Dulcie September, une activiste assassinée en plein Paris

Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures, Dulcie September est assassinée sur le palier des bureaux de l’ANC au 4e étage du 28 rue des Petites-Écuries, dans le 10e arrondissement de Paris, de cinq balles tirées à bout portant d’un calibre 22 équipé d’un silencieux

1. Jeunesse et début de l’activisme

Dulcie Evonne September naît le 20 août 1935 au Cap, en Afrique du Sud. Issue d’une famille métisse, elle est la deuxième des trois filles d’un enseignant et d’une femme au foyer. C’est dans le quartier multiethnique des Plaines du Cap qu’elle découvre le militantisme contre la discrimination raciale, notamment après l’arrivée au pouvoir du Parti National en 1948, qui instaure officiellement l’apartheid.

En 1951, son père, autoritaire et violent, l’oblige à quitter le collège pour travailler dans un magasin de lingerie. Déterminée, Dulcie suit des cours du soir et termine son cursus secondaire. En 1952, elle intègre une école d’institutrices, malgré les tentatives de son père pour l’en empêcher. En 1957, elle rejoint le Mouvement de l’Unité Non Européenne, un groupe trotskiste opposé à la ségrégation raciale.

Une prise de conscience militante

Dulcie s’émancipe progressivement de son environnement familial oppressif et s’implique activement dans la lutte politique. Elle s’engage auprès du CATA, un syndicat enseignant, puis dans l’Union Démocratique des Peuples d’Afrique Australe, avant de fonder avec ses camarades plusieurs organisations orientées vers la lutte armée.

2. Durcissement du militantisme et emprisonnement

En 1963, Dulcie est arrêtée dans son école lors d’une descente de police. Accusée avec neuf camarades d’avoir planifié un renversement du gouvernement et d’actes de sabotage, elle est emprisonnée sans jugement. En 1964, elle est condamnée à cinq ans de prison.

Durant sa détention, elle poursuit son activisme en enseignant à ses codétenues illettrées. Son engagement dérange : elle est déplacée de prison en prison. En 1969, à la fin de sa peine, elle est placée en assignation à résidence pour cinq ans supplémentaires, avec interdiction d’exercer toute activité politique. Ne supportant plus cette situation, elle s’exile au Royaume-Uni en 1973.

3. L’exil et la lutte depuis l’étranger

Installée à Londres, Dulcie s’engage dans l’African National Congress (ANC) aux côtés d’Oliver Tambo. Elle participe à des campagnes internationales dénonçant les crimes du régime sud-africain. En 1976, elle assiste au massacre de Soweto, où la répression policière tue des centaines d’adolescents noirs manifestant contre l’imposition de l’afrikaans dans les écoles.

À partir de 1979, elle intervient sous l’égide des Nations Unies, voyageant à travers l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Nord pour sensibiliser l’opinion publique. En 1981, elle rejoint la direction de l’ANC en Zambie, puis en 1983, elle est nommée représentante en chef de l’ANC en France, en Suisse et au Luxembourg.

4. L’arrivée en France et la montée des tensions

Dulcie s’installe à Paris en 1984. Son rôle est crucial : mobiliser l’opinion publique française contre l’apartheid. La France, bien que membre de l’embargo de l’ONU contre l’Afrique du Sud, continue des échanges d’armes avec Pretoria, notamment en contrepartie d’uranium sud-africain.

Elle organise en 1986 une Conférence internationale contre l’apartheid à Paris, et travaille avec des mouvements anti-racistes, féministes et de gauche. Toutefois, son activisme dérange. En 1987, elle affirme être sur écoute et subit une agression dans le métro. Elle demande une protection policière, que Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, lui refuse.

5. Assassinat et mystères non résolus

Rassemblement et hommage à Dulcie September, lors de ses funérailles, à Paris, en 1988. Lily Franey/Gamma-Rapho via Getty Images

Le 29 mars 1988, devant son bureau de la rue des Petites-Écuries, Dulcie September est assassinée de cinq balles dans la tête. Sa mort provoque une indignation générale. Ses obsèques ont lieu au Père-Lachaise avant que ses cendres ne soient rapatriées en Afrique du Sud.

Qui a tué Dulcie September ?

  • La version officielle : Le ministère de l’Intérieur français attribue son meurtre à un règlement de compte entre militants noirs, une explication jugée absurde par ses proches et l’ANC.
  • La thèse sud-africaine : L’ANC accuse les services secrets sud-africains d’avoir envoyé une unité d’assassinspour éliminer Dulcie en raison de son rôle dans la lutte anti-apartheid.
  • La piste du trafic d’armes : Des enquêtes indépendantes suggèrent qu’elle aurait été tuée pour avoir découvert un trafic d’armes nucléaires clandestin entre la France et l’Afrique du Sud.
  • Une complicité française ? : La Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) pourrait avoir couvert ce crime, en raison des intérêts économiques en jeu.

6. Un combat qui résonne encore

En 1994, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) sud-africaine enquête sur le meurtre de Dulcie, mais se heurte au refus de la France de divulguer certains documents classifiés. L’affaire reste non résolue.

Aujourd’hui, de nombreuses rues, écoles et places portent son nom en hommage à son combat. Son héritage rappelle la nécessité de lutter contre l’impunité et de défendre la vérité.

Bibliographie

  • Dulcie September, une vie pour la liberté, Jacqueline Dérens, 2013
  • La Françafrique, F.X. Verschave, 1998
  • Dulcie September and the non-existent ‘death squads in Europe’, Evelyn Groenink
  • September ‘shot for nuke secrets’, Ilham Rawoot
  • Unsolved murder of activist is reopened, Fiona Forde

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