Boubacar Diallo Telli : L’ascension et la chute tragique d’un pionnier africain

Diplomate brillant et premier secrétaire général de l’OUA, Diallo Telli fut une figure majeure du panafricanisme. Son ascension fulgurante se heurta à la répression sanglante du régime de Sékou Touré. Retour sur une destinée tragique entre gloire et martyre politique.

L’histoire africaine contemporaine est jonchée de figures visionnaires, de bâtisseurs de nations et de martyrs politiques. Parmi eux, Boubacar Diallo Telli, premier secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), incarne à la fois l’espoir d’une Afrique unie et le drame des dérives autoritaires qui ont marqué le continent post-colonial. De sa brillante ascension diplomatique à son exécution tragique dans les geôles de Sékou Touré, Diallo Telli demeure une figure complexe, emblématique des promesses et des désillusions africaines.

Un diplomate au service du panafricanisme

Né en 1925 à Porédaka, en Guinée, Boubacar Diallo Telli fait partie de cette élite africaine formée sous le joug colonial. Major de sa promotion à l’École Nationale de la France d’Outre-Mer (ENFOM), il choisit la magistrature, une voie prestigieuse mais exigeante qui lui ouvre rapidement les portes des hautes sphères administratives. Après un passage à Dakar, il devient chef de cabinet du haut-commissaire de l’Afrique Occidentale Française (AOF), où il côtoie des figures politiques majeures telles que Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny.

L’accession de la Guinée à l’indépendance en 1958, après le célèbre « non » de Sékou Touré au référendum de De Gaulle, le propulse sur la scène internationale. Désormais, Diallo Telli s’investit pour l’affirmation diplomatique de son pays, notamment en menant la « bataille de l’ONU » pour garantir l’admission de la Guinée aux Nations Unies malgré l’hostilité française. Sa victoire dans cette épreuve lui confère une stature incontestable parmi les nouveaux leaders africains.

L’homme de l’OUA : un rêve d’unité africaine

En 1963, la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) marque une étape cruciale dans la quête d’un panafricanisme institutionnalisé. Alors que le continent est tiraillé entre des visions divergentes – le fédéralisme prôné par Kwame Nkrumah et l’indépendance progressive favorisée par Senghor et Houphouët-Boigny –, Diallo Telli est choisi comme premier secrétaire général de l’organisation. Ce choix est stratégique : il incarne une diplomatie mesurée, capable de naviguer entre les camps idéologiques opposés.

Son mandat est jalonné de défis immenses. Il œuvre pour la reconnaissance de l’OUA sur la scène internationale, engage l’organisation dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, et tente d’apaiser les tensions liées aux guerres d’indépendance, notamment en Angola et au Biafra. Mais l’OUA est loin d’être une structure homogène et puissante. Les divisions internes et la réticence des États à céder une part de leur souveraineté limitent son efficacité. De plus, son rôle reste entravé par la persistance des réseaux néocoloniaux, qui freinent l’émancipation totale du continent.

Une trahison politique orchestrée par Sékou Touré

Après huit années à la tête de l’OUA, Diallo Telli retourne en Guinée en 1972. Il aurait pu choisir l’exil diplomatique, mais son patriotisme l’incite à revenir servir son pays, malgré la dérive autoritaire de Sékou Touré. Il est nommé ministre de la Justice, un poste éminemment stratégique dans un régime où la répression est devenue systématique.

Cependant, dans une Guinée où la paranoïa du pouvoir atteint des sommets, son passé international le rend suspect aux yeux du dictateur. En 1976, Sékou Touré, obsédé par l’idée d’un complot « peul » visant à le renverser, orchestre une purge brutale visant les élites perçues comme des menaces. Diallo Telli est arrêté et envoyé dans l’infâme Camp Boiro, un centre de détention synonyme de terreur et de tortures.

Accusé sans preuve d’être le cerveau d’un complot imaginaire, il est soumis à la « diète noire », une forme de torture particulièrement cruelle consistant à priver le détenu de nourriture et d’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive. Après plusieurs semaines d’agonie, Diallo Telli succombe le 1er mars 1977. Son corps, comme celui de nombreuses autres victimes du régime, est jeté dans une fosse commune, effaçant ainsi toute trace de son existence.

Un héritage occulté et une réhabilitation tardive

Pendant des décennies, la figure de Diallo Telli demeure dans l’ombre, éclipsée par les récits officiels du régime guinéen. Ce n’est qu’après la mort de Sékou Touré en 1984 que son nom commence à être réhabilité. Aujourd’hui, il est reconnu comme un pionnier du panafricanisme et un fervent défenseur de l’unité africaine.

Son destin tragique illustre les paradoxes des indépendances africaines : alors que les nouveaux États cherchaient à se libérer du joug colonial, beaucoup ont sombré dans des dérives autocratiques, sacrifiant leurs propres élites sur l’autel d’une paranoïa politique. Diallo Telli, en tant que diplomate, juriste et visionnaire, incarne cette génération d’Africains pris au piège entre espoir d’émancipation et réalités brutales du pouvoir.

Un devoir de mémoire

L’histoire de Diallo Telli résonne encore aujourd’hui dans les débats sur la gouvernance et la démocratie en Afrique. Sa trajectoire met en lumière la nécessité de préserver la mémoire des figures qui ont œuvré pour l’unité et le progrès du continent, souvent au prix de leur vie.

Alors que l’Union Africaine, héritière de l’OUA, cherche à jouer un rôle plus affirmé sur la scène internationale, se souvenir de Diallo Telli n’est pas qu’un exercice historique : c’est une injonction à ne pas répéter les erreurs du passé et à honorer ceux qui ont cru en une Afrique forte, indépendante et unie.

Sources :

  1. Lewin, André. Diallo Telli : Le destin tragique d’un grand africain. Disponible en ligne : Guinee.net
  2. Diallo, Amadou. La mort de Telli Diallo. Disponible en ligne : Guinee.net
  3. Camp Boiro Memorial. Témoignages et archives sur les victimes du régime de Sékou Touré. Disponible en ligne : Camp Boiro Memorial
  4. Grioo.com. Le destin brillant et tragique de Diallo Telli (1925-1977). Disponible en ligne : Grioo.com
  5. Unesco. Histoire générale de l’Afrique, Volume VIII. Disponible en ligne : UNESCO
  6. Sory Camara, Mamadou. L’État postcolonial en Afrique et les figures du pouvoir autocratique. Université Cheikh Anta Diop, Dakar.
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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