Déconstruire le colorisme et ses racines historiques

Plongez avec nous au cœur des origines et impacts du colorisme. De Hollywood aux sociétés afro-descendantes, découvrons ensemble comment la couleur de peau continue de façonner perceptions, opportunités et identités.

Dans l’univers silencieux du reflet, la peau dévoile une histoire que le monde entier refuse parfois de voir. Cette histoire, c’est celle du colorisme—une forme insidieuse de discrimination au sein des communautés ethniques, fondée sur des hiérarchies de couleur de peau. Alors que le racisme cible les groupes raciaux dans leur ensemble, le colorisme s’attaque aux nuances, imposant des privilèges à celles et ceux dont la carnation est plus claire, tout en marginalisant les peaux plus sombres.

Aujourd’hui, des personnalités comme Viola Davis et Lupita Nyong’o dénoncent publiquement cette dynamique, mais le colorisme reste ancré dans des siècles d’histoire et de normes culturelles qui perdurent encore. Explorons ses origines, ses manifestations, et les moyens de le combattre.

La naissance d’une hiérarchie chromatique

Le colorisme trouve ses racines dans l’époque esclavagiste, quand les colons européens ont introduit des hiérarchies sociales basées sur la carnation. Les esclaves à la peau plus claire, souvent issus de relations forcées entre des maîtres blancs et des femmes noires, étaient privilégiés et affectés à des tâches domestiques dans les maisons des plantations. En revanche, leurs homologues à la peau plus sombre travaillaient dans les champs, subissant des conditions de vie et de travail bien plus dures.

Déconstruire le colorisme et ses racines historiques
Femmes de couleur libres avec leurs enfants et leurs serviteurs, huile sur toile d’Agostino Brunias, Brooklyn Museum, New York.

Cette distinction était stratégique—en divisant les esclaves par la couleur de leur peau, les colons renforçaient leur contrôle et minimisaient les risques de rébellion collective. Ces divisions ont été perpétuées après l’abolition de l’esclavage, les sociétés post-coloniales valorisant souvent la peau claire comme un signe de statut, d’éducation et de prospérité.

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Un individu plus sombre qu’un sac en papier brun s’est vu refuser des privilèges.

Dans des pays comme la Jamaïque ou le Brésil, la devise « blanquear la raza » (éclaircir la race) était explicitement encouragée, tandis que dans le sud des États-Unis, des pratiques comme le « paper bag test » (test du sac en papier) étaient utilisées pour exclure les personnes à la peau plus sombre de certains espaces sociaux.

Hollywood et l’écran des illusions

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La comédienne et actrice Leslie Jones lors de la remise des prix ESSENCE Black Women in Hollywood 2021 à Los Angeles. Randy Shropshire/Getty Images

Le colorisme ne se limite pas aux interactions quotidiennes—il est également amplifié par les médias et l’industrie du divertissement. Hollywood, souvent accusé de promouvoir un idéal eurocentré de beauté, continue de privilégier les actrices noires à la peau claire pour les rôles principaux, laissant peu de place aux femmes à la peau sombre.

Zoe Saldaña au Festival international du film de Toronto 2024.

En 2016, la controverse autour de Zoe Saldana interprétant Nina Simone a mis en lumière ces dynamiques. Non seulement Saldana est naturellement plus claire que Simone, mais elle a été maquée pour assombrir artificiellement sa peau—un choix qui a été largement critiqué comme une forme de « blackface » moderne. Pendant ce temps, des talents comme Viola Davis ou Leslie Jones luttent contre les stéréotypes qui limitent leurs opportunités professionnelles.

Viola Davis au Comic-Con de San Diego en 2016.

Ce phénomène n’est pas limité aux femmes. Les hommes noirs à la peau sombre sont souvent cantonnés à des rôles d’émissaires de la violence ou de l’intimidation, tandis que leurs homologues à la peau plus claire sont présentés comme des héros ou des figures romantiques. Ces choix créent un cycle où les préjugés sont reproduits, consolidés et diffusés à grande échelle.

Un problème global—pas seulement africain

Bien que le colorisme ait des racines profondes dans les communautés noires, il n’est pas limité à celles-ci. En Asie du Sud et en Asie de l’Est, la peau claire est souvent perçue comme un signe de noblesse et de richesse, tandis que la peau foncée est associée aux travailleurs des champs. En Inde, l’industrie des produits blanchissants est en plein essor, alimentée par des publicités qui promettent un mariage réussi ou un emploi rémunérateur grâce à une peau plus claire.

« La Rédemption de Cham », Modesto Brocos Gómez, 1895. Une famille brésilienne dont chaque génération devient plus « blanche » (grand-mère noire, mère mulâtre et bébé blanc).

Dans les Caraïbes et l’Amérique latine, des phrases comme « mejorar la raza » (améliorer la race) traduisent une obsession culturelle pour l’éclaircissement générationnel. Cette dynamique est souvent le reflet de l’histoire coloniale et du métissage imposé par les colons européens, qui valorisaient les traits européens tout en rabaissant les traits africains et indigènes.

Le rôle des médias et de la société

Les normes de beauté européennes, souvent renforcées par les médias mondiaux, jouent un rôle central dans la perpétuation du colorisme. Des marques internationales de cosmiques aux plateformes de réseaux sociaux, le message sous-jacent reste clair : une peau plus claire est plus désirable. Ce message est si omniprésent que même les enfants en sont affectés.

L’expérience emblématique de Kenneth et Mamie Clark sur les poupées dans les années 1940, où des enfants noirs préféraient des poupées blanches à leurs homologues noires, révèle à quel point ces préjugés sont internalisés tôt. Aujourd’hui encore, des enquêtes similaires montrent que les jeunes filles préfèrent souvent des modèles de beauté plus européens.

Combattre le colorisme

La peinture de genre Fascinação a été créée par le peintre Pedro Peres en 1904. La scène montre les différences raciales dans la construction des normes de beauté dans la société brésilienne.

Alors, comment change-t-on un système qui valorise la peau claire tout en marginalisant la peau foncée ? Voici quelques pistes pour éveiller les consciences et amorcer un changement :

  1. Représentation diversifiée Les médias doivent s’engager à représenter une diversité authentique de tons de peau. C’est l’une des raisons pour lesquelles des figures comme Lupita Nyong’o sont si importantes—elles redéfinissent ce qui est considéré comme beau.
  2. Éducation historique Enseigner l’histoire du colorisme dans les écoles peut aider à déconstruire les préjugés chez les jeunes. Comprendre d’où viennent ces normes aide à en reconnaître les absurdités.
  3. Normes de beauté inclusives Les industries de la mode et de la beauté doivent cesser de valoriser un seul type de beauté. La campagne « Fenty Beauty » de Rihanna est un exemple inspirant d’une marque qui embrasse tous les tons de peau.
  4. Changements culturels internes Les communautés doivent s’attaquer à leurs propres préjugés. Il est essentiel de dénoncer les pratiques discriminatoires telles que le « paper bag test » et d’élever des discussions sur la valeur inhérente de chaque nuance.

Une beauté réappropriée

Le combat contre le colorisme est autant une lutte pour l’égalité qu’une quête de dignité. Il ne s’agit pas simplement de corriger des préjugés—il s’agit de créer un monde où toutes les nuances sont non seulement acceptées, mais célébrées.

Chaque visage, chaque ton, chaque texture raconte une histoire unique. En rejetant les hiérarchies destructrices et en élevant nos voix collectives, nous pouvons redéfinir la beauté, non pas comme une norme à atteindre, mais comme une mosaïque vibrante et inclusive. La peau, après tout, n’est pas seulement une enveloppe—elle est une preuve vivante de résilience, d’héritage et de possibilités infinies.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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