L’incroyable histoire de Cathay Williams

Engagée sous une fausse identité, Cathay Williams est entrée dans l’histoire comme la première femme noire à servir dans l’armée américaine. Entre courage, ruse et résilience, son destin fascinant révèle l’hypocrisie d’un pays qui refusait de reconnaître ses héros. Retour sur le parcours d’une pionnière oubliée.

Une femme, un uniforme, une imposture pour la liberté

L’incroyable histoire de Cathay Williams

L’histoire de Cathay Williams, première femme afro-américaine à s’engager dans l’armée des États-Unis en se faisant passer pour un homme, demeure méconnue du grand public. Pourtant, son parcours exceptionnel incarne à lui seul les luttes croisées contre le racisme, le sexisme et les violences systémiques de l’Amérique du XIXe siècle. Née esclave en 1844 dans le Missouri, elle brisa les interdits en intégrant les rangs des Buffalo Soldiers, ces régiments de soldats noirs chargés de sécuriser l’expansion coloniale vers l’Ouest américain.

Si l’histoire officielle a trop souvent oublié son nom, Cathay Williams mérite aujourd’hui d’être célébrée comme une pionnière, une résistante, une guerrière de la liberté. Ce récit nous plonge au cœur de son épopée, à travers le prisme des discriminations qui pesaient sur les femmes et les Afro-descendants dans l’Amérique post-guerre de Sécession.

I. L’Amérique esclavagiste : entre chaînes et combats

L’incroyable histoire de Cathay Williams
Un portrait représentant la bataille d’Antietam, qui a fait plus de 22 000 morts, la bataille la plus meurtrière de la guerre de Sécession en une journée.

Cathay Williams voit le jour en 1844 à Independence, Missouri, dans un pays déchiré par la question de l’esclavage. Sa mère, esclave, lui transmet dès la naissance ce statut juridique inique. Quant à son père, un homme noir libre, il ne peut rien contre les lois racistes qui enferment sa fille dans le système esclavagiste.

En 1861, alors que la Guerre de Sécession éclate entre le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste, l’armée de l’Union occupe Jefferson City. Comme des milliers d’autres esclaves, Cathay est arrachée aux plantations et contrainte d’accompagner les troupes nordistes en tant que cuisinière et blanchisseuse. Cette période est une révélation : en servant aux côtés des soldats, elle comprend que l’armée représente pour elle un espoir d’émancipation, un moyen d’exister autrement qu’en tant qu’ombre servile.

L’abolition de l’esclavage en 1865 ne signifie pas pour autant la fin des discriminations. Si les hommes noirs peuvent désormais s’engager dans l’armée, les femmes en sont strictement interdites. Mais Cathay Williams, elle, refuse ces limitations et décide de déjouer le système.

II. L’Imposture d’une guerrière : Cathay devient William Cathay

En novembre 1866, à St. Louis, Williams prend une décision radicale : elle coupe ses cheveux, revêt des habits masculins et se fait enrôler sous le nom de William Cathay. Elle intègre ainsi le 38ᵉ régiment d’infanterie des Buffalo Soldiers, une unité composée exclusivement d’Afro-Américains, créée après la guerre de Sécession.

Dans un pays où la ségrégation fait rage et où le racisme reste omniprésent, ce corps d’élite doit protéger les colons américains contre les populations autochtones. L’armée voit en ces soldats noirs des outils de la conquête de l’Ouest, sans jamais leur accorder le respect dû à leur bravoure.

Personne ne soupçonne l’imposture de Williams, à l’exception de deux compagnons de régiment, un cousin et un ami, qui gardent le secret. La vie militaire est rude : longues marches sous un soleil de plomb, privations, conditions sanitaires désastreuses. Rapidement, son corps flanche. Victime de petite vérole, elle est hospitalisée, mais parvient à dissimuler son identité féminine.

Pendant deux ans, elle sert comme tout autre soldat, affrontant maladies, privations et humiliations. Mais en 1868, son état de santé se détériore. Trop affaiblie par les épreuves, elle est finalement examinée de plus près par un médecin militaire qui découvre son identité. Le 14 octobre 1868, elle est démobilisée.

III. Après l’armée : désillusion et injustice

L’incroyable histoire de Cathay Williams
Fort Union, New Mexico, USA

Après son renvoi, Cathay Williams refuse de se laisser abattre. Elle devient cuisinière et blanchisseuse à Fort Union, au Nouveau-Mexique, puis s’installe à Pueblo, Colorado, où elle se marie. Son union tourne rapidement au cauchemar : son mari l’escroque et la dépouille de ses économies avant qu’elle ne le fasse arrêter.

Elle finit par s’établir à Trinidad, Colorado, où elle travaille comme couturière et ouvre probablement un pensionnat. C’est à cette époque que son histoire est dévoilée au grand public, lorsqu’un journaliste du St. Louis Daily Times publie un article sur son passé militaire en 1876.

Mais la fin de sa vie est marquée par la souffrance et l’injustice. Atteinte de diabète et de névralgies, elle subit l’amputation de plusieurs orteils et perd peu à peu son autonomie. En 1891, elle dépose une demande de pension militaire, un droit pourtant accordé à d’autres femmes soldats comme Deborah Sampson. Mais la réponse du gouvernement est sans appel : demande rejetée.

Condamnée à la misère et à l’oubli, elle disparaît vers 1893, sans pierre tombale, sans reconnaissance, sans même un acte de décès officiel.

IV. Héritage et reconnaissance tardive

Si son nom a longtemps été effacé des récits officiels, Cathay Williams incarne aujourd’hui la lutte des femmes noires en uniforme, bravant sexisme et racisme pour servir un pays qui ne les considérait même pas comme des citoyennes à part entière.

En 2016, la ville de Leavenworth, Kansas, lui rend enfin hommage avec un buste commémoratif devant le Richard Allen Cultural Center. Deux ans plus tard, une stèle honorifique est inaugurée au National Infantry Museum.

Aujourd’hui, la figure de Cathay Williams continue d’inspirer. Son histoire a été évoquée dans la musique, la littérature, et même le cinéma, notamment dans le film The Harder They Fall (2021), où son personnage a inspiré celui de Cuffee.

Une femme, un combat, une mémoire à préserver

L’histoire de Cathay Williams dépasse le simple récit d’une femme se déguisant en homme pour servir sous les drapeaux. Elle raconte la violence d’un système qui, même après l’abolition de l’esclavage, continuait de priver les Noirs et les femmes de leurs droits. Elle illustre aussi la résilience de ces héros invisibles, trop souvent laissés pour compte dans les manuels d’histoire.

Dans une Amérique qui, encore aujourd’hui, lutte pour la reconnaissance des injustices passées, son parcours demeure un symbole puissant.

Le nom de Cathay Williams doit être gravé dans la mémoire collective, non seulement comme la première femme afro-américaine engagée dans l’armée, mais comme une figure du courage, de l’émancipation et de la résistance.

Car si l’Histoire oublie parfois ses héros, il appartient aux générations futures de les remettre en lumière.

Sources

  • Tucker, Phillip Thomas. Cathy Williams: From Slave to Female Buffalo Soldier. Stackpole Books, 2002.
  • Voices of the Buffalo Soldier: Records, reports, and recollections of military life and service in the West.Edited by Frank N. Schubert, 2003.
  • Pennington, Reina. Amazons to Fighter Pilots – A Biographical Dictionary of Military Women. Greenwood Press, 2003.
  • National Park Service. Cathay Williams: Female Buffalo Soldier.
  • Gunn, Olivia. Buffalo Soldiers honor first female, documented U.S. Army soldier. WTVM, 2018.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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