La traite négrière transatlantique représente l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité. Sur environ quatre siècles, des millions d’Africains ont été déportés, vendus et contraints à l’esclavage, avec des impacts qui se répercutent encore aujourd’hui dans les sociétés du monde entier. Nofi retrace les étapes de cette entreprise économique et inhumaine, de ses prémices à son abolition progressive, en passant par son apogée.
I. Les prémices de la traite (XVe – XVIe siècles)
Les premiers contacts entre les marchands européens et les régions africaines, notamment le long de la côte ouest, marquent le début d’un commerce brutal qui allait perdurer pendant plusieurs siècles. Cette période est caractérisée par une série d’événements qui ont progressivement établi les fondations de la traite négrière transatlantique. Les motivations économiques, les innovations technologiques, les justifications idéologiques et les alliances complexes entre Européens et Africains ont contribué à la mise en place d’un système d’exploitation humaine à grande échelle.
1415 : La prise de Ceuta
Sous le règne du roi Jean Ier de Portugal, les forces portugaises s’emparent de Ceuta, une ville portuaire stratégique au nord du Maroc, le 21 août 1415. Cette conquête marque le début des ambitions coloniales portugaises en Afrique du Nord et constitue un tournant dans l’histoire de l’expansion européenne. Ceuta, riche en commerce et en ressources, devient un point d’ancrage pour les expéditions maritimes qui s’ensuivront le long des côtes africaines.
La prise de Ceuta est motivée par le désir de contrôler les routes commerciales transsahariennes, sources d’or, d’épices et d’autres produits exotiques. Elle inaugure également une transition vers des échanges humains forcés. Les Portugais réalisent que le contrôle des routes maritimes peut leur offrir un avantage économique considérable. Ceuta sert de base pour les explorations futures, notamment celles encouragées par le prince Henri le Navigateur, fils du roi Jean Ier, qui joue un rôle clé dans le développement de la navigation portugaise et l’exploration des côtes africaines.
1441 : Les premières captures portugaises
Sous l’impulsion du prince Henri le Navigateur, des explorateurs tels qu’Antão Gonçalves et Nuno Tristão atteignent les côtes de l’Afrique de l’Ouest en 1441, notamment le Cap Blanc (actuelle Mauritanie). À l’origine, ces expéditions visent à découvrir de nouvelles routes commerciales et à accéder aux richesses de l’Afrique, comme l’or et l’ivoire.
Cependant, une rupture majeure se produit lorsque les Portugais capturent plusieurs Africains pour les ramener en Europe. Ces premiers captifs, arrachés à leurs familles et à leurs terres, sont réduits en esclavage et servent de domestiques ou de main-d’œuvre en péninsule ibérique. Cet événement marque le début de la transformation des contacts euro-africains en un système économique d’exploitation humaine systématique. Encouragé par les profits et la demande croissante en main-d’œuvre, le Portugal intensifie ses activités de capture et de commerce d’esclaves, établissant les bases d’un commerce qui sera rapidement adopté par d’autres puissances européennes.
1455 : La bulle « Romanus Pontifex«
En 1455, le pape Nicolas V émet la bulle pontificale « Romanus Pontifex« , un document qui accorde aux Portugais le droit exclusif de conquérir, de coloniser et de réduire en esclavage les peuples non chrétiens d’Afrique et d’ailleurs. Cette bulle confère une légitimité religieuse aux expéditions portugaises et à la soumission des populations africaines, sous le prétexte de diffuser la foi chrétienne.
La bulle « Romanus Pontifex » va bien au-delà d’une simple autorisation commerciale. Elle établit une justification théologique pour l’exploitation des Africains, soutenue par des concepts de supériorité religieuse et culturelle. Ce document pose les bases d’une idéologie raciste qui va se renforcer au fil des siècles, consolidant une vision déshumanisante des Africains aux yeux des Européens. En sanctifiant les conquêtes portugaises, la papauté facilite l’extension de la traite et l’établissement de forts le long des côtes africaines.
1481 : Fondation du fort d’Elmina
En 1481, le roi Jean II de Portugal ordonne la construction du fort São Jorge da Mina, plus connu sous le nom de fort d’Elmina, sur la côte de l’actuel Ghana. Achevé en 1482, ce fort est le premier établissement commercial permanent des Européens en Afrique subsaharienne. Initialement destiné au commerce de l’or, Elmina devient rapidement un centre crucial pour la traite des esclaves.
Le fort d’Elmina représente un modèle pour les futurs établissements européens en Afrique, alliant activités économiques et exploitation humaine. Il comprend des entrepôts, des quartiers pour les marchands, des zones de détention pour les captifs et des installations militaires pour protéger les intérêts portugais. En sécurisant ce fort, le Portugal consolide sa position dominante dans le commerce transatlantique naissant. Elmina devient un point de départ pour des milliers d’Africains déportés vers les Amériques, contribuant à l’essor de la traite négrière.
1488 : Le Cap de Bonne-Espérance
En 1488, l’explorateur portugais Bartolomeu Dias contourne pour la première fois le Cap de Bonne-Espérance, à l’extrémité sud de l’Afrique. Cette expédition audacieuse ouvre la voie aux liaisons maritimes entre l’Europe et l’Asie sans passer par les terres contrôlées par les Ottomans et autres puissances musulmanes. Bien que l’objectif initial soit de trouver une route vers les riches marchés des épices de l’Inde, cette découverte renforce les capacités des navigateurs portugais et stimule le commerce avec l’Afrique subsaharienne.
Le contournement du Cap de Bonne-Espérance marque une étape cruciale dans la constitution d’un empire commercial global pour le Portugal. Les contacts avec les côtes orientales de l’Afrique permettent également d’étendre la traite des esclaves. L’Afrique devient ainsi une plaque tournante pour l’approvisionnement en main-d’œuvre destinée aux colonies portugaises en Asie et, plus tard, aux Amériques.
1494 : Le traité de Tordesillas
Le 7 juin 1494, les monarques espagnols Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, ainsi que le roi du Portugal Jean II, signent le traité de Tordesillas. Ce traité, approuvé par le pape, divise le monde non européen en zones d’influence entre les deux puissances ibériques. L’Espagne obtient les territoires situés à l’ouest d’une ligne imaginaire, tandis que le Portugal contrôle ceux à l’est, incluant les côtes africaines et, par extension, le Brésil.
Ce traité consolide l’influence portugaise en Afrique et officialise son monopole sur les routes d’approvisionnement en esclaves. En attribuant aux Portugais le contrôle exclusif de ces zones, le traité favorise l’organisation d’un système transatlantique où l’Afrique sert de réservoir de main-d’œuvre pour les nouvelles colonies d’Amérique. Il établit les bases légales de la traite organisée, permettant aux Portugais de développer un réseau commercial étendu, basé sur l’exploitation des ressources humaines et naturelles.
Fin du XVe siècle : Les « découvertes » des Amériques et la demande croissante de main-d’œuvre
La « découverte » des Amériques par Christophe Colomb en 1492 ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire mondiale. Les nouvelles terres explorées par les Espagnols et les Portugais, telles que les îles des Caraïbes, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, offrent des ressources naturelles abondantes, notamment en métaux précieux et en terres propices à l’agriculture.
Cependant, l’exploitation de ces richesses nécessite une main-d’œuvre importante. Les populations autochtones, soumises à des conditions de travail extrêmes, sont rapidement décimées par les maladies importées d’Europe, contre lesquelles elles n’ont aucune immunité, ainsi que par les mauvais traitements. Face à cette catastrophe démographique, les colons européens cherchent à combler le vide en important des esclaves africains.
L’idée d’utiliser la main-d’œuvre africaine prend alors de l’ampleur. Les Africains sont perçus comme plus résistants aux maladies tropicales et moins susceptibles de s’échapper dans un environnement inconnu. La mise en place des routes maritimes entre l’Afrique et les Amériques s’intensifie pour répondre à cette demande croissante. Les Portugais, forts de leur expérience en Afrique, jouent un rôle clé en fournissant des esclaves aux colonies espagnoles et portugaises du Nouveau Monde.
Début du XVIe siècle : Alliances et complicités locales
Au début du XVIe siècle, les Européens, en particulier les Portugais, établissent des relations commerciales avec certains royaumes africains côtiers, tels que le royaume du Kongo et le royaume du Bénin. Ces alliances, parfois établies sous la pression ou par le biais de traités inégaux, permettent aux Portugais d’obtenir des captifs pour le commerce d’esclaves.
Certaines élites africaines participent à ce commerce, soit pour obtenir des armes, des textiles, de l’alcool et d’autres marchandises européennes, soit pour renforcer leur pouvoir politique et militaire face à des rivaux locaux. Toutefois, cette collaboration est complexe et souvent ambivalente. De nombreuses sociétés africaines résistent à la traite et subissent des raids, des trahisons et des violences de la part des Européens.
Ces complicités, même limitées, facilitent la structuration de la traite en Afrique de l’Ouest. Elles entraînent une intensification des guerres de capture, des déstabilisations politiques et des conflits interethniques alimentés par la demande européenne en esclaves. Le tissu social et politique de nombreuses régions africaines est profondément affecté par ce commerce, conduisant à des conséquences durables sur les sociétés africaines.
Début de l’idéologie esclavagiste en Europe
Les écrits de certains explorateurs, missionnaires et intellectuels européens contribuent à développer une idéologie justifiant l’esclavage des Africains. En 1453, le chroniqueur portugais Gomes Eanes de Zurara, mandaté par le prince Henri le Navigateur, rédige les « Chroniques de la découverte et de la conquête de Guinée« . Il y décrit les Africains comme des « païens » nécessitant conversion, présentant leur capture comme un acte de charité chrétienne et de civilisation.
Ces récits véhiculent une image déshumanisante des Africains en Europe, renforçant les préjugés et les stéréotypes raciaux. L’idée de supériorité culturelle, religieuse et bientôt raciale des Européens est utilisée pour légitimer l’exploitation et la traite des Africains. Cette idéologie sera renforcée par la suite, notamment avec le développement du concept de « race » au XVIIIe siècle, soutenant le système esclavagiste pendant des siècles.
La caravelle et les innovations en navigation
L’invention de la caravelle au milieu du XVe siècle est une avancée technologique majeure qui facilite l’exploration et le commerce maritimes. Ce navire, plus léger et maniable, équipé de voiles latines triangulaires et plus tard de voiles carrées, permet aux navigateurs de remonter le vent et de naviguer en haute mer avec plus de sécurité.
Les innovations en cartographie, comme l’utilisation de la boussole magnétique, de l’astrolabe et du quadrant, ainsi que les progrès en navigation astronomique, permettent aux marins de déterminer leur position en mer avec une précision accrue. Ces développements technologiques sont essentiels à la pérennisation de la traite transatlantique, offrant des moyens plus sûrs et plus rapides pour transporter les captifs africains vers les Amériques.
Les explorations menées par des navigateurs tels que Vasco de Gama, qui atteint l’Inde en contournant l’Afrique en 1498, démontrent les possibilités offertes par ces innovations. Elles ouvrent la voie à un commerce maritime mondial, où l’Afrique joue un rôle central en tant que fournisseur de main-d’œuvre esclave et de ressources.
II. Expansion de la traite (XVIe – XVIIe siècles)
Au XVIe et XVIIe siècles, la traite transatlantique se développe rapidement sous l’impulsion des puissances européennes, motivées par l’expansion de leurs colonies dans les Amériques et la croissance des économies sucrières, minières et agricoles. Le Portugal et l’Espagne sont rejoints par l’Angleterre, la France et les Pays-Bas, qui rivalisent pour le contrôle de ce commerce extrêmement lucratif. La traite devient progressivement un commerce structuré, institutionnalisé et soutenu par des infrastructures maritimes, des alliances politiques et des législations spécifiques, rendant l’esclavage indispensable aux économies coloniales.
1518 : Charles Quint autorise la traite vers les colonies espagnoles
En 1518, Charles Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint-Empire romain germanique, émet un décret crucial qui autorise officiellement l’importation d’Africains capturés vers les colonies espagnoles, notamment dans les Caraïbes. Ce décret intervient dans un contexte où les populations autochtones des Amériques sont décimées par les maladies européennes, les mauvais traitements et les travaux forcés, entraînant une pénurie de main-d’œuvre pour l’exploitation des plantations de canne à sucre, des mines d’or et d’argent.
En reconnaissant la traite des Africains comme une politique d’État, Charles Quint institutionnalise l’esclavage dans les colonies espagnoles. Il établit les asientos, des contrats royaux qui accordent à des individus ou des compagnies le droit exclusif de fournir des esclaves aux colonies espagnoles. Les marchands portugais, ayant une longueur d’avance dans le commerce des esclaves en Afrique, deviennent les principaux fournisseurs des colonies espagnoles.
Ce décret marque une étape fondamentale dans l’expansion de la traite transatlantique, faisant des Africains une ressource essentielle et durable pour l’économie coloniale espagnole. Il pose les bases d’un système économique où l’exploitation humaine est légalisée et encouragée par l’État, ancrant profondément le système esclavagiste dans les structures coloniales.
1562 : Première expédition anglaise d’esclaves
En 1562, le marchand et navigateur anglais John Hawkins organise la première expédition anglaise de traite négrière. Avec le soutien tacite de la reine Élisabeth I, Hawkins capture environ 300 Africains sur les côtes de la Sierra Leone, souvent par la force ou en exploitant des conflits locaux. Il les transporte ensuite vers les colonies espagnoles des Caraïbes, où il les vend comme esclaves en échange de perles, de peaux et de sucre.
Le succès financier de cette expédition incite Hawkins à organiser d’autres voyages, faisant de lui le pionnier du commerce négrier anglais. Ses expéditions attirent l’attention de nombreux investisseurs et marquent l’entrée officielle de l’Angleterre dans la traite transatlantique des esclaves. Hawkins adopte un modèle commercial qui combine piraterie, commerce illégal (car les Espagnols interdisent aux étrangers de commercer avec leurs colonies) et traite négrière, établissant un précédent pour les futurs marchands anglais.
Ces expéditions contribuent à renforcer les liens commerciaux entre l’Angleterre et les colonies du Nouveau Monde, tout en consolidant un modèle lucratif qui stimulera la participation britannique dans la traite. Elles posent les bases de l’implication croissante de l’Angleterre dans le commerce des captifs africains, qui deviendra une composante majeure de son empire colonial.
1571 : Développement des plantations de canne à sucre au Brésil
À partir de 1571, le Portugal met en œuvre une stratégie coloniale ambitieuse dans le Nordeste brésilien, notamment dans les régions de Bahia et de Pernambouc. Les vastes terres fertiles de ces régions sont idéales pour la culture de la canne à sucre, une denrée très prisée en Europe.
Pour exploiter ces plantations, les Portugais font appel massivement à la main-d’œuvre esclave africaine. Les captifs sont importés principalement d’Angola, du Congo et du Mozambique. Le travail dans les plantations de sucre est extrêmement pénible et dangereux, impliquant de longues heures sous un climat tropical, des risques d’accidents avec les moulins à sucre et une discipline sévère.
Le Brésil devient rapidement le premier producteur mondial de sucre, alimentant le marché européen et générant des profits considérables pour les colons portugais. Ce modèle de plantation repose sur une dépendance totale au travail forcé des esclaves africains, établissant un système économique et social basé sur l’exploitation et la ségrégation raciale.
Le succès économique des plantations sucrières brésiliennes influence d’autres colonies européennes, qui adoptent des modèles similaires dans les Caraïbes et en Amérique du Nord. Le développement de ces plantations intensifie la traite transatlantique, établissant des réseaux commerciaux d’une envergure sans précédent et renforçant l’idée de l’esclavage comme pilier des économies coloniales.
1619 : Les premiers esclaves africains en Virginie
En 1619, un navire hollandais, le White Lion, accoste à Jamestown, en Virginie, apportant avec lui une vingtaine d’Africains capturés, initialement arrachés à un navire négrier portugais. Ces individus sont vendus aux colons anglais et contraints de travailler dans les plantations de tabac.
Cet événement marque l’introduction officielle de l’esclavage africain dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord. Contrairement aux serviteurs sous contrat européens, qui pouvaient espérer la liberté après une période déterminée, ces Africains n’ont aucune perspective de libération ou de droits civiques. Leur statut est ambigu au début, mais au fil du temps, les colonies adoptent des lois codifiant l’esclavage héréditaire basé sur la race.
Le besoin croissant de main-d’œuvre pour les cultures de tabac, puis de coton et de riz, favorise l’expansion rapide de l’esclavage dans les colonies américaines. L’esclavage devient un élément central de l’économie coloniale et contribue à l’essor économique des colonies du Sud. Cet essor s’accompagne du développement d’une société fondée sur la ségrégation raciale et la suprématie blanche, dont les effets perdureront bien au-delà de l’abolition de l’esclavage.
1620 – 1640 : La création de compagnies européennes de commerce
Entre 1620 et 1640, plusieurs puissances européennes créent des compagnies commerciales pour monopoliser le commerce avec l’Afrique et les Amériques. Parmi les plus notables figurent :
- La Compagnie hollandaise des Indes occidentales (WIC), fondée en 1621 par les Pays-Bas, qui obtient le monopole du commerce avec l’Afrique de l’Ouest, les Amériques et les Caraïbes.
- La Compagnie française des Indes occidentales, créée en 1664 sous l’impulsion de Colbert, ministre de Louis XIV, visant à développer le commerce français dans les colonies.
Ces compagnies jouent un rôle majeur dans l’industrialisation de la traite transatlantique. Elles établissent des comptoirs et des forts le long des côtes africaines, tels que Gorée, Saint-Louis et Ouidah, pour faciliter le commerce des esclaves et sécuriser leurs intérêts face à la concurrence.
Le système du commerce triangulaire se met en place :
- De l’Europe à l’Afrique : Les navires transportent des produits manufacturés (armes, tissus, alcool) pour les échanger contre des captifs africains.
- De l’Afrique aux Amériques : Les captifs sont transportés vers les colonies lors du passage du milieu, dans des conditions inhumaines.
- Des Amériques à l’Europe : Les navires rapportent des matières premières coloniales (sucre, tabac, coton, café) pour alimenter les marchés européens.
Ce système intensifie la déportation des Africains et transforme l’économie mondiale en intégrant les trois continents dans un réseau commercial interdépendant. Les compagnies européennes accumulent des profits considérables, alimentant le capitalisme naissant et finançant des guerres et des expansions coloniales.
1642 : Fondation de la Compagnie royale d’Afrique
En 1642, le roi Charles Ier d’Angleterre fonde la Compagnie royale d’Afrique, accordant à cette entité le monopole du commerce des esclaves et des biens précieux en Afrique de l’Ouest. La compagnie établit des postes commerciaux et des forts, notamment sur la Gold Coast (actuel Ghana), pour sécuriser ses opérations.
La Compagnie royale d’Afrique joue un rôle crucial dans l’organisation systématique de la traite par les Anglais. Elle facilite l’acheminement de captifs africains vers les colonies anglaises des Caraïbes et de l’Amérique du Nord, renforçant la présence anglaise dans le commerce transatlantique.
L’implication directe de l’État anglais dans cette entreprise marque une étape importante dans l’industrialisation de la traite humaine. La compagnie dispose de ses propres navires, équipages et installations, lui permettant de contrôler efficacement le commerce des esclaves et de maximiser les profits. Cette organisation dépasse la simple expédition de navires marchands, créant une infrastructure commerciale et militaire dédiée à l’exploitation humaine.
1672 : Création de la Royal African Company en Angleterre
En 1672, sous le règne de Charles II, l’Angleterre fonde la Royal African Company, qui reçoit le monopole du commerce des esclaves africains et de l’or pour les colonies anglaises. La compagnie est dirigée par le duc d’York, futur roi Jacques II, ce qui souligne l’implication du plus haut niveau de l’État dans la traite.
La Royal African Company accroît considérablement le volume de captifs déportés grâce à une flotte dédiée et à des fortifications renforcées le long des côtes africaines. Elle établit de nouveaux forts, comme Cape Coast Castle, et améliore les installations existantes pour stocker les captifs avant leur embarquement.
Les profits générés par ce commerce renforcent la position économique de l’Angleterre et stimulent l’expansion de ses colonies. La compagnie joue un rôle central dans le financement de projets nationaux et militaires, contribuant à l’essor de la marine anglaise.
En apportant une infrastructure militaire et logistique à la traite, la Royal African Company donne à l’esclavage une dimension industrielle. Elle crée une forte dépendance économique des colonies à l’égard du travail esclave, tout en consolidant la position de l’Angleterre comme l’une des principales puissances négrières du monde.
1685 : Le Code noir en France
En 1685, le roi Louis XIV promulgue le Code noir, un recueil de 60 articles réglementant l’esclavage dans les colonies françaises, notamment les Antilles. Rédigé sous la supervision de Colbert, ce code vise à définir les droits et devoirs des esclaves et de leurs maîtres, ainsi qu’à encadrer la vie quotidienne dans les colonies.
Le Code noir :
- Institutionnalise l’esclavage en établissant un cadre juridique précis.
- Impose le baptême catholique aux esclaves, justifiant l’exploitation sous couvert de « christianisation« .
- Fixe les conditions de travail et de vie des esclaves, y compris les punitions corporelles autorisées.
- Interdit aux esclaves de porter des armes, de se réunir en groupes ou de pratiquer leur religion d’origine.
- Réglemente les relations entre maîtres et esclaves, y compris les mariages et la reconnaissance des enfants métis.
Le Code noir renforce la légitimité religieuse et légale de la traite et de l’esclavage. Il sert de modèle pour d’autres colonies européennes, solidifiant l’exploitation des Africains et consolidant un système social basé sur la hiérarchie raciale. Ce code a des conséquences durables sur la structuration des sociétés coloniales françaises et sur les relations raciales.
1698 : Fin du monopole de la Royal African Company
En 1698, sous la pression des marchands indépendants et des parlementaires, l’Angleterre décide de mettre fin au monopole de la Royal African Company. Le Parliamentary Act autorise désormais tout Anglais à commercer avec l’Afrique, à condition de payer une taxe de 10 % pour l’entretien des forts africains.
Cette libéralisation du commerce stimule la participation de nombreux marchands privés, connus sous le nom de « interlopers« . Le nombre de navires anglais impliqués dans la traite augmente considérablement, passant d’une dizaine à plus de cent par an au début du XVIIIe siècle.
Les colonies anglaises des Amériques et des Caraïbes reçoivent un flux continu de captifs africains, ce qui intensifie la dépendance des colonies à l’égard de l’esclavage. L’Angleterre devient alors la nation dominante dans le commerce transatlantique des esclaves, surpassant le Portugal et les Pays-Bas.
Cette ouverture du marché marque l’apogée de la traite négrière britannique, avec des dizaines de milliers d’Africains capturés et transportés chaque année. Les profits générés contribuent à financer la révolution industrielle en Angleterre, renforçant sa puissance économique et militaire.
III. L’Apogée de la traite (XVIIIe siècle)
Le XVIIIe siècle représente le point culminant de la traite transatlantique, caractérisé par une intensité sans précédent dans le commerce des esclaves africains. Ce siècle voit l’industrialisation du commerce triangulaire, l’expansion des plantations dans les Amériques et l’émergence des premiers mouvements abolitionnistes, marquant à la fois l’apogée et le début du déclin de la traite négrière.
1700 – 1800 : Des millions d’Africains déportés
Au cours du XVIIIe siècle, on estime que plus de 12,5 millions d’Africains sont capturés et déportés vers les Amériques. Les méthodes de capture s’intensifient et se systématisent, impliquant des raids organisés, des guerres interethniques attisées par les marchands européens, et des complicités forcées ou volontaires avec certains chefs africains. Les marchands d’esclaves européens fournissent des armes à feu et d’autres biens en échange de captifs, exacerbant les conflits locaux.
Une fois capturés, les Africains sont forcés de marcher sur de longues distances vers les côtes, souvent enchaînés les uns aux autres. Les conditions sont éprouvantes, et beaucoup périssent en route. Arrivés aux forts côtiers tels que Gorée, Ouidah ou Elmina, ils sont détenus dans des conditions inhumaines en attendant l’embarquement.
Le « passage du milieu« , la traversée de l’Atlantique, est marqué par des conditions atroces. Les captifs sont entassés dans les cales des navires négriers, sans espace pour bouger, dans une chaleur suffocante et une hygiène déplorable. La mortalité est extrêmement élevée, estimée entre 15 et 20 %, due à la surpopulation, aux maladies comme la dysenterie ou le scorbut, à la malnutrition, à la déshydratation et aux mauvais traitements infligés par l’équipage. Certains captifs se suicident pour échapper à leur sort, tandis que d’autres tentent des rébellions, souvent réprimées avec une extrême violence.
Malgré ces pertes humaines considérables, la traite devient un pilier de l’économie coloniale européenne. Les captifs africains sont vendus sur les marchés des Amériques et deviennent la main-d’œuvre indispensable aux plantations de sucre, de tabac, de coton, de café et d’autres cultures lucratives. Les profits engendrés par cette exploitation humaine enrichissent les puissances européennes, notamment la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne, et alimentent leur expansion économique, leur permettant de financer la révolution industrielle et d’accroître leur influence mondiale.
1713 : Le monopole britannique avec l’ »Asiento de Negros »
Le traité d’Utrecht en 1713, qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne, redessine la carte du pouvoir en Europe et a des répercussions majeures sur la traite transatlantique. L’Espagne accorde à la Grande-Bretagne le monopole de la fourniture d’esclaves aux colonies espagnoles d’Amérique du Sud, connu sous le nom d’« Asiento de Negros« . Cet accord stratégique permet aux Britanniques de dominer le commerce des esclaves, renforçant leur puissance maritime et commerciale.
Pour gérer ce monopole, la South Sea Company est créée en 1711, bien que le monopole ne soit accordé qu’en 1713. La compagnie intensifie le nombre de navires britanniques transportant des captifs africains vers les colonies espagnoles, profitant de ce commerce lucratif. Cette exclusivité accentue l’ampleur de la traite et contribue à faire de la Grande-Bretagne le principal acteur du commerce négrier au XVIII<sup>e</sup> siècle. Les revenus générés par l’Asiento contribuent à la prospérité économique britannique et à financer sa dette nationale.
1725 : Renforcement des Lois Noires en Louisiane
En 1724, la Louisiane, alors colonie française, introduit un Code Noir spécifique pour réglementer l’esclavage. Ce code, promulgué par le gouverneur Bienville, renforce les lois précédentes et définit strictement les droits des maîtres et les devoirs des esclaves. Il limite sévèrement les libertés des esclaves, interdit le mariage entre personnes de races différentes, impose la religion catholique et instaure des punitions brutales pour tout acte de rébellion ou d’insubordination. Le Code Noir de Louisiane s’inscrit dans la continuité du Code Noir de 1685 promulgué par Louis XIV, mais avec des restrictions encore plus sévères, reflétant la dépendance croissante des colonies envers l’esclavage pour le développement économique. Il institutionnalise le système esclavagiste et codifie la hiérarchie raciale au sein de la société coloniale.
1739 : La révolte de Stono en Caroline du Sud
Le 9 septembre 1739, la révolte de Stono éclate en Caroline du Sud, l’une des plus importantes insurrections d’esclaves dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord avant la Révolution américaine. Environ 20 esclaves africains, principalement originaires du royaume du Kongo et parlant portugais, sont dirigés par un homme nommé Jemmy. Ils s’emparent d’armes dans un entrepôt, tuent des colons blancs et incitent d’autres esclaves à se joindre à eux dans leur marche vers la Floride espagnole, où la liberté leur est promise en échange de leur conversion au catholicisme.
Le groupe atteint environ 100 personnes avant d’être confronté par la milice coloniale. La révolte est violemment réprimée, avec la mort de nombreux rebelles et la capture des survivants, qui sont exécutés ou vendus aux Caraïbes. La rébellion provoque une peur intense parmi les colons et conduit à l’adoption du Negro Act de 1740, une législation qui restreint encore davantage les droits des esclaves, interdisant l’éducation, les rassemblements et limitant sévèrement leur mobilité. Cette révolte souligne le désespoir des esclaves face aux conditions oppressives et leur volonté de résister.
1760 : Révoltes des esclaves en Jamaïque (Révoltes des Marrons)
Dans les années 1760, la Jamaïque est le théâtre de plusieurs révoltes majeures d’esclaves marrons, descendants d’Africains qui s’étaient enfuis des plantations pour établir des communautés libres dans les régions montagneuses. En 1760, la révolte menée par Tacky, un ancien chef africain probablement originaire du royaume de Fante (actuel Ghana), mobilise des centaines d’esclaves. Ils attaquent des plantations, s’emparent d’armes et de provisions, et tuent des colons. La rébellion s’étend rapidement, menaçant la stabilité coloniale.
Bien que finalement écrasée par les forces coloniales britanniques, avec l’aide de milices de colons et d’autres esclaves, la révolte de Tacky démontre la résistance persistante des esclaves et constitue une menace constante pour l’ordre colonial. Ces insurrections obligent les autorités à négocier des traités avec les Marrons, reconnaissant leur autonomie en échange de leur aide pour réprimer de futures rébellions. Les révoltes des Marrons influencent également les politiques coloniales en matière de sécurité et de gestion des esclaves.
1772 : Affaire Somerset et première décision judiciaire en Angleterre
En 1772, l’affaire Somerset v Stewart marque une étape juridique importante dans l’histoire de l’esclavage en Angleterre. James Somerset, un esclave africain acheté en Virginie par Charles Stewart, est emmené à Londres par son maître. Somerset s’enfuit mais est capturé et embarqué de force sur un navire à destination de la Jamaïque pour y être vendu. L’affaire est portée devant la justice britannique par des abolitionnistes, et le juge Lord Mansfield est chargé de statuer.
Dans sa décision, Lord Mansfield déclare que l’esclavage n’est pas reconnu par la loi anglaise et que Somerset doit être libéré. Bien que le jugement soit spécifique au cas de Somerset et n’abolisse pas l’esclavage dans l’Empire britannique, il établit un précédent significatif. Cette décision encourage le mouvement abolitionniste en Angleterre, remet en question la légalité de l’esclavage sur le sol anglais et suscite des débats sur les droits des esclaves et la moralité de l’esclavage.
1781 : Le massacre du Zong
En novembre 1781, le navire négrier britannique Zong, commandé par le capitaine Luke Collingwood, navigue vers la Jamaïque avec environ 440 captifs africains à bord, bien au-delà de sa capacité. Face à une pénurie d’eau potable due à une erreur de navigation et à la maladie qui se propage parmi les captifs et l’équipage, Collingwood ordonne de jeter par-dessus bord 133 esclaves africains malades ou mourants. Il espère ainsi pouvoir réclamer une indemnisation à la compagnie d’assurance pour la « perte » de sa « cargaison« , arguant que les esclaves ont été jetés à la mer pour sauver le navire.
Lorsque l’affaire est portée devant les tribunaux en 1783, elle est initialement traitée comme une simple question d’assurance maritime. Cependant, les détails du massacre suscitent l’indignation publique. L’incident du Zong devient un catalyseur pour le mouvement abolitionniste britannique. Des figures comme Granville Sharp utilisent cette tragédie pour dénoncer la barbarie de la traite négrière et mobiliser l’opinion publique contre l’esclavage. L’affaire met en lumière les atrocités commises lors du commerce des esclaves et intensifie les appels à l’abolition.
1787 : Fondation de la Société pour l’abolition de la traite négrière
En mai 1787, la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade (« Société pour l’abolition de la traite des esclaves ») est fondée à Londres par un groupe de 12 hommes, dont Thomas Clarkson et Granville Sharp. Composée principalement de quakers et d’anglicans, l’organisation vise à sensibiliser le public aux horreurs de la traite et à faire pression sur le Parlement britannique pour son abolition. La société lance une campagne nationale, utilisant des brochures, des pétitions, des témoignages d’anciens esclaves comme Olaudah Equiano et des images choquantes, telles que le plan du navire négrier Brookes, pour illustrer les conditions inhumaines de la traite.
Leur action marque le début d’un mouvement abolitionniste organisé. La société recueille des milliers de signatures, organise des réunions publiques et collabore avec des parlementaires sympathisants comme William Wilberforce. Leur travail contribue à changer l’opinion publique et à créer une pression politique en faveur de l’abolition.
1789 : Publication du « Récit de la vie d’Olaudah Equiano »
En 1789, Olaudah Equiano, également connu sous le nom de Gustavus Vassa, publie son autobiographie intitulée « The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano« . Né en Afrique de l’Ouest, probablement dans le royaume du Bénin (actuel Nigeria), Equiano est capturé à l’âge de 11 ans et vendu en esclavage. Son récit décrit son enlèvement, les horreurs de la traite, sa vie en tant qu’esclave et finalement son parcours vers la liberté après avoir acheté sa propre émancipation.
Le livre devient un best-seller en Angleterre et est traduit en plusieurs langues. Il fournit un témoignage personnel poignant des souffrances endurées par les esclaves, humanise les victimes de la traite et renforce les arguments abolitionnistes. Equiano utilise son récit pour dénoncer l’hypocrisie des chrétiens européens impliqués dans la traite et appelle à l’abolition immédiate. Son œuvre influence l’opinion publique et joue un rôle crucial dans le mouvement abolitionniste.
1790 : Début des débats sur l’abolition au Parlement britannique
En 1790, le Parlement britannique entame officiellement des débats sur l’abolition de la traite négrière. Sous l’impulsion de la Société pour l’abolition de la traite négrière et de parlementaires comme William Wilberforce, des discussions approfondies examinent les arguments moraux, économiques et humanitaires contre la traite. Wilberforce présente un projet de loi visant à abolir la traite, soutenu par des témoignages, des preuves et des pétitions.
Ces débats sont marqués par une forte opposition de la part des propriétaires de plantations, des négociants et de certains députés qui défendent les intérêts économiques liés à la traite. Malgré les obstacles, ces discussions marquent un tournant dans la lutte abolitionniste, sensibilisant davantage le Parlement et préparant le terrain pour les législations futures. Bien que le projet de loi ne soit pas adopté immédiatement, le mouvement gagne en momentum.
1791 : La Révolution haïtienne, une révolte emblématique
Le 22 août 1791, la révolte des esclaves éclate à Saint-Domingue, la colonie française la plus riche des Caraïbes, produisant la moitié du sucre et du café consommés en Europe. Menée par des leaders tels que Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe, l’insurrection est déclenchée par les conditions inhumaines de l’esclavage et inspirée par les idéaux de liberté et d’égalité de la Révolution française de 1789.
La rébellion se transforme en une guerre de libération qui durera plus de dix ans, impliquant des affrontements entre esclaves, colons blancs, mulâtres libres et les armées françaises, espagnoles et britanniques. En 1804, après avoir défait les forces napoléoniennes, Saint-Domingue déclare son indépendance sous le nom d’Haïti, devenant la première république noire libre du monde et le premier État issu d’une révolte d’esclaves réussie.
La révolution haïtienne ébranle le système esclavagiste mondial, effraie les puissances coloniales et inspire les mouvements abolitionnistes à travers le monde. Elle démontre la capacité des esclaves à se libérer par la force et remet en question la légitimité de l’esclavage. Cependant, Haïti est isolée diplomatiquement et économiquement, subissant un blocus et devant payer une indemnité exorbitante à la France pour être reconnue, ce qui affectera durablement son développement.
1792 : La « Loi d’interdiction progressive » au Danemark
En 1792, le Danemark-Norvège devient la première nation européenne à adopter une loi visant à abolir la traite des esclaves. La loi, qui prend effet en 1803, interdit la participation danoise au commerce transatlantique des esclaves. Bien que motivée en partie par des considérations économiques et stratégiques, cette décision pionnière reflète également une prise de conscience morale et humanitaire. L’action du Danemark établit un précédent international et exerce une pression sur les autres puissances européennes pour qu’elles reconsidèrent leur implication dans la traite.
1793 : La Convention française abolit l’esclavage pour la première fois
Le 4 février 1794 (16 pluviôse an II), la Convention nationale française décrète l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises, en réponse aux soulèvements à Saint-Domingue et sous l’influence des idéaux révolutionnaires de liberté et d’égalité. Cette mesure radicale est la première abolition légale de l’esclavage à l’échelle nationale. Cependant, l’application de cette loi est limitée et contestée, notamment dans les colonies où les colons résistent à son application. En 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage pour apaiser les colons et relancer l’économie sucrière, annulant ainsi les avancées de la Convention. Néanmoins, cette première abolition marque une étape importante dans l’histoire de l’abolitionnisme et souligne les contradictions entre les principes révolutionnaires et les intérêts économiques.
Cette période du XVIIIe siècle est caractérisée par une intensification extrême de la traite négrière, soutenue par des intérêts économiques colossaux et des structures légales établies. Cependant, c’est aussi le siècle où émergent des résistances significatives, tant de la part des esclaves eux-mêmes que des mouvements abolitionnistes en Europe et en Amérique. Les révoltes, les publications, les débats politiques et les décisions judiciaires contribuent à ébranler les fondements moraux et légaux de la traite, préparant le terrain pour son abolition progressive au siècle suivant.
IV. Les premières interdictions et l’abolition progressive (XIXe siècle)
Le XIXe siècle est marqué par une prise de conscience croissante des horreurs de la traite négrière et de l’esclavage, alimentée par les mouvements abolitionnistes qui gagnent en influence en Europe et en Amérique. Malgré les résistances économiques et politiques, plusieurs nations adoptent des lois pour interdire la traite des esclaves, amorçant une transition lente vers l’abolition totale de l’esclavage.
1807 : Interdiction de la traite au Royaume-Uni
Le 25 mars 1807, le Slave Trade Act est adopté par le Parlement britannique, interdisant officiellement la traite des esclaves dans l’Empire britannique. Ce succès est le résultat d’années de campagne menée par des abolitionnistes tels que William Wilberforce, Thomas Clarkson et la Société pour l’abolition de la traite négrière.
Le Slave Trade Act ne met pas fin à l’esclavage lui-même, qui perdure dans les colonies britanniques, mais il marque une étape cruciale dans la lutte contre le commerce transatlantique des esclaves. La loi interdit aux navires britanniques de participer à la traite et prévoit des sanctions pour les contrevenants. Le Royaume-Uni, alors puissance maritime dominante, commence également à faire pression sur d’autres nations pour qu’elles abolissent la traite.
Pour faire respecter l’interdiction, la Royal Navy met en place une escadre dédiée, le West Africa Squadron, chargée de patrouiller les côtes africaines et d’intercepter les navires négriers. Entre 1808 et 1860, cette escadre capture environ 1 600 navires et libère 150 000 Africains. Toutefois, malgré ces efforts, la traite illégale continue, les marchands utilisant des pavillons étrangers ou des techniques d’évasion pour poursuivre leurs activités lucratives.
1808 : Les États-Unis emboîtent le pas
Le 1er janvier 1808, les États-Unis interdisent officiellement la traite transatlantique des esclaves, conformément à une clause de la Constitution américaine qui permettait au Congrès de légiférer sur ce sujet après 1808. Le président Thomas Jefferson, lui-même propriétaire d’esclaves, signe la loi mettant fin à l’importation d’esclaves sur le territoire américain.
Cependant, l’esclavage en tant qu’institution perdure aux États-Unis, notamment dans les États du Sud où l’économie dépend fortement du travail des esclaves dans les plantations de coton, de tabac et de sucre. L’interdiction de la traite internationale conduit à une augmentation du commerce domestique des esclaves, avec le déplacement forcé de centaines de milliers d’Africains-Américains du Haut-Sud vers le Deep South.
Par ailleurs, l’interdiction alimente des routes clandestines et des trafics illégaux. Des navires continuent d’importer secrètement des esclaves en provenance d’Afrique, malgré les risques encourus. Les autorités américaines, tout en ayant légiféré contre la traite, sont souvent laxistes dans l’application de la loi, en raison des pressions politiques et économiques des États esclavagistes.
1833 : Abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique
Le 28 août 1833, le Parlement britannique adopte le Slavery Abolition Act, qui abolit l’esclavage dans la majeure partie de l’Empire britannique. Cette loi entre en vigueur le 1er août 1834, libérant plus de 800 000 esclaves dans les colonies britanniques des Caraïbes, d’Afrique et du Canada.
L’abolition est le résultat de décennies de campagne abolitionniste, marquée par des pétitions, des manifestations et le travail d’activistes tels que William Wilberforce, Thomas Clarkson, Olaudah Equiano et Granville Sharp. Le mouvement est soutenu par une opinion publique de plus en plus sensible aux arguments moraux et religieux contre l’esclavage.
Cependant, la loi prévoit une période d’apprentissage de quatre à six ans, pendant laquelle les anciens esclaves doivent continuer à travailler pour leurs anciens maîtres contre une rémunération symbolique. Cette mesure provoque des mécontentements et des protestations parmi les affranchis. Finalement, le système d’apprentissage est abandonné en 1838.
Les propriétaires d’esclaves reçoivent une compensation financière de 20 millions de livres sterling, une somme colossale à l’époque, représentant environ 40 % du budget national. Les esclaves, quant à eux, ne reçoivent aucune compensation pour les souffrances endurées.
1848 : La France abolit l’esclavage dans ses colonies
Le 27 avril 1848, le gouvernement provisoire de la Deuxième République française adopte un décret abolissant définitivement l’esclavage dans toutes ses colonies. Cette décision est largement attribuée à l’action de Victor Schœlcher, sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies, fervent abolitionniste.
Après une première abolition en 1794 par la Convention nationale, l’esclavage avait été rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte pour satisfaire les colons et relancer l’économie sucrière des Antilles. La seconde abolition de 1848 marque donc la fin officielle de l’esclavage dans les colonies françaises, libérant environ 250 000 esclaves en Guadeloupe, Martinique, Guyane française, Réunion et Sénégal.
Le décret de 1848 est accompagné de mesures visant à intégrer les anciens esclaves dans la société coloniale, notamment par l’octroi de la citoyenneté française. Cependant, la transition est difficile, et les anciens esclaves continuent de faire face à des discriminations, à des conditions de travail précaires et à une ségrégation sociale persistante.
V. La fin officielle de la traite (Fin XIXe siècle)
Le XIXe siècle est marqué par une prise de conscience croissante des horreurs de la traite négrière et de l’esclavage, alimentée par les mouvements abolitionnistes qui gagnent en influence en Europe et en Amérique. Malgré les résistances économiques et politiques, plusieurs nations adoptent des lois pour interdire la traite des esclaves, amorçant une transition lente vers l’abolition totale de l’esclavage.
1865 : Fin de l’esclavage aux États-Unis
La Guerre de Sécession (1861-1865) oppose les États du Nord, industrialisés et abolitionnistes, aux États du Sud, agricoles et esclavagistes. Le conflit est en grande partie centré sur la question de l’esclavage et des droits des États.
Le 1er janvier 1863, le président Abraham Lincoln signe la Proclamation d’émancipation, qui déclare libres tous les esclaves des États confédérés rebelles. Cependant, cette proclamation ne s’applique pas aux États esclavagistes restés fidèles à l’Union ni aux zones déjà sous contrôle de l’armée de l’Union.
C’est avec la ratification du Treizième Amendement à la Constitution américaine, le 6 décembre 1865, que l’esclavage est définitivement aboli aux États-Unis. L’amendement stipule que « ni esclavage ni servitude involontaire n’existeront aux États-Unis, ni dans aucun lieu soumis à leur juridiction ».
Cette abolition marque la libération de plus de quatre millions d’esclaves afro-américains. Cependant, la période de la Reconstruction qui suit est marquée par des tensions raciales, la mise en place des lois Jim Crow et la persistance de discriminations systémiques contre les Afro-Américains.
1888 : Abolition de l’esclavage au Brésil
Le 13 mai 1888, la Lei Áurea (Loi d’or) est promulguée par la princesse Isabel, fille de l’empereur Pedro II, abolissant l’esclavage au Brésil. Dernier pays du continent américain à abolir l’esclavage, le Brésil libère ainsi environ 700 000 esclaves, marquant la fin officielle de la traite transatlantique des esclaves.
Cette abolition est le résultat de décennies de pression interne et externe, de révoltes d’esclaves, de fuites vers des communautés de quilombos (villages de marrons) et de campagnes menées par des abolitionnistes tels que Joaquim Nabuco et José do Patrocínio.
L’économie brésilienne, fortement dépendante de l’esclavage, notamment dans les plantations de café et de sucre, subit une transformation majeure. Les anciens esclaves sont libérés sans compensation ni assistance, confrontés à la pauvreté et à la marginalisation.
Efforts internationaux pour supprimer la traite
Tout au long du XIXe siècle, des efforts diplomatiques sont déployés pour mettre fin à la traite négrière. Le Royaume-Uni signe des traités bilatéraux avec plusieurs pays pour interdire la traite, et les puissances européennes se réunissent lors de congrès internationaux.
Lors du Congrès de Vienne en 1815, les nations européennes condamnent la traite des esclaves, bien que sans mesures contraignantes. En 1885, l’Acte final de la Conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique inclut des dispositions pour la suppression de la traite.
Malgré ces initiatives, la traite illégale persiste, notamment en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien, alimentée par les marchés du Moyen-Orient et de l’Asie. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que la traite négrière est quasiment éradiquée, grâce à une combinaison de pression internationale, de surveillance navale et de changements économiques.
Conséquences et héritage de l’abolition
L’abolition de l’esclavage ne met pas fin aux inégalités et aux discriminations raciales. Dans les anciennes colonies, les sociétés restent marquées par les hiérarchies héritées de l’esclavage. Les anciens esclaves et leurs descendants font face à des obstacles économiques, sociaux et politiques.
Des systèmes de travail coercitif, tels que le système d’engagisme ou le travail forcé, sont mis en place pour remplacer la main-d’œuvre esclave, exploitant souvent des populations indigènes ou des travailleurs immigrés sous contrat.
Les luttes pour les droits civiques, l’égalité et la justice sociale se poursuivent tout au long des XIXe et XXe siècles, portées par des mouvements tels que le panafricanisme, le mouvement des droits civiques aux États-Unis et les luttes anticoloniales en Afrique et dans les Caraïbes.
Bilan et conséquences de la traite transatlantique
La traite négrière transatlantique a laissé un héritage lourd pour les peuples africains et leurs descendants, avec des conséquences durables sur les sociétés afrodescendantes et les structures raciales mondiales.
Impact démographique et social
La déportation de millions de jeunes hommes et femmes a affaibli des régions entières d’Afrique. Elle a aussi entraîné des conflits ethniques et exacerbé les inégalités de genre dans les communautés affectées.
Conséquences économiques pour l’Europe
Les richesses accumulées grâce à l’esclavage ont soutenu la révolution industrielle et le développement de l’Europe. Des banques et industries européennes ont bâti leur prospérité sur le commerce des êtres humains.
Résilience et culture afro-descendante en Amérique
En dépit de l’oppression, les esclaves ont su préserver leurs traditions culturelles. La diaspora afrodescendante a développé des identités et des cultures uniques, fusionnant héritages africains et influences locales.
Conclusion
Aujourd’hui, les initiatives mémorielles et les réflexions historiques permettent de mieux comprendre cette période sombre de l’histoire. Cette compréhension est essentielle pour se rappeler des atrocités passées et œuvrer à bâtir un futur plus équitable, respectueux de la dignité et de l’héritage des peuples africains et afrodescendants.