Voyage vers l’enfer à bord des navires négriers

La traite négrière transatlantique reste l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire. Entre 1525 et 1866, des millions d’Africains furent capturés et transportés de force dans des conditions inhumaines vers le Nouveau Monde, voués à une existence d’esclavage et de souffrance. Découvrez l’enfer de la réalité des voyages à bord des navires négriers, ces cargos de l’horreur où des milliers de captifs périrent avant même d’atteindre la terre promise à leurs oppresseurs.

Une traversée vers l’horreur

Dès le 16e siècle, un commerce macabre s’organise entre l’Europe, l’Afrique et le Nouveau Monde : la traite négrière transatlantique. Entre 1525 et 1866, plus de 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants africains furent arrachés à leurs terres, capturés comme du bétail et expédiés vers l’Amérique, pour y devenir la main-d’œuvre asservie des plantations de tabac, de sucre, et de coton. Ce voyage d’une brutalité inimaginable s’est transformé en un chapitre des plus sombres de l’histoire humaine. Pour ces captifs, traverser l’Atlantique, aussi appelé « le passage du milieu, » n’était pas seulement un voyage ; c’était le début d’une descente aux enfers, le commencement d’une vie d’horreur et de servitude.

Dans ce récit, Nofi plonge dans la réalité terrifiante de ces traversées, un monde où l’humain était réduit à un simple bien commercial, voué à la souffrance dès son embarquement.

La captivité et l’embarquement

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers

Des esclavagistes amènent des captifs à bord d’un navire négrier sur la côte ouest de l’Afrique.

La première étape de cette tragédie commençait sur les côtes d’Afrique de l’Ouest. Les régions de la Côte de Guinée, du Bénin, et du Congo étaient les points centraux de cette machine infernale. Les esclaves étaient capturés lors de razzias sanglantes, ou parfois vendus par des chefs locaux eux-mêmes, dans un système de commerce profondément ancré dans la trahison et la violence. Les captifs, souvent enchaînés les uns aux autres, étaient conduits dans des forts côtiers où ils attendaient des semaines, parfois des mois, entassés dans des enclos crasseux, affamés et brutalisés, en attendant l’arrivée des navires négriers.

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Une aquarelle d’un artiste inconnu montre le navire négrier La Marie-Séraphique dans un port d’Haïti en 1773.

Lorsque l’embarquement arrivait enfin, les captifs subissaient une série de traitements humiliants et déshumanisants. On leur rasait la tête, on les dénudait, et ils étaient inspectés, touchés, scrutés comme du bétail. Les négriers les plaçaient méthodiquement dans les cales du navire, veillant à tirer le maximum de profit de chaque centimètre carré disponible. Ces « Guinéens« , ainsi nommés en raison des côtes de Guinée d’où partaient les captifs, étaient aménagés pour transporter le plus grand nombre d’esclaves possible. Une fois enchaînés dans ces cales obscures et suffocantes, le véritable calvaire commençait.

L’enfer des cales

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Plan du navire négrier britannique Brookes, montrant comment 454 esclaves ont été logés à bord après la loi sur la traite des esclaves de 1788. Ce même navire aurait transporté jusqu’à 609 esclaves et pesait 267 tonnes, soit 2,3 esclaves par tonneau. Publié par la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade (Société pour l’abolition de la traite des esclaves).

Le passage du milieu pouvait durer de six semaines à plusieurs mois, selon les conditions météorologiques et l’itinéraire. Les captifs, entassés et enchaînés, subissaient des conditions de vie inhumaines. Dans certains compartiments, la hauteur de la cale était si basse qu’ils ne pouvaient que rester allongés. Leurs mouvements étaient limités, leurs corps comprimés les uns contre les autres. En moyenne, chaque esclave disposait de seulement 0,5 mètre carré. Parfois, la chaleur devenait si insupportable que l’air manquait, provoquant des évanouissements, des suffocations, et des décès. Les captifs, dans cette promiscuité abjecte, n’avaient aucun moyen de se soulager ou de se nettoyer. Ils restaient couchés dans leurs excréments, souillant leurs plaies et exacerbant les risques de maladies.

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Pont des esclaves du navire Le Séraphique Marie de Nantes, armé par Mr Gruel, pour l’Angola, sous le commandement de Gaugy, qui trafiquait à Loango, dont la vue est au-dessous de la quantité de 307 captifs (…)

Les femmes étaient quant à elles séparées des hommes et, bien qu’elles échappaient aux chaînes des cales, leur sort n’était guère plus enviable. Souvent placées au-dessus du pont, elles subissaient des violences sexuelles, des viols et des abus constants de la part de l’équipage. L’absence totale de droits faisait de leur vie un enfer. Celles qui arrivaient vivantes en Amérique, souvent enceintes de leurs agresseurs, devenaient des symboles vivants des atrocités de cette traversée.

Maladies et mortalité

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Une peinture réalisée vers 1830 par l’artiste allemand Johann Moritz Rugendas représente une scène se déroulant sous le pont d’un navire négrier en partance pour le Brésil ; Rugendas avait été un témoin oculaire de la scène.

Le confinement, le manque d’hygiène et la malnutrition faisaient des navires négriers des foyers épidémiques où la mort rôdait sans cesse. L’absence d’hygiène, les vomissements causés par le mal de mer, l’accumulation des déjections humaines : autant de conditions qui transformaient les cales en véritables foyers de contagion. La dysenterie, le typhus, la variole et le scorbut se propageaient à une vitesse fulgurante. Les capitaines, soucieux de rentabiliser leur « cargaison« , n’hésitaient pas à jeter par-dessus bord les malades et les mourants afin d’éviter la propagation des épidémies à tout le navire.

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Cette maquette représente un navire typique du début des années 1700 sur le Passage du Milieu. Pour préserver leurs profits, les capitaines et les marins s’efforçaient de limiter les décès d’esclaves dus aux maladies, aux suicides et aux recollements. Dans l’effroyable arithmétique du commerce des esclaves, les capitaines choisissaient généralement entre deux options : embarquer autant d’esclaves que possible en espérant que la plupart d’entre eux survivent, ou en mettre moins à bord, améliorer les conditions entre les ponts et espérer perdre moins d’esclaves à cause de la maladie. Modèle de navire négrier exposé au Musée national d’histoire américaine (Smithsonian Institution).

En moyenne, on estime qu’environ 15 % des captifs n’atteignaient jamais l’Amérique. Mais pour les négriers, ces pertes humaines étaient considérées comme des pertes d’exploitation inévitables. En effet, le système de la traite reposait sur une logique économique impitoyable : la rentabilité était assurée par des « économies d’échelle« . Plus on entassait d’esclaves, plus on compensait les pertes. Cette logique glaçante transforma chaque traversée en une machine de mort programmée.

Les répressions et les punitions

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
La flagellation Coolie 1886. alamyimages

Pour les esclaves qui tentaient de se rebeller, la punition était brutale et impitoyable. Le spectre des révoltes hantait les équipages, et les capitaines ne prenaient aucun risque. À la moindre tentative de rébellion, les esclaves étaient soumis à des tortures exemplaires : on utilisait des vis de pouce, qui écrasaient les phalanges, ou encore le fameux « chat à neuf queues« , un fouet conçu pour lacérer la peau en plusieurs endroits à chaque coup. Ce dernier instrument, fait de lanières garnies de nœuds et de pointes, laissait des cicatrices indélébiles sur les corps déjà brisés des captifs.

Face aux tentatives de suicide, les membres de l’équipage utilisaient des méthodes encore plus inhumaines. Certains captifs tentaient en effet de se laisser mourir en refusant de manger, espérant échapper ainsi à leur sort. Mais leurs oppresseurs avaient recours au « speculum oris« , un instrument de métal destiné à forcer l’ouverture de la bouche pour alimenter les captifs de force. Ce processus, douloureux et humiliant, n’avait d’autre but que de maintenir en vie les esclaves jusqu’à leur destination finale pour préserver la valeur marchande de cette « cargaison humaine« .

Les tentatives de rébellion et de libération

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
Illustration représentant une mutinerie d’esclaves sur un négrier du 18e siècle. Bettmann

Malgré l’oppression constante, certains captifs tentaient l’impensable : se révolter pour reprendre leur liberté. À bord des navires négriers, les rébellions furent fréquentes, bien que rarement couronnées de succès. Les femmes, souvent moins surveillées, jouaient parfois un rôle central dans ces tentatives. Elles communiquaient discrètement avec les hommes enchaînés dans les cales, et ensemble, ils planifiaient des soulèvements pour prendre le contrôle du navire. Mais les rixes tournaient souvent court, et les punitions qui s’ensuivaient étaient d’une cruauté sans égale.

Mutinerie de l’Amistad. Mort du capitaine Ferrer, le capitaine de l’Amistad, juillet 1839, gravure sur bois de John Warner Barber. Galerie d’art de l’université de Yale

L’un des rares exemples de rébellion victorieuse fut celle du navire La Amistad en 1839, où 53 captifs africains réussirent à se libérer, tuant une partie de l’équipage et prenant le contrôle du navire. Après des semaines d’errance, le navire fut intercepté par la marine américaine, mais, fait exceptionnel, la justice américaine finit par reconnaître le droit à la liberté des rebelles de La Amistad, créant un précédent dans l’histoire de l’abolitionnisme.

L’arrivée, un nouveau supplice

Voyage vers l’enfer : À bord des navires négriers
esclavage : AntiguaDes esclaves coupent la canne à sucre sur l’île d’Antigua, dans les Caraïbes, en 1823. The British Library (Domaine public)

Pour ceux qui survivaient à l’horreur de la traversée, le supplice n’était pourtant pas terminé. À l’arrivée, les captifs étaient vendus comme des marchandises, inspectés sous tous les angles, forcés de se tenir nus devant des acheteurs qui scrutaient leur musculature, leur dentition, comme on inspecterait du bétail. Arrachés définitivement de leur terre natale, séparés de leurs familles, ces hommes et femmes étaient expédiés vers les plantations, destinés à une vie de servitude, de labeur acharné et de sévices corporels. Certains en venaient même à regretter d’avoir survécu à la traversée, considérant que le voyage aurait pu mettre fin à leurs souffrances.

Le devoir de mémoire

Aujourd’hui, évoquer l’histoire des navires négriers, c’est rappeler une des périodes les plus sombres de l’humanité, où la cupidité et l’indifférence ont réduit des millions de vies humaines en marchandises. Ce chapitre, inscrit dans la mémoire collective, continue de hanter les consciences et de soulever des questions sur l’héritage de cette oppression et les réparations nécessaires pour ceux qui, des siècles après, en subissent encore les conséquences.

Références

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Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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