Le racisme n’est pas un accident de l’Histoire, c’est un projet. Il s’adapte, mute et se réinvente, mais son essence demeure : diviser, hiérarchiser, dominer. De la malédiction biblique de Cham à l’esclavage transatlantique, du colonialisme au racisme scientifique, et de la ségrégation à l’islamophobie, le racisme s’est toujours ajusté aux besoins politiques et économiques des sociétés qui l’exploitent. Comprendre cette dynamique, c’est comprendre comment l’Occident a justifié et continue de justifier ses systèmes d’oppression.
Le racisme, une construction historique
Le racisme n’a rien de naturel. Il ne repose pas sur une hostilité biologique inscrite dans nos gènes, mais sur des structures de pouvoir qui façonnent la manière dont nous percevons l’Autre. Ce n’est pas la couleur de peau qui fait le racisme, mais la hiérarchisation sociale et politique de cette couleur.
L’Occident, en s’affirmant comme le centre du monde, a construit des récits de supériorité, d’abord religieux, puis pseudo-scientifiques, puis culturels. À chaque époque, la justification de l’oppression évolue, mais son but reste le même : légitimer la domination d’un groupe sur un autre.
De la théologie à la justification divine
L’idée d’une humanité hiérarchisée n’est pas universelle. Dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains méprisaient les étrangers (les « barbares »), mais ils ne parlaient pas de « races ». Un esclave pouvait devenir citoyen, et ce n’était pas sa couleur de peau qui le définissait, mais son statut social.
Avec le christianisme, un nouveau récit s’impose : tous les hommes sont égaux devant Dieu, du moins en théorie. Mais dès le Moyen Âge, une première exception apparaît : les Juifs. Accusés d’être « le peuple déicide » (responsable de la crucifixion de Jésus), ils sont progressivement exclus des guildes, des métiers nobles et assignés à des quartiers spécifiques.
Puis vient la conquête de l’Irlande par les Anglais (XIIIe siècle) et l’expansion germanique en Europe de l’Est : on interdit aux peuples conquis de se marier avec les envahisseurs, d’accéder à certaines professions, de posséder des terres. Ce n’est pas encore du racisme au sens biologique, mais une discrimination systémique justifiée par des impératifs de domination.
L’esclavage et la naissance du racisme « moderne »
Le XVᵉ siècle change tout. Avec la découverte de l’Afrique subsaharienne et la traite atlantique, les Européens doivent justifier l’injustifiable : la réduction d’êtres humains en marchandises.
- D’abord, on affirme que les Noirs sont païens, et que l’esclavage est un moyen de les « sauver ».
- Ensuite, quand certains se convertissent au christianisme, on trouve une autre justification : la malédiction de Cham.
La malédiction de Cham, c’est quoi ? C’est un mythe biblique détourné : Cham, fils de Noé, aurait été maudit pour avoir vu son père ivre et nu, et ses descendants (associés aux peuples africains) auraient été condamnés à l’esclavage pour l’éternité. Une interprétation biaisée et sciemment utilisée pour légitimer la traite négrière.
À partir du XVIᵉ siècle, le Noir devient « naturellement » inférieur, non plus pour des raisons religieuses, mais parce que sa couleur est vue comme un signe d’avilissement. L’association entre peau noire et servilité est scellée.
Le siècle des Lumières… et des ténèbres raciales
On pourrait croire qu’avec l’essor des Lumières et des idées d’égalité, le racisme s’effondrerait. Mais c’est l’inverse qui se produit.
À mesure que les philosophes européens proclament que tous les hommes naissent libres et égaux, ils trouvent des justifications pseudo-scientifiques à l’infériorité des non-Blancs.
- Carl von Linné (naturaliste suédois) établit une classification raciale :
- Les Européens : intelligents et civilisés.
- Les Africains : paresseux et gouvernés par leurs instincts.
- Buffon (naturaliste français) explique que les Européens sont intellectuellement supérieurs parce qu’ils ont dû développer l’agriculture, tandis que les Africains se contentaient de « cueillir des bananes ».
Le racisme cesse d’être religieux pour devenir « scientifique ». La machine est lancée.
Darwin, Gobineau et le racisme « scientifique »
Avec la théorie de l’évolution de Darwin (XIXe siècle), les racistes trouvent un nouvel outil : la sélection naturelle. L’idée ? Les races évoluent différemment et certaines sont plus « avancées » que d’autres.
Joseph Arthur de Gobineau, avec son « Essai sur l’inégalité des races« , pose les bases du racisme biologique :
- Il y aurait des races supérieures (les Blancs, surtout les Aryens).
- Il y aurait des races inférieures (Africains, Asiatiques).
- Et tout métissage serait une dégénérescence.
Aux États-Unis, en Virginie, on interdit aux esclaves affranchis de devenir citoyens. L’esclavage devient racial : être Noir signifie être esclave, même si on est chrétien.
Ce racisme scientifique va justifier la ségrégation, l’eugénisme, et plus tard le nazisme.
Adapter l’oppression
L’Europe du XIXe siècle domine le monde. Les empires coloniaux s’étendent en Afrique et en Asie, et le racisme est utilisé comme un outil de domination.
- Le colonialisme est justifié par l’idée que les races « inférieures » ont besoin des Européens pour se civiliser.
- L’apartheid en Afrique du Sud et les lois Jim Crow aux États-Unis institutionnalisent la séparation raciale.
- L’eugénisme sert à stériliser les « indésirables » en Allemagne, aux États-Unis et même en France.
À chaque époque, les sociétés occidentales trouvent de nouvelles manières d’exploiter et d’exclure les minorités.
Un racisme plus subtil, mais toujours présent
Après la Seconde Guerre mondiale, le monde découvre les horreurs du nazisme. Le racisme biologique devient indéfendable.
Mais le racisme ne disparaît pas, il se transforme :
- Le discours devient culturel : « ce n’est pas une question de race, mais d’incompatibilité culturelle ».
- L’islamophobie remplace l’antisémitisme dans les discours d’extrême droite.
- Les statistiques sur la criminalité ou le chômage sont utilisées pour « prouver » l’infériorité des minorités.
Le racisme n’a pas disparu, il s’est adapté aux nouvelles normes sociales.
Déconstruire pour reconstruire
L’histoire du racisme en Occident est celle d’une oppression qui change de masque, mais jamais de nature. Comprendre son évolution, c’est comprendre comment il fonctionne encore aujourd’hui. Et si le racisme s’est construit, il peut aussi se déconstruire.
Le combat continue.