À l’occasion de la sortie du film Fanon réalisé par Jean-Claude Barny (en salles le 2 avril 2025), NOFI rend hommage à l’une des figures majeures de la pensée anticoloniale : Frantz Fanon. Psychiatre, écrivain, révolutionnaire martiniquais, Fanon a livré dans ses œuvres une critique radicale du colonialisme. Voici dix citations essentielles, à la fois brûlantes et lucides, qui dévoilent l’architecture psychologique, sociale et politique de l’oppression coloniale — et la voie pour en sortir.
1. « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Cette citation est le socle. Elle nomme l’indicible : la colonisation n’est pas une mission civilisatrice, mais une entreprise brute, un système fondé sur l’écrasement, la dépossession, la coercition. Fanon n’enrobe pas. Il dénude.
2. « Le colonisé découvre que sa vie, sa respiration, les battements de son cœur sont les mêmes que ceux du colon. […] Pratiquement, je l’emmerde. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Le langage de Fanon est frontal. Il choque pour libérer. Cette phrase concentre la naissance de la conscience politique du colonisé. Non plus dominé, mais équivalent. Non plus figé, mais debout.
3. « Le système colonial alimente les chefferies et réactive les vieilles confréries maraboutiques. […] La violence dans sa pratique est totalisante, nationale. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Fanon démonte ici les mécanismes de division. Le colonialisme ne divise pas seulement les territoires. Il fragmente les peuples, ranime les tensions locales, pour mieux régner. Une stratégie du morcellement. La lutte, à l’inverse, crée l’unité.
4. « Le colonisé réussit, par l’intermédiaire de la religion, à ne pas tenir compte du colon. […] Il accède à une sérénité de pierre. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Le fatalisme religieux est ici présenté comme une anesthésie collective. Une résignation mystique qui endort la révolte. Fanon, formé en psychiatrie, sait à quel point le conditionnement peut se déguiser en foi.
5. « La dernière ressource du colonisé est de défendre sa personnalité face à son congénère. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
La violence du système colonial ne s’exprime pas seulement du haut vers le bas. Elle infuse, elle se répercute. Elle rend le colonisé méfiant, haineux envers ses semblables. Une guerre horizontale, fratricide, qui empêche la construction d’une conscience collective.
6. « Au niveau des individus, la violence désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe d’infériorité. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Fanon ne prône pas la violence gratuite, mais il en reconnaît la vertu cathartique. Dans un système qui vous nie, la révolte physique est souvent la première affirmation existentielle. La première preuve de vie.
7. « La mobilisation des masses introduit dans chaque conscience la notion de cause commune, de destin national, d’histoire collective. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Dans cette phrase, tout est dit sur la transformation du sujet colonisé en citoyen politique. Par la lutte, l’individu isolé devient peuple. Et le peuple se dote d’un récit commun.
8. « La lutte, affirme-t-on, continue. Le peuple vérifie que la vie est un combat interminable. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Fanon avait anticipé ce que beaucoup refusent encore d’admettre : la décolonisation politique n’est que le début. Les chaînes tombent, mais les structures demeurent. L’égalité est un horizon, pas un point d’arrivée.
9. « Quand elles ont participé, dans la violence, à la libération nationale, les masses ne permettent à personne de se présenter en “libérateur”. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
Ici, Fanon déconstruit les logiques de pouvoir postcoloniales. Les peuples qui se sont levés seuls refusent les sauveurs providentiels. Ils réclament l’horizontalité. Ils exigent la reddition de comptes.
10. « La praxis qui les a jetées dans un corps à corps désespéré confère aux masses un goût vorace du concret. »
— Les Damnés de la Terre (1961)
La praxis : ce mot central dans la pensée de Fanon, désigne l’union entre la pensée et l’action. Le combat donne chair aux idées. Il empêche les fausses promesses, les slogans creux, les politiques spectrales. Ce goût du concret, c’est la conscience incarnée.
Une actualité brûlante : le film Fanon
Ce printemps 2025, le film Fanon de Jean-Claude Barny arrive en salles. Porté par Alexandre Bouyer dans le rôle de Frantz Fanon et Déborah François dans celui de Josie Fanon, le long-métrage retrace les dernières années du penseur, entre combat psychiatrique en Algérie et engagement total dans la guerre de libération. Le film ne se contente pas de raconter. Il appelle à relire Fanon. À le comprendre. À l’écouter, au présent.
Lire Fanon, c’est résister au silence






Fanon écrivait dans la tempête. À une époque où l’Occident cherchait encore à faire passer l’oppression pour de l’humanisme, il parlait d’égalité. Là où d’autres faisaient des courbettes à la République ou à la métropole, lui arrachait les masques.
Les dix citations présentées ici ne sont pas des aphorismes figés. Ce sont des éclats de vérité. Des fragments de lucidité qui continuent de guider celles et ceux qui refusent la soumission, le compromis, le mensonge.
À l’heure où le monde s’interroge encore sur les séquelles du passé colonial, où les mouvements décoloniaux peinent à se faire entendre sans caricature, Fanon est plus que jamais indispensable.
La sortie du film Fanon de Jean-Claude Barny n’est pas un simple hommage. C’est une invitation. Une exigence. Celle de lire, de relire, et de faire vivre une pensée libre, enragée, et radicalement humaine.
Sources
- Fanon, Frantz. Les Damnés de la Terre, La Découverte, 2002 (édition originale 1961)
- Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs, Seuil, 1952
- film Fanon de Jean-Claude Barny, sortie nationale le 2 avril 2025 (thuram.org)
- fiche film sur Unifrance : unifrance.org
- Wikipédia Frantz Fanon : wikipedia.org/wiki/Frantz_Fanon