Françafrique, les secrets d’une alliance obscure (partie 1)

Plongez dans les racines historiques de la Françafrique, une alliance obscure entre la France et ses anciennes colonies. Premier volet d’une série de six articles, explorez la période allant de la colonisation à la mise en place de structures de pouvoir durables.

Introduction

L’histoire de la Françafrique est celle d’une relation ininterrompue entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique, un lien complexe, fait de contrastes et de paradoxes, qui transcende les indépendances officielles de ces pays. Ce terme, longtemps évoqué à demi-mots, désigne un réseau de relations politiques, économiques et militaires, où les intérêts français se superposent à la souveraineté des nations africaines. La Françafrique, à la fois invisible et omniprésente, est une construction semi-officielle qui fonctionne en coulisses, façonnant les politiques de toute une région pour maintenir l’influence française et protéger ses intérêts.

Les acteurs de ce système d’influence opèrent souvent depuis l’ombre : conseillers spéciaux, entreprises multinationales, réseaux de services secrets, élites politiques africaines – tous engagés dans une mécanique qui fait perdurer l’empreinte française au sein des économies africaines, jusque dans les sphères de décisions politiques. Dès les années 1960, à l’aube des indépendances africaines, des figures telles que Jacques Foccart, conseiller pour les affaires africaines sous le général de Gaulle, ont élaboré des stratégies pour maintenir l’accès privilégié de la France aux ressources stratégiques – pétrole, uranium, bois précieux – et pour préserver les alliances qui garantissent ce contrôle. Mais derrière les promesses d’indépendance, l’ombre d’un néocolonialisme persiste, nourri par des contrats opaques, des accords militaires, et des alliances secrètes.

Au cœur de la Françafrique, une logique de dépendance économique s’est installée, liant les économies africaines francophones à l’Hexagone à travers le franc CFA, la monnaie utilisée dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette monnaie, garantie par le Trésor français, est vue par certains comme un outil de stabilité économique, mais pour beaucoup, elle reste un symbole d’assujettissement. Cet arrangement financier, loin de l’idée d’une véritable indépendance monétaire, reflète l’essence même de la Françafrique : une autonomie limitée, où chaque acteur doit composer avec des intérêts externes.

De l’exploitation des ressources naturelles au soutien militaire, de l’ingérence politique aux liens économiques opaques, la Françafrique continue de prospérer au fil des décennies, révélant au passage les tensions entre le besoin de liberté des peuples africains et les ambitions géopolitiques françaises. Les défis de la Françafrique relèvent de contradictions profondes : entre dépendance et émancipation, coopération et domination, héritage historique et aspirations nouvelles.

Dans cette danse de pouvoir, la France n’a jamais cessé d’être un acteur clé en Afrique, influençant les trajectoires de nations entières au gré de ses propres intérêts. La Françafrique est donc plus qu’une simple politique d’influence étrangère ; elle est un modèle de manipulation subtile et de contrôle indirect, un échafaudage diplomatique, économique et militaire qui tient en équilibre les ambitions d’un empire ancien dans un monde en mutation. Pour comprendre le cœur de la Françafrique, il faut plonger dans cette relation d’intrigues et d’intérêts croisés qui, loin de se défaire avec les décennies, a su se réinventer pour perdurer, rendant difficile toute rupture franche avec le passé colonial.

Première partie : les racines historiques de la Françafrique

I° La colonisation

L’histoire de la Françafrique commence bien avant le mot lui-même, et même avant les indépendances africaines de la fin des années 1950 et début des années 1960. Elle prend racine dans le XIXe siècle, alors que les grandes puissances européennes se partagent le continent africain, mus par des ambitions de grandeur, de profit et de domination mondiale. Lors de la Conférence de Berlin en 1884-1885, l’Europe signe l’acte de partage de l’Afrique, balisant ainsi la voie à un système colonial d’exploitation qui redéfinira les frontières africaines au gré des intérêts européens.

La France, qui avait déjà conquis l’Algérie en 1830, se lance alors dans une campagne de colonisation plus étendue. Au cœur de cette expansion impérialiste, elle érige deux vastes entités : l’Afrique-Occidentale française (AOF), regroupant des territoires comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, et le Burkina Faso, et l’Afrique-Équatoriale française (AEF), couvrant notamment le Gabon, le Congo, le Tchad, et la Centrafrique. Ce découpage colonial, dicté par les rivalités européennes et des logiques de domination, s’impose aux Africains qui se retrouvent subitement placés sous une autorité étrangère, sans consultation ni consentement.

Pour Paris, ces colonies constituent d’abord un réservoir de matières premières et une source d’enrichissement sans précédent. L’or, le bois, les terres agricoles, les ressources minières – tous les trésors du sous-sol africain – sont méthodiquement exploités pour alimenter l’économie française. La mission civilisatrice, proclamée par la France, sert de couverture à des politiques de pillage systématique. Le modèle économique colonial repose sur un pillage organisé des richesses, accompagné d’un travail forcé institutionnalisé. Les populations locales sont enrôlées, souvent par contrainte, pour travailler dans les mines, les plantations, et les chantiers d’infrastructure au profit de la France. Ce travail forcé, accompagné de violences et de répressions, reste l’un des héritages les plus sombres de la colonisation.

Les autorités coloniales françaises mettent en place un système administratif rigide pour maintenir leur contrôle. Le « code de l’indigénat », instauré en 1887, est l’une des législations les plus emblématiques de cette politique répressive : il prive les Africains de tout droit politique et de nombreuses libertés fondamentales. Les gouverneurs nommés par Paris supervisent ces territoires comme des fiefs personnels, appliquant les ordres de la métropole pour extraire le maximum de profit, souvent sans tenir compte des conséquences pour les populations locales. Les Africains, réduits à des citoyens de seconde zone, subissent les décisions et les règles d’un système qu’ils n’ont jamais choisi.

À la veille de la Première Guerre mondiale, l’exploitation économique de l’AOF et de l’AEF bat son plein. La France, sous couvert de mission civilisatrice, modernise les infrastructures africaines – des ports, des chemins de fer et des routes – mais ce développement est exclusivement dirigé vers l’extraction et l’exportation des ressources naturelles. Ces infrastructures sont d’ailleurs pensées dans une logique de dépendance : les colonies sont connectées à la France plus qu’entre elles, créant ainsi une relation de dépendance économique. Les populations africaines, encore largement rurales, sont contraintes de se soumettre aux nouvelles dynamiques économiques qui privilégient les cultures d’exportation comme le coton, le cacao, et le café, au détriment de l’agriculture vivrière.

Avec le début de la Première Guerre mondiale, la France n’hésite pas à puiser dans ses colonies pour alimenter l’effort de guerre. Les Africains sont recrutés de force dans l’armée française et envoyés sur le front européen en tant que « tirailleurs sénégalais », qui participeront aux combats les plus féroces. Bien que nombre d’entre eux y laissent leur vie, leur sacrifice restera largement ignoré, et à la fin de la guerre, les promesses de reconnaissance et d’égalité se révèlent vides.

L’entre-deux-guerres ne voit pas d’amélioration pour les Africains : le travail forcé se poursuit, tandis que la France intensifie l’exploitation agricole pour nourrir une métropole en pleine croissance. Avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale, les colonies africaines sont à nouveau appelées à soutenir la France. Les soldats africains participent à la libération de l’Europe, mais ils se battent également pour une promesse : celle d’un avenir où ils pourraient être traités en égaux. Cependant, cette promesse sera trahie, car une fois la guerre terminée, Paris reprend la mainmise sur ses colonies.

Cette période marque également l’éveil des consciences anticolonialistes parmi les élites africaines, souvent formées dans les universités françaises. Inspirés par les idées de liberté et d’égalité, ces intellectuels et politiciens africains, tels que Léopold Sédar Senghor au Sénégal ou Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, commencent à militer pour une véritable autonomie. Ils défendent la cause de leurs peuples, prônant des réformes et des droits, mais Paris résiste farouchement.

Dans les années 1950, les mouvements nationalistes s’intensifient et les populations africaines se soulèvent pour réclamer la liberté. La France, fragilisée par ses guerres coloniales en Indochine et en Algérie, est contrainte de céder, mais elle le fait à sa manière : en instituant une indépendance surveillée et conditionnelle. En effet, au lieu d’abandonner totalement son emprise, Paris conserve des relations étroites avec ses anciennes colonies, les reliant par des accords militaires, économiques, et culturels. L’indépendance politique est octroyée, mais l’ombre de la France continue de planer.

Les structures économiques et politiques mises en place pendant la colonisation ne disparaissent pas du jour au lendemain. Bien au contraire, elles se transforment et s’adaptent, servant de socle à un nouveau système : la Françafrique.

II° La Conférence de Berlin et la délimitation des empires

Le 19e siècle est marqué par une course effrénée des puissances européennes pour s’assurer des parts de contrôle sur le continent africain, où les richesses et les territoires suscitent toutes les convoitises. La Conférence de Berlin, tenue de novembre 1884 à février 1885, constitue le tournant décisif de cette course à la colonisation : sous l’impulsion de l’Allemagne de Bismarck, les grandes puissances, dont la France, le Royaume-Uni, la Belgique, et le Portugal, se réunissent pour établir un accord sur le partage de l’Afrique. Ce sommet scelle le destin de l’Afrique pour plusieurs décennies, car il impose un ordre colonial bâti sur la domination et la répartition arbitraire des frontières et des peuples.

La France, l’une des puissances coloniales les plus engagées, obtient à Berlin une portion substantielle du continent. Dans le cadre de cette division, elle hérite d’un contrôle quasi total sur l’Afrique de l’Ouest et d’une influence étendue en Afrique centrale. Des territoires immenses, allant des rives du Sénégal aux confins du Tchad, sont placés sous son autorité. Les accords établis à Berlin permettent à la France de poser les bases d’une administration qui lui permettra de tirer profit de cette nouvelle emprise territoriale et de faire main basse sur les ressources africaines.

La Conférence de Berlin fonctionne essentiellement comme une cartographie à grande échelle de la domination européenne. Aucune considération n’est accordée aux populations locales ou aux réalités ethniques et culturelles qui structurent les sociétés africaines. Les frontières sont tracées avec une indifférence frappante, souvent à la règle et au compas, traversant des régions peuplées de groupes distincts ou divisant des royaumes historiques. Ces délimitations, établies sans l’avis des populations concernées, posent les jalons d’un désordre social et politique qui persistera longtemps après les indépendances. Elles forcent les populations à coexister dans des frontières artificielles, générant des tensions qui se perpétueront bien au-delà de la période coloniale.

Le découpage issu de Berlin ouvre aussi la voie à l’exploitation effrénée des ressources africaines par les puissances coloniales. Sous prétexte de mission civilisatrice, les Européens, et en particulier la France, implantent des infrastructures qui servent d’abord leurs intérêts économiques. Ces infrastructures, qu’il s’agisse de routes, de ports ou de lignes de chemin de fer, ne sont pas construites pour favoriser le développement local mais pour faciliter l’acheminement des matières premières vers l’Europe. Le bois, les minéraux précieux, l’or, et plus tard, le pétrole, deviennent les priorités économiques pour les métropoles européennes. La Conférence de Berlin inaugure ainsi une dynamique où les colonies sont intégrées dans un réseau mondial au profit exclusif des puissances coloniales.

La Conférence de Berlin introduit également un principe qui aura un impact décisif pour la France : la notion de « sphère d’influence ». Selon cet accord, chaque nation européenne détentrice de territoires sur la côte africaine peut légitimement étendre son emprise vers l’intérieur des terres jusqu’à rencontrer la zone d’influence d’une autre puissance européenne. Ce principe accélère la pénétration coloniale française dans les régions plus reculées de l’Afrique de l’Ouest et centrale, en leur permettant d’établir un contrôle continu, depuis les côtes jusqu’aux zones forestières et désertiques de l’intérieur.

Les répercussions de Berlin pour la France sont donc à la fois territoriales, économiques, et politiques. Avec un contrôle sur des territoires plus vastes que l’ensemble de la France métropolitaine, le pays devient l’un des empires les plus puissants du continent africain. Cette mainmise s’accompagne de la création de structures politiques destinées à asseoir cette domination : l’Afrique-Occidentale française (AOF) et l’Afrique-Équatoriale française (AEF) sont progressivement établies, regroupant les colonies de la région sous une administration centralisée. Ces regroupements permettent à la France de coordonner ses efforts pour l’exploitation des ressources naturelles tout en instaurant un système hiérarchique rigide qui place les gouverneurs coloniaux comme représentants directs de l’autorité parisienne.

L’administration française, grâce à l’Acte de Berlin, applique sa vision d’un empire basé sur la mission civilisatrice, un concept imprégné de la conviction que la France porte une responsabilité morale envers ses colonies. En réalité, cette idéologie masque un système d’exploitation et de dépendance. La Conférence de Berlin ouvre ainsi la voie à une Françafrique embryonnaire : elle institue une emprise coloniale où les ressources africaines, exploitées au profit de la France, construisent un réseau de dépendance économique qui survit aux indépendances.

Le découpage réalisé à Berlin pose aussi les bases d’un néocolonialisme institutionnalisé, car il ancre une relation de pouvoir asymétrique qui, même après la décolonisation officielle, continuera de relier les anciennes colonies à la France. Les structures politiques, économiques, et militaires introduites au moment de la colonisation vont perdurer, posant les fondations d’une Françafrique où la France garde une mainmise discrète mais puissante sur ses anciennes colonies.

III° Les structures de pouvoir instaurées et la mainmise française sur les ressources

À mesure que l’expansion coloniale française en Afrique s’intensifie à la fin du 19e siècle, la France instaure des structures de pouvoir qui assurent non seulement une domination politique mais aussi un contrôle économique étroit sur les ressources africaines. Ce système s’appuie sur un réseau de lois, d’accords et de pratiques administratives qui consolident la mainmise de la métropole sur les richesses du continent. Ces méthodes, loin d’être purement opportunistes, s’inscrivent dans un cadre soigneusement élaboré pour extraire et canaliser les ressources vers la France, posant ainsi les jalons d’un néocolonialisme qui survivra bien après les indépendances officielles.

A – Les accords de concession, ou verrouiller l’accès aux ressources

Pour maximiser la rentabilité des colonies, la France met en place une série d’accords de concession qui accordent des monopoles d’exploitation aux entreprises françaises et excluent toute concurrence locale ou internationale. Dans des territoires comme la Côte d’Ivoire, le Gabon ou la Guinée, ces concessions touchent tous les secteurs stratégiques : les bois précieux, le caoutchouc, les mines d’or et, plus tard, les gisements de pétrole.

Par exemple, au début du 20e siècle, de vastes étendues forestières et minières sont octroyées à des sociétés françaises qui obtiennent ainsi le droit exclusif de les exploiter, sans retour économique pour les populations locales. Les concessions sont souvent obtenues en échange de faibles redevances payées aux autorités coloniales, garantissant un coût minime pour des profits considérables.

Ces accords verrouillent non seulement l’accès aux ressources, mais limitent aussi drastiquement le développement d’une économie locale autonome. En restreignant la possibilité pour les Africains de s’impliquer dans l’extraction des ressources de leurs propres terres, la France instaure un système de dépendance économique : les colonies fournissent les matières premières, et la France les transforme pour ensuite les vendre, créant une boucle commerciale qui favorise exclusivement l’économie métropolitaine.

B – Les codes de l’indigénat et la création d’un système d’exploitation

Pour asseoir leur domination, les autorités coloniales introduisent des lois répressives, comme le Code de l’Indigénat, qui enracine un système juridique inégalitaire et coercitif. Le Code de l’Indigénat, appliqué dans les colonies françaises dès 1887, établit un ensemble de règles discriminatoires imposées aux Africains, les maintenant sous un contrôle rigide et les privant de droits politiques et économiques. Les populations indigènes, considérées comme des « sujets » et non comme des citoyens français, sont soumises à des impôts élevés et contraints de fournir une main-d’œuvre bon marché pour les travaux d’infrastructure, comme la construction de chemins de fer ou de routes servant les intérêts commerciaux de la France.

Cette main-d’œuvre forcée est exploitée pour extraire les ressources naturelles des colonies. Dans l’Afrique-Équatoriale française (AEF), par exemple, des milliers d’hommes sont mobilisés pour travailler dans les plantations de caoutchouc ou les exploitations minières, souvent dans des conditions déplorables et dangereuses. Ces travailleurs, non rémunérés ou à peine rétribués, représentent la pierre angulaire d’une économie coloniale qui vise avant tout à enrichir la métropole.

C – Les monnaies coloniales, des instruments de contrôle économique

Les monnaies introduites dans les colonies françaises – notamment le franc CFA (franc des Colonies françaises d’Afrique), créé en 1945 – jouent un rôle fondamental dans la perpétuation du contrôle économique. Cette monnaie, contrôlée par le Trésor français, est non convertible et rattachée au franc français (et plus tard à l’euro), ce qui empêche toute flexibilité économique dans les pays africains et les rend dépendants des décisions de la Banque de France. En effet, même après les indépendances, le franc CFA demeure sous la tutelle française, régissant les politiques monétaires de plusieurs États d’Afrique de l’Ouest et centrale.

L’introduction de cette monnaie crée un environnement où les économies locales sont intégrées dans une zone économique dominée par la France. Ce lien monétaire assure à la métropole un accès stable aux ressources africaines et des conditions favorables pour les entreprises françaises, qui bénéficient d’un cadre monétaire sécurisé pour leurs investissements. En imposant le franc CFA, la France verrouille ainsi une dépendance économique qui devient l’une des fondations du système Françafrique.

D – Le rôle des administrateurs coloniaux et des élites locales dans la préservation des intérêts français

Pour assurer l’efficacité de cette emprise, la France mise sur une structure administrative hiérarchisée dans ses colonies, où des gouverneurs et administrateurs coloniaux français exercent une autorité centralisée, directement reliée à Paris. Ces fonctionnaires, nommés et redevables au gouvernement français, sont chargés de maintenir l’ordre et d’assurer la rentabilité économique des colonies. Leurs décisions, souvent basées sur des directives de Paris, reflètent avant tout les intérêts de la métropole, reléguant les besoins des populations locales à un rôle secondaire, voire inexistant.

Cette structure administrative fonctionne en partenariat étroit avec certaines élites locales, que la France intègre progressivement dans son système pour assurer une stabilité relative et une collaboration. Ces élites, souvent formées dans les écoles de la métropole, bénéficient de privilèges et d’un accès aux ressources, mais leurs pouvoirs restent limités. En maintenant ces figures locales dans des postes de responsabilité symbolique, les autorités coloniales s’assurent une coopération suffisante sans pour autant leur céder un réel contrôle.

E – La Construction d’un système d’exportation-extraction durable : vers une Françafrique institutionnalisée

Les infrastructures coloniales – notamment les ports, les chemins de fer et les routes – sont conçues pour assurer un flux continu des matières premières vers la France, consolidant un modèle économique d’exportation-extraction. Les réseaux ferroviaires comme celui du Congo-Océan, construit au prix de milliers de vies, facilitent l’acheminement de produits comme le caoutchouc, le cacao, le café et plus tard les ressources minières, de l’intérieur du continent jusqu’aux ports, pour être exportés vers la métropole. En d’autres termes, ces infrastructures ne sont pas destinées à soutenir l’économie locale mais à maintenir l’efficacité du pillage colonial.

Ces pratiques établissent une structure économique qui, au moment des indépendances dans les années 1960, est déjà si profondément ancrée qu’elle persistera largement inchangée. La France, en s’assurant le contrôle exclusif sur les ressources, prépare le terrain pour un système néocolonial où ses intérêts économiques resteront dominants, même après que les colonies aient officiellement obtenu leur indépendance. Le modèle d’exploitation instauré pendant la période coloniale jettera ainsi les bases d’une Françafrique institutionnalisée, où la dépendance des anciennes colonies perdurera à travers des accords commerciaux, des investissements ciblés et la continuité du franc CFA.

En somme, les structures de pouvoir, les lois restrictives, et le contrôle des ressources mis en place par la France dans ses colonies ne sont pas de simples mesures administratives. Elles représentent les piliers d’un système de domination qui vise à intégrer l’Afrique dans une économie de dépendance, où les intérêts français dictent les règles du jeu. Ce système de pillage, dont les racines sont ancrées dans la période coloniale, évoluera après les indépendances pour prendre la forme de la Françafrique, un réseau complexe où les ressources africaines, les élites locales et les intérêts français restent inextricablement liés.

Notes et références

  1. Verschave, François-Xavier. La Françafrique : Le plus long scandale de la République. Stock, 1998.
  2. Coquery-Vidrovitch, Catherine. Histoire des colonisations : Des conquêtes aux indépendances, XIIIᵉ-XXᵉ siècle. Éditions La Découverte, 2019.
  3. Merle, Isabelle. La France coloniale : XIXᵉ-XXᵉ siècle. Armand Colin, 2012.
  4. Blanchard, Pascal et al. La Françafrique : L’histoire interdite. Éditions La Découverte, 2014.
  5. Bayart, Jean-François. L’État en Afrique : La politique du ventre. Fayard, 1989.
  6. Association Survie. La Françafrique, c’est quoi ? Disponible sur : www.survie.org
  7. Documentaire : Françafrique, 50 ans sous le sceau du secret, réalisé par Patrick Benquet, 2010.
  8. Cooper, Frederick. Afrique depuis 1940 : Les défis de l’indépendance. Éditions Payot, 2014.
  9. Mazrui, Ali A. Le déclin de l’Afrique : de la domination à la dépendance. L’Harmattan, 1987.
  10. Martin, Guy. Africa in World Politics: A Pan-African Perspective. Africa World Press, 2002.
  11. Vallin, Victor. La Conférence de Berlin (1884-1885) : Partage de l’Afrique et naissance de la colonisation. Éditions L’Harmattan, 2012.
  12. Conklin, Alice L. A Mission to Civilize: The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895–1930. Stanford University Press, 1997.
  13. Bouquet, Christian. Géopolitique de la Françafrique. Armand Colin, 2010.
  14. Website: Ministère des Armées, Les tirailleurs sénégalais dans la Première Guerre mondiale. Disponible sur : www.defense.gouv.fr
  15. Article académique : Ndiaye, Pap. « La condition noire : essai sur une minorité française. » Éditions Calmann-Lévy, 2008.
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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