Emmanuel Zamor, un peintre oublié à la croisée des mondes

Découvrez l’histoire fascinante d’Emmanuel Zamor, peintre afro-français et afro-brésilien oublié du XIXe siècle. Contemporain des impressionnistes, son talent, éclipsé par l’histoire, refait aujourd’hui surface. Une résilience artistique et une trajectoire transatlantique hors du commun, entre Paris et Salvador de Bahia.

L’histoire de l’art est pleine de silences. De noms effacés, de figures reléguées aux marges d’une mémoire collective capricieuse. Emmanuel Zamor, artiste afro-français et afro-brésilien du XIXe siècle, fait partie de ces invisibles dont la résonance ne cesse pourtant de hanter les salles d’exposition et les ventes aux enchères. Si les feux de la critique se sont rarement posés sur lui, son travail d’une finesse saisissante, oscillant entre réalisme et impressionnisme, témoigne d’une trajectoire hors du commun.

Des racines entre deux mondes

Emmanuel Zamor, un peintre oublié à la croisée des mondes
Attribué à Nadar – Frederico F. S. Silva. Emmanuel Zamor : an artist among collections, In Martín Chillón, Alberto (org.) et al. The artist in representation : artists’ collections. Rio de Janeiro : NAU Editora, 2020, pp. 994-5.

Né à Salvador de Bahia le 19 mai 1840, Emmanuel Zamor est le fruit d’un parcours transatlantique marqué par l’histoire coloniale. Adopté par un couple franco-africain, Pierre-Emmanuel Zamor, un cuisinier d’origine africaine, et Félicité-Rose Neveu, une couturière française, il quitte le Brésil très jeune pour s’installer en France. À Paris, il grandit dans un environnement propice aux arts, où la musique et la peinture deviennent des terrains d’expression privilégiés.

Son parcours artistique s’inscrit dans l’effervescence culturelle de la capitale française du XIXe siècle. Il aurait fréquenté l’Académie Julian, célèbre institution où se croisent des artistes en quête d’un langage pictural révolutionnaire. Dans ces ateliers, il côtoie de près les futurs impressionnistes, Cézanne, Renoir, Monet, Pissarro et Sisley. Son art s’imprègne peu à peu des jeux de lumière et de la spontanité du coup de pinceau qui feront la grandeur de cette mouvance.

Une carrière marquée par les tragédies

Nature morte avec un poulet (1872).

De retour au Brésil entre 1860 et 1862, Zamor cherche à ancrer son art dans ses origines tropicales. Ses toiles, inspirées par la végétation luxuriante et les jeux de lumière des paysages brésiliens, gagnent en intensité chromatique. Mais un incendie vient brusquement mettre un terme à cet élan : ses œuvres sont détruites, le forçant à regagner la France et à reconstruire sa carrière à partir de cendres encore fumantes.

Dans la capitale française, il se rapproche des milieux artistiques, notamment du peintre Henri Guilmard et de l’éditeur Désiré Guilmard, pour lequel il réalise plusieurs lithographies. Son art, influencé par l’école de Barbizon, se caractérise par une approche contemplative du paysage et une maîtrise particulière des textures et des contrastes.

Le destin ne lui offre que peu de répit. En 1873, il épouse Olympe-Léontine Lecornu, jeune femme issue d’une famille de parfumeurs, et s’installe à Dourdan. Leur bonheur est de courte durée : en 1881, Olympe meurt en couches, laissant à Zamor un fils, Antoni Manuel Zamor, qui deviendra à son tour musicien et poète. Accablé par la perte de son épouse, le peintre retourne à Paris, où il se remarie en 1882 avec Eugénie Kollmann, modiste parisienne. Cette union le conduit à déménager à Créteil, où il passera ses dernières années.

Un talent ignoré par la critique, redécouvert tardivement

Enfants noirs, Museu Afro Brasil (1860/62 ?)

Si ses contemporains impressionnistes accèdent progressivement à la reconnaissance, Emmanuel Zamor sombre peu à peu dans l’oubli. Le marché de l’art et les institutions culturelles ne lui offrent que peu de place, et le peintre se retrouve éclipsé par les figures majeures du mouvement. Certaines sources indiquent qu’il aurait connu des périodes de grande détresse, allant jusqu’à brûler ses propres œuvres pour se chauffer en hiver.

Il meurt en 1919, quelques années après le décès de sa seconde épouse. Son nom, déjà effacé des cercles artistiques, disparaît peu à peu des répertoires de l’histoire de l’art français.

Il faudra attendre les années 1980 pour que son travail soit exhumé par le marchand d’art Rafael Kastoriano, qui, intrigué par le mystère entourant ses toiles, acquiert 37 de ses œuvres lors d’une vente aux enchères. Cette redécouverte aboutit à une première exposition au Musée d’Art de São Paulo en 1985, puis à une autre en 1990 à la Fondation Armando Álvares Penteado.

Aujourd’hui encore, le nom d’Emmanuel Zamor reste méconnu du grand public, un paradoxe pour un artiste qui, en d’autres circonstances, aurait pu devenir une figure de proue du courant impressionniste.

Un regard renouvelé sur un artiste hors normes

Paysage à la Ferme, 1867. Coleção particular.

L’histoire d’Emmanuel Zamor est celle d’une force artistique, d’un combat contre l’effacement. Dans un XIXe siècle marqué par les hiérarchies raciales et les inégalités d’opportunités, son ascension dans le milieu artistique parisien témoigne d’une détermination exceptionnelle. Son œuvre, teintée d’influences transatlantiques et d’une approche audacieuse du paysage, constitue un jalon nécessaire pour enrichir la lecture de l’histoire de l’art français et mondial.

Avec l’essor des études décoloniales et la remise en question des canons traditionnels, le temps est venu de redonner à Emmanuel Zamor la place qu’il mérite parmi les figures majeures de la peinture moderne. Son art, reflet d’une double héritage afro-français et afro-brésilien, reste un témoignage essentiel d’une histoire souvent passée sous silence.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

News

Inscrivez vous à notre Newsletter

Pour ne rien rater de l'actualité Nofi ![sibwp_form id=3]

You may also like