Le nombre de déplacés internes en Afrique a triplé en 15 ans

Avec 35 millions de déplacés internes en 2023, l’Afrique fait face à une crise complexe mêlant conflits, violences et catastrophes naturelles.

Les déplacés internes en Afrique, les ombres d’une crise invisible

En 2023, l’Afrique comptait plus de 35 millions de personnes déplacées internes, victimes de conflits, de violences et de catastrophes naturelles. Ces chiffres alarmants, rapportés par le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), révèlent une crise silencieuse mais dévastatrice. Alors que le continent se prépare à affronter des défis multiples, ces déplacements reflètent les dynamiques complexes d’un monde en mutation, où les lignes entre guerre, climat et survie économique s’entremêlent.

Une explosion silencieuse : le triplement des déplacements en 15 ans

Au cours des quinze dernières années, le nombre de déplacés internes en Afrique a triplé, passant d’environ 12 millions en 2008 à 35 millions en 2023. Ces chiffres, bien que frappants, n’ont pas la même visibilité que ceux des réfugiés traversant les frontières internationales. Pourtant, les déplacés internes — qui restent dans leur pays d’origine — subissent des bouleversements comparables : perte de leurs moyens de subsistance, effondrement des structures familiales et culturelles, vulnérabilité face à l’exploitation.

Les zones les plus touchées incluent la République démocratique du Congo (RDC), l’Éthiopie, le Nigeria, la Somalie et le Soudan. Ces cinq pays concentrent 80 % des déplacés internes en Afrique, chacun confronté à des conflits persistants, des vagues de violence et des catastrophes naturelles amplifiées par le changement climatique.

Conflits et violences : le moteur historique des déplacements

La violence reste la première cause des déplacements internes. En RDC, les affrontements entre groupes armés et les incursions étrangères créent des cycles interminables de destruction et de fuite. Le Kivu, une région de l’est de la RDC, illustre l’ampleur de la crise : familles séparées, enfants soldats enrôlés de force, et communautés entières obligées de fuir leurs villages sous la menace des milices.

Au Nigeria, Boko Haram et les conflits intercommunautaires dans le nord alimentent un flux constant de déplacés. Les violences dans les États de Borno, Adamawa et Yobe, exacerbées par une réponse militaire souvent inefficace, laissent des millions de personnes sans abri ni sécurité.

En Éthiopie, la guerre civile dans la région du Tigré a poussé des millions de personnes à quitter leurs foyers depuis 2020. Les négociations de paix, bien qu’en cours, peinent à apporter une stabilité durable.

Catastrophes naturelles : le climat comme amplificateur

Le changement climatique exacerbe une situation déjà critique. Les inondations, qui représentaient 75 % des déplacements liés aux catastrophes naturelles en 2023, forcent des millions de personnes à quitter leurs foyers chaque année. Les sécheresses, responsables de 11 % des déplacements, ravagent les terres agricoles et aggravent l’insécurité alimentaire.

Dans la Corne de l’Afrique, une sécheresse historique a laissé plus de 20 millions de personnes au bord de la famine, les forçant à migrer vers des zones moins touchées. Ces déplacements ne sont pas simplement des réponses aux conditions climatiques ; ils reflètent un désespoir profond et un besoin urgent de survie.

Un chevauchement de causes : conflits et climat

Les causes des déplacements en Afrique ne sont pas exclusives. Conflits armés et catastrophes naturelles s’entremêlent souvent, formant des crises complexes où les déplacés subissent des vagues successives de bouleversements. En Somalie, par exemple, les attaques des milices Al-Shabaab coïncident souvent avec des inondations dévastatrices, piégeant les populations dans un cycle de fuite et de retour.

Ces chevauchements créent des situations où les déplacés sont bloqués dans des états de vulnérabilité prolongée. Beaucoup ne peuvent jamais retourner dans leurs foyers d’origine, construisant des vies précaires dans des camps ou des communautés d’accueil, elles-mêmes souvent sous pression.

Les conséquences économiques et sociales

Les déplacements internes pèsent lourdement sur les économies locales et nationales. Les déplacés, privés de leurs moyens de subsistance, ne peuvent contribuer économiquement, tandis que les gouvernements doivent allouer des ressources considérables à leur hébergement, leur éducation et leurs soins de santé. Les autorités locales, souvent mal équipées, peinent à gérer ces flux massifs.

Par ailleurs, ces déplacements perturbent les dynamiques sociales. Les communautés d’accueil, bien que souvent généreuses, ressentent la pression de ces arrivées massives. Les tensions peuvent s’intensifier, alimentant de nouveaux conflits. En RDC, les affrontements entre communautés locales et déplacés sont fréquents, exacerbant une situation déjà volatile.

La Convention de Kampala : une solution inexploitée

Adoptée en 2009 par l’Union africaine, la Convention de Kampala est le premier traité juridiquement contraignant au monde consacré à la protection des déplacés internes. Elle établit des normes pour prévenir les déplacements forcés, protéger les droits des déplacés et chercher des solutions durables.

Malgré sa ratification par 34 pays africains, la mise en œuvre reste un défi. Les cadres juridiques existent, mais les moyens financiers et la volonté politique font souvent défaut. La directrice de l’IDMC, Alexandra Bilak, insiste sur la nécessité d’une diplomatie renforcée et de la transformation des conflits pour résoudre cette crise.

Vers une approche intégrée

Pour répondre à cette crise, une approche intégrée est essentielle. Cela implique de traiter les causes profondes des conflits, de renforcer la résilience climatique et d’améliorer les infrastructures sociales et économiques. Les efforts de consolidation de la paix doivent être combinés avec des investissements dans l’agriculture, l’éducation et la santé pour offrir aux déplacés une chance de reconstruire leur vie.

Les partenaires internationaux ont également un rôle clé à jouer. L’aide humanitaire doit être complétée par des initiatives de développement à long terme, garantissant que les populations déplacées ne soient pas oubliées une fois les urgences passées.

Une crise humaine, pas seulement africaine

Les déplacements internes en Afrique ne sont pas un problème isolé. Ils reflètent des dynamiques globales où le changement climatique, les inégalités économiques et les conflits armés se croisent. Cette crise humanitaire exige une attention mondiale, car les solutions locales ne suffiront pas à elles seules.

En mettant en lumière cette réalité complexe, nous reconnaissons non seulement la souffrance de millions de personnes, mais aussi leur courage face à l’adversité. Les déplacés internes africains, bien que souvent invisibles, incarnent une humanité qui refuse de céder à la fatalité.

Notes et références :

  • Rapport de l’IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre)
    Source principale des données sur les déplacés internes en Afrique. Le rapport de novembre 2023 analyse les causes principales (conflits, violences et catastrophes naturelles) et propose des solutions.
    ➡️ Site officiel de l’IDMC
  • La Convention de Kampala (2009)
    Premier traité juridiquement contraignant dédié à la protection et à l’assistance des déplacés internes en Afrique. Entrée en vigueur en 2012, elle est ratifiée par 34 pays africains.
    ➡️ Document complet disponible sur le site de l’Union africaine : au.int
  • Chiffres clés des déplacements liés aux catastrophes climatiques
    Rapport annuel sur le climat et les migrations, publié par l’IDMC et la Croix-Rouge, montrant que les inondations et les sécheresses ont multiplié les déplacements en Afrique.
    ➡️ Rapport détaillé : Climate Displacement Data
  • Études sur les conflits en Afrique
    • Human Rights Watch : Analyse des conflits armés en RDC, au Nigeria et dans la Corne de l’Afrique.
    • International Crisis Group : Recommandations pour la résolution des conflits.
      ➡️ HRW | ICG
  • Le changement climatique et les migrations forcées en Afrique
    Rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), montrant les impacts croissants du réchauffement climatique sur les populations vulnérables.
    ➡️ Résumé pour décideurs : GIEC
  • Témoignages de déplacés internes
    Les articles de terrain réalisés par des journalistes indépendants ou des ONG (Médecins Sans Frontières, Amnesty International) offrent une perspective humaine à travers des récits personnels.
    ➡️ MSF | Amnesty
  • Le rôle des institutions internationales
    • HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) : Lien entre réfugiés et déplacés internes.
    • Banque mondiale : Études économiques sur l’impact des déplacements sur les infrastructures et les économies locales.
      ➡️ HCR | Banque Mondiale
  • Données historiques sur les conflits africains
    Les archives de l’ONU et de l’Union africaine documentent les dynamiques de conflits prolongés en RDC, au Soudan et dans la région du Sahel.
  • Publications académiques
    • « Climate Change and Forced Migration in Africa » par Robert McLeman (2015).
    • « The Dynamics of Internal Displacement in Africa » par Erin Mooney (2008).
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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