Aniaba, un Africain à la cour du Roi Soleil

L’histoire d’Aniaba, prince assinien à la cour de Louis XIV, illustre l’ambiguïté des relations franco-africaines au XVIIe siècle. Un destin entre diplomatie, mirage et désillusion.

Une histoire oubliée de la diplomatie franco-africaine

Au XVIIe siècle, la cour de Louis XIV brillait de mille feux, attirant diplomates, aventuriers et figures exotiques. Parmi eux, un jeune prince d’Afrique de l’Ouest, Aniaba d’Assinie, évolua dans l’ombre des dorures de Versailles. Sa trajectoire fulgurante, de fils d’un roi ehotilé à officier dans l’armée française, fut un conte teinté d’ambiguïté et de manipulation politique. Mais qui était vraiment Aniaba ? Un véritable héritier d’un trône ou un pion dans la politique coloniale française ?

Nofi explore l’histoire fascinante d’Aniaba, prince exilé, baptisé sous le nom de Louis-Jean Aniaba, embrigadé dans la haute société française avant d’être renvoyé en Afrique, où ses rêves de grandeur se dissipèrent dans la poussière du désenchantement.

Un prince africain à la cour de Versailles

Une ascension inédite dans la France absolutiste

En 1688, le Saint-Louis, vaisseau de la Compagnie de Guinée, accoste à La Rochelle avec une cargaison inhabituelle : Aniaba et un autre jeune homme, Banga, présentés comme des nobles d’Assinie (actuelle Côte d’Ivoire). Offerts en otage aux Français, ces jeunes hommes sont porteurs d’un espoir pour le commerce et l’expansion française en Afrique. Rapidement, Aniaba est introduit à la cour de Louis XIV, un univers éblouissant où la mode des pages noirs et des exotiques intrigue autant qu’elle fascine.

Son intelligence et son adaptabilité lui valent une attention particulière : il est reçu par Bossuet, alors évêque de Meaux, qui supervise son baptême. Le Roi-Soleil lui-même accepte d’être son parrain, lui donnant ainsi le prénom de Louis. Ce parrainage n’est pas anodin : la France, qui cherche à s’implanter solidement sur la côte ouest-africaine, voit en Aniaba un moyen de faciliter ses ambitions expansionnistes.

Aniaba, l’instrument d’une ambition coloniale

L’engouement pour Aniaba ne repose pas sur une simple curiosité aristocratique. La France cherche alors à étendre son influence sur la Côte de l’Or, convoitée par les Hollandais et les Anglais. La présence d’un « prince africain » à Versailles doit servir une stratégie plus large : assoir la domination française sur cette région riche en or et en ressources.

Jean-Baptiste du Casse, gouverneur du Sénégal et fin stratège, mise sur Aniaba comme relai entre la France et Assinie. L’objectif ? Le préparer à reprendre le trône de son royaume natal, converti au christianisme et acquis aux intérêts français. En échange, la France espère obtenir des privilèges commerciaux, un accès aux mines d’or et un point d’ancrage pour l’expansion de la traite négrière.

Durant ses années en France, Aniaba n’est pas qu’un simple objet de curiosité. Il est formé au maniement des armes et devient officier dans un régiment de cavalerie, une nomination exceptionnelle pour un Africain à l’époque. Il bénéficie d’une rente confortable et se moule aux codes de l’aristocratie française, prouvant ainsi sa capacité d’adaptation à cet univers impitoyable.

Le retour en Afrique : un exil doré qui tourne au désenchantement

Aniaba, un Africain à la cour du Roi Soleil
Le roy d’Eissenie, gravure d’Henri Bonnart représentant « Louis, Anabia, prince d’Eissenie, royaume de la côte d’Or ».

En 1701, la situation de la France en Afrique de l’Ouest reste fragile. Le Roi-Soleil, lassé de ce prince exotique qui n’a plus de fonction à remplir à la cour, décide de le renvoyer en Assinie avec l’espoir qu’il puisse y prendre le pouvoir. Il quitte la France sur un navire, escorté par des missionnaires et des marchands, dans l’illusion qu’il y sera reçu en souverain.

Mais à son arrivée, la réalité le frappe durement. Son statut de roi présumé est remis en cause. La transmission du pouvoir chez les Ehotilés étant matrilinéaire, il n’a aucun droit légitime à régner. Le véritable roi Akassiny le considère avec suspicion et refuse de lui accorder une quelconque autorité. Pire, les Français eux-mêmes, comprenant qu’il ne leur sera d’aucune utilité, le laissent à son sort.

Aniaba se retrouve alors isolé, prisonnier d’un entre-deux culturel. Trop européen pour être pleinement accepté par les siens, trop africain pour retourner en France avec honneur. Certains récits affirment qu’il a fini ses jours comme conseiller d’un chef local au Togo, sous le nom de Hannibal. D’autres le placent à Libourne, en France, où il serait revenu discrètement. Quoi qu’il en soit, il s’efface progressivement de l’histoire, loin des fastes de Versailles.

Un pion sacrifié sur l’autel des ambitions françaises

L’histoire d’Aniaba est celle d’un homme coincé entre deux mondes, entre promesse et désillusion. Son ascension spectaculaire à Versailles était un écran de fumée, une opération diplomatique réglée au millimètre pour servir les intérêts coloniaux français. Son retour en Afrique a exposé l’inanitié de ce projet : il n’était ni légitime pour régner, ni assez européen pour poursuivre une carrière en France.

Figure tragique, Aniaba incarne les illusions brisées d’un empire qui voulait régner sur le destin des hommes comme sur les territoires. Son histoire rappelle les désillusions profondes de la rencontre entre l’Europe et l’Afrique à l’aube de la colonisation. l’Europe et l’Afrique.

Sources

  1. Diabaté, Henriette. Aniaba, un Assinien à la Cour de Louis XIV. 1975.
  2. Chrétien, Jean-Pierre. Histoire de l’Afrique. Flammarion, 2000.
  3. Blanchard, Pascal et Bancel, Nicolas. Colonisation et propagande : L’image de l’Afrique en France. La Découverte, 2008.
  4. Sayad, Abdelmalek. La Double Absence : Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré. Seuil, 1999.
  5. Rapports de la Compagnie de Guinée (1688-1701). Archives Nationales de France.
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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