Entre légende et réalité, la quête de liberté d’Anchaing et d’Héva résonne encore aujourd’hui comme un symbole de résistance et d’amour éternel.
Au cœur de l’île de La Réunion, entre les remparts verdoyants du cirque de Salazie, une montagne trône comme un sanctuaire silencieux. Le Piton d’Anchaing, majestueux et inaltérable, porte le nom d’un homme devenu légende. Avec sa compagne Héva, il a inscrit dans la mémoire réunionnaise une épopée de courage, de survie et de liberté, à la manière d’un Spartacus des tropiques. Leur histoire, transmise par la tradition orale et enrichie par l’imagination populaire, est bien plus qu’un simple récit de fuite : c’est un manifeste de résistance contre l’oppression coloniale.
L’appel de la Liberté

Anchaing, esclave d’origine malgache, travaillait dans les plantations sucrières qui recouvraient La Réunion au XVIIIe siècle. Comme tant d’autres, il subissait la violence et l’asservissement imposés par les colons. Héva, jeune femme elle aussi sous le joug de la servitude, partageait son sort. Unis par le destin et par une aspiration commune à la liberté, ils décidèrent de briser leurs chaînes et de fuir vers l’inconnu.
Leur périple les mena vers le cirque de Salazie, une région escarpée et difficilement accessible. Dans ce dédale végétal, ils trouvèrent refuge au sommet d’une montagne dont les flancs abrupts offraient une protection naturelle contre les chasseurs de marrons. Là, au creux des nuages, ils bâtirent leur existence, cultivant la terre et élevant une famille, loin du regard oppresseur des colons.
L’ombre des chasseurs de marrons

La liberté arrachée par Anchaing et Héva n’était qu’une fragile victoire. Les colons, soucieux de préserver leur ordre économique et social, employaient des chasseurs de marrons pour traquer les esclaves en fuite. Ces hommes, armés et expérimentés, connaissaient les moindres recoins de l’île.
L’un d’eux, un certain Bronchard, se mit sur leur piste. Le dénouement de cette traque est aujourd’hui enveloppé de mystère, chaque version de l’histoire offrant une conclusion différente. Certains racontent qu’Anchaing et Héva furent capturés et ramenés en esclavage, effaçant ainsi leur rêve de liberté. D’autres prétendent qu’Anchaing, plutôt que de se rendre, préféra se jeter du haut de son piton, se transformant alors en papangue, un rapace emblématique de La Réunion.
Héva, figure matriarcale de la Réunion

Si Anchaing est devenu l’icône du combat marron, Héva, elle, représente la force et la résilience des femmes de l’île. Dans certaines versions du récit, elle aurait survécu, poursuivant son existence en femme libre et transmettant son courage à ses enfants. Elle incarne alors l’archétype de la femme réunionnaise : combattante, maternelle et indépendante, portant en elle l’héritage d’un peuple forgé dans l’adversité.
Une mémoire gravée dans le paysage et la culture

Le Piton d’Anchaing, culminant à 1 356 mètres d’altitude, est aujourd’hui un site emblématique de La Réunion. Il n’est plus seulement un sommet montagneux, mais un lieu de mémoire, où se racontent les murmures du passé. Ce relief, autrefois sanctuaire des esclaves en fuite, est devenu un symbole puissant de résilience et de lutte contre l’oppression.
Au-delà de la géographie, la légende d’Anchaing et Héva inspire encore les arts et la littérature réunionnaises. Des auteurs comme Auguste Vinson ont retranscrit leur épopée, tandis que des sculpteurs comme Gilbert Clain ont immortalisé leurs figures en bronze, semant des traces visibles de leur héritage dans le cirque de Salazie.
Un récit universel de quête et de résistance

L’histoire d’Anchaing et Héva ne se limite pas à La Réunion. Elle résonne bien au-delà de l’océan Indien, rejoignant le panthéon des grandes figures de la liberté. Elle rappelle les destins d’autres esclaves insurgés, de Toussaint Louverture à Harriet Tubman, en passant par Zumbi dos Palmares au Brésil.
Aujourd’hui encore, leur parcours inspire ceux qui refusent l’injustice et revendiquent leur dignité. Que l’on croie ou non à la métamorphose d’Anchaing en papangue, une chose est certaine : son esprit continue de planer sur La Réunion, nous rappelant que la liberté, si durement conquise, est un bien inestimable à préserver.
Notes et références :
- Origine et signification du Piton d’Anchaing : Le Piton d’Anchaing, culminant à 1 351 mètres, est un sommet emblématique de La Réunion. Il doit son nom à l’esclave marron légendaire Anchaing, qui s’y serait réfugié avec sa compagne Héva pour échapper à l’esclavage.
- Légende d’Anchaing et Héva : Selon la tradition orale, Anchaing et Héva, tous deux esclaves d’origine malgache, ont fui les sévices de leur maître et trouvé refuge dans le cirque de Salazie, au sommet du Piton d’Anchaing. Ils y auraient vécu en harmonie, fondant une famille et cultivant la terre pour subvenir à leurs besoins.
- Destin tragique : Leur existence paisible fut menacée par des chasseurs de marrons, notamment un certain Bronchard, engagé pour traquer les esclaves en fuite. Les versions de leur destin divergent : certaines évoquent leur capture suivie d’un retour en servitude, tandis que d’autres racontent qu’Anchaing préféra se jeter du haut de la falaise plutôt que de se rendre, se transformant en papangue, un rapace endémique de l’île.
- Héva, symbole de la femme réunionnaise : Héva est souvent perçue comme la première héroïne de La Réunion, représentant la force et la résilience des femmes de l’île. Son histoire, bien que légendaire, est devenue une allégorie de la femme réunionnaise originelle, symbolisant la quête de liberté et la lutte contre l’oppression.
- Héritage culturel et mémoire collective : L’histoire d’Anchaing et d’Héva a profondément imprégné la culture réunionnaise. Le Piton d’Anchaing demeure un lieu emblématique, rappelant leur quête de liberté. Des œuvres d’art, telles que des statues réalisées par Gilbert Clain, rendent hommage à leur mémoire. Ces sculptures, réparties dans le cirque de Salazie, illustrent leur importance dans l’imaginaire collectif de l’île.
- Inspiration littéraire : Leur histoire a également inspiré la littérature réunionnaise. Des auteurs comme Auguste Lacaussade ont relaté leur légende, contribuant à perpétuer leur mémoire et à renforcer leur statut de symboles de résistance.
- Reconnaissance internationale : Le Piton d’Anchaing fait partie des « pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion », un bien naturel inscrit depuis 2010 au patrimoine mondial de l’UNESCO, reconnaissant ainsi la valeur exceptionnelle de ces paysages et de leur histoire.