Résister avec dignité : L’ultime discours du Roi Béhanzin

Le dernier discours du roi Béhanzin est un cri d’honneur et de résistance face à l’impérialisme français, une leçon intemporelle de dignité et de courage.

Un cri d’honneur face à l’invasion coloniale

Le 20 janvier 1894, le Roi Béhanzin d’Abomey prononça un discours poignant qui marqua un tournant dans l’histoire du Dahomey, aujourd’hui connu sous le nom de Bénin. Ce discours est prononcé dans un contexte dramatique : depuis plusieurs années, le royaume lutte contre l’invasion des troupes françaises menées par le général Alfred Dodds1. Face à une armée mieux équipée et plus nombreuse, les forces dahoméennes, composées de soldats et des célèbres amazones, sont peu à peu défaites.

Résister avec dignité : L’ultime discours du Roi Béhanzin
Au Dahomey. Le Général Dodds. Le Petit journal. Numéro 106. Supplément illustré (1892-12-03).

Béhanzin, monarque charismatique et farouche défenseur de l’indépendance de son peuple, se trouve alors dans une position intenable. Plutôt que de se rendre sans honneur, il choisit de prononcer ce discours d’adieu, un hommage à ses guerriers et un acte de dignité suprême. Ce texte puissant résonne comme un écho de la résistance africaine face au colonialisme et une leçon de courage face à l’adversité.

Discours du Roi Béhanzin

Résister avec dignité : L’ultime discours du Roi Béhanzin

Portrait de Béhanzin (1844-1900), roi du Dahomey (Bénin) – Gravure de Navellier dans « Le Journal Illustré » de 1892 · Edouard Felicien Eugene Navellier

Dans son allocution, le Roi Béhanzin ne se contente pas de déplorer les pertes. Il célèbre la bravoure de son armée et la grandeur des sacrifices consentis par son peuple. Ce discours est une élégie, un chant d’adieu et un serment de fidélité à la mémoire des ancêtres. Béhanzin y fait preuve d’une humanité déchirante, tout en transmettant un message d’espoir et de résilience. Voici le texte complet de cet ultime discours :

Compagnons d’infortune, derniers amis fidèles, vous savez dans quelles circonstances, lorsque les Français vinrent accaparer la terre de nos aïeux, nous avons décidé de lutter.

Nos combattants s’étaient levés par milliers pour défendre le Dahomey et son Roi.

Avec fierté, l’on reconnaissait en eux la même bravoure qu’avaient manifestée les guerriers d’Agadja2, de Tegbessou3, de Guézo4 et de Glèlè5. Dans toutes les batailles, j’étais à leurs côtés, et nous avions la certitude de marcher à la victoire. Cependant, malgré la justesse de notre cause et leur vaillance, nos troupes compactes furent décimées.

Et maintenant, ma voix éplorée n’éveille plus d’écho.

Où sont-elles, les ardentes amazones qu’enflammait une sainte colère ?

Où, leurs chefs indomptables : Goundémè, Yéwè, Kétungan ?

Où sont mes valeureux compagnons d’armes ?

Où, leurs robustes capitaines : Godogbé, Chachabloukou et Godjila ?

Qui chantera leurs héroïques sacrifices ? Qui dira leur générosité ?

Hardis guerriers, de votre sang, vous avez scellé le pacte de la suprême fidélité.

Oserais-je me présenter devant vous si je signais le papier du général ?

Je ne veux pas qu’aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à mes pieds.

Quand je vous reverrai, je veux que mon ventre s’ouvre à la joie.

C’est pourquoi à mon destin, je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas sur une armée ennemie ou des adversaires condamnés au silence du cachot. Est vraiment victorieux, l’homme resté seul, qui continue de lutter dans son cœur.

À présent, qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?

Qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?

Advienne de moi ce qu’il plaira à Dieu !

Partez ! Vous aussi, derniers amis vivants.

Rejoignez Abomey où les nouveaux maîtres promettent douce alliance, vie sauve et paraît-il, la liberté.

Là-bas, on dit que déjà renaît la joie.

Là-bas, on prétend que les blancs vous seront favorables comme la pluie qui drape les flamboyants de velours rouge, ou le soleil qui dore la barbe soyeuse des épis.

Compagnons disparus, héros inconnus d’une tragique épopée, voici l’offrande du souvenir, un peu d’huile, un peu de farine et du sang de taureau.

Voici le pacte renouvelé avant le grand départ.

Adieu, soldats, adieu !

Guédébé… Reste debout, comme moi, comme un homme libre. Puisque le sang des soldats tués garantit la résurrection du Dahomey, il ne faut plus que coule le sang. Les ancêtres n’ont plus que faire de nos sacrifices. Ils goûteront mieux le pur hommage de ces cœurs fidèles unis pour la grandeur de la patrie.

C’est pourquoi j’accepte de m’engager dans la longue nuit de la patience où germent des clartés d’aurore.

Guédébé, comme le messager de la paix, va à Goho où campe le général Dodds.

Va dire au conquérant qu’il n’a pas harponné le requin.

Va lui dire que demain, dès la venue du jour, de mon plein gré, je me rends au village de Yégo.

Va lui dire que j’accepte, pour la survie de mon peuple, de rencontrer dans son pays, selon sa promesse, le président des Français. 

Notes et références

  1. Le général Alfred Dodds était un officier franco-sénégalais, né en 1842 et décédé en 1922. Il est surtout connu pour avoir dirigé les troupes françaises lors de la conquête du royaume du Dahomey (aujourd’hui Bénin) entre 1892 et 1894. Officier de carrière, Dodds joua un rôle central dans l’expansion coloniale française en Afrique de l’Ouest, contribuant à asseoir la domination française sur plusieurs territoires. ↩︎
  2. Agadja (1708-1740) : Roi du Dahomey, Agadja est connu pour avoir consolidé et étendu le royaume. Sous son règne, il conquit Allada et Whydah (Ouidah), des centres stratégiques du commerce atlantique, incluant la traite négrière. Il est souvent considéré comme un stratège militaire qui posa les bases de la puissance économique et militaire du Dahomey en établissant des relations complexes avec les puissances européennes tout en affirmant l’autonomie de son royaume. ↩︎
  3. Tegbessou (1740-1774) : Successeur d’Agadja, Tegbessou renforça l’économie du Dahomey grâce au commerce des esclaves et des biens avec les Européens. Son règne est marqué par une centralisation accrue du pouvoir royal et une organisation plus structurée de l’armée. Il est également connu pour son rôle dans l’établissement des rituels liés à la monarchie, consolidant ainsi l’influence culturelle du royaume. ↩︎
  4. Guézo (1818-1858) : L’un des rois les plus célèbres du Dahomey, Guézo modernisa l’armée du royaume, notamment en renforçant le corps des Amazones. Il mena une série de réformes économiques et sociales, notamment dans l’agriculture, pour réduire la dépendance au commerce des esclaves alors en déclin. Son règne est souvent considéré comme un âge d’or du Dahomey, marqué par un équilibre entre résistance militaire et développement interne. ↩︎
  5. Glèlè (1858-1889) : Fils de Guézo, Glèlè poursuivit la politique expansionniste et militaire de son père. Sous son règne, les tensions avec les puissances européennes, notamment la France, augmentèrent, en raison de l’expansion coloniale. Glèlè maintint cependant l’indépendance du Dahomey jusqu’à sa mort, préparant son fils et successeur, Béhanzin, à affronter directement l’invasion coloniale. ↩︎

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

News

Inscrivez vous à notre Newsletter

Pour ne rien rater de l'actualité Nofi ![sibwp_form id=3]

You may also like