aux réalités de la résistance locale, ou encore Salomé Partouche et Arthur Dupont campant de jeunes collègues juifs d’Algérie pris entre deux feux.
Chaque acteur, du premier rôle aux seconds rôles, apporte une authenticité et une profondeur qui servent le propos du film. Ce casting engagé permet de donner vie à toute une galerie de personnages représentatifs d’une époque, et contribue à faire deFanonune fresque humaine autant qu’un récit historique.
Thématiques engagées : colonialisme, psychiatrie et quête de justice

Au-delà du destin individuel de Frantz Fanon, le film aborde frontalement des thématiques universelles qui résonnent encore aujourd’hui. Fanon jette une lumière crue sur les ravages du colonialisme et la déshumanisation systémique qu’il engendre. Dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique de Blida, le jeune médecin découvre des patients algériens traités avec une violence institutionnalisée – camisoles de force, privations, humiliations quotidiennes – révélant une continuité glaçante entre l’oppression coloniale à l’extérieur et les méthodes asilaire à l’intérieur.
En humaniste, Fanon s’attache à redonner dignité à ces malades oubliés, ouvrant grand les fenêtres de salles jusque-là plongées dans l’obscurité, abolissant les châtiments arbitraires et instaurant un traitement égalitaire pour tous. Ces scènes, d’une puissance symbolique forte, font écho à la situation politique du pays : elles illustrent en microcosme la condition du peuple algérien sous la colonisation, traité en étranger sur sa propre terre.
Le film explore aussi la prise de conscience et la radicalisation progressive de Fanon. Témoin direct des souffrances infligées par le régime colonial, le psychiatre en vient à conclure que si l’on traite des êtres humains « comme des animaux, ils ont toutes les raisons de prendre les armes contre leurs oppresseurs ». Fanon montre comment la compassion du médecin se mue en engagement politique concret, à mesure que la guerre d’Algérie s’intensifie. Des réunions secrètes avec le FLN (Front de Libération Nationale) aux dilemmes moraux quant à son serment de soignant, Fanon s’implique de plus en plus dans la lutte pour la liberté, quitte à risquer sa carrière et sa vie.
En filigrane, le long-métrage met en avant la puissance de la pensée et de l’écriture comme armes de combat. On voit le protagoniste dicter à sa femme ses réflexions et constats, qui deviendront plus tard des pages essentielles de Les Damnés de la Terre.
Le scénario, co-écrit par Jean-Claude Barny et Philippe Bernard, réussit le pari d’intégrer des extraits de la prose vibrante de Fanon de manière accessible, sans jamais sombrer dans le didactisme. Ainsi, le public entend la voix de Fanon – à travers certaines de ses phrases percutantes – tout en voyant se dérouler sous ses yeux les injustices qui ont inspiré ces mots. Les thèmes de l’aliénation, du racisme institutionnalisé, de la révolte légitime et de la quête de dignité parcourent le film, lui conférant une résonance contemporaine remarquable. À l’heure où les débats sur le passé colonial et le racisme systémique refont surface partout dans le monde,Fanonapporte une perspective historique éclairante. Il rappelle avec force que les combats menés hier pour l’égalité et la justice continuent d’inspirer ceux d’aujourd’hui.
Un film à ne pas manquer : entre leçon d’histoire et choc émotionnel

Pourquoi le public devrait aller voir Fanon ? D’abord, pour la découverte d’une figure historique majeure rarement portée à l’écran. Frantz Fanon est un héros méconnu du grand public dont la vie romanesque et les idées visionnaires méritent d’être connues de tous. Le film offre une leçon d’histoire vivante, incarnée par des personnages attachants et pris dans le tourbillon de l’Histoire. C’est l’occasion de comprendre de l’intérieur les enjeux de la guerre d’Algérie et les origines de la pensée anticoloniale, à travers le regard d’un homme qui a vécu ces déchirements dans sa chair.
Ensuite, Fanon n’est pas qu’un film instructif – c’est un drame captivant mené comme un thriller politique. La réalisation de Barny maintient une tension dramatique constante, notamment dans sa dernière partie où l’intrigue prend des allures de suspense clandestin autour des activités de Fanon avec les indépendantistes. Le spectateur est tenu en haleine, même s’il connaît l’issue historique, grâce à une mise en scène efficace et une bande-son envoûtante qui soulignent à la fois l’urgence et l’émotion (la musique originale de Thibault Kientz-Agyeman et Ludovic Louis accompagne avec justesse les moments clés). On ressort de la projection à la fois ému par le destin personnel de Fanon et interpellé par la portée universelle du propos.
Il faut voir Fanon enfin pour son message d’espoir et d’humanité. Malgré la noirceur des événements décrits, le film est porté par la conviction que des individus courageux peuvent faire bouger les lignes. Fanon y est dépeint non pas comme une icône figée du passé, mais comme un homme en lutte, avec ses idéaux et ses contradictions – un homme qui, face à l’inacceptable, choisit l’action et la solidarité. Ce parti-pris rend le personnage profondément humain et proche de nous. Le public d’aujourd’hui pourra se reconnaître dans ce combat pour la dignité et la justice, toujours d’actualité. Accessible sans sacrifier la profondeur, Fanon réussit le pari de conjuguer divertissement et conscience historique.
En somme, que vous soyez passionné d’histoire, amateur de cinéma engagé, admirateur de l’œuvre de Frantz Fanon ou simplement en quête d’un film intense et intelligent, Fanon s’impose comme un rendez-vous incontournable. Sa sortie en salles le 2 avril 2025 en France est l’occasion de découvrir sur grand écran une page essentielle de l’Histoire revisitée avec talent. Préparez-vous à un voyage émouvant et édifiant dans le passé colonial – une expérience de cinéma qui résonnera longtemps après le générique de fin.