Avec Cɵncept Studios, marque de streetwear, l’Ivoirien Tony Sant’Anna se lance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale à Abidjan.
« C’est le nouveau concept qui a pris le pouvoir à Abidjan ! », s’empressaient de dire des chanteurs avant de citer tout l’arbre généalogique de la famille du coupé-décalé à commencer par Stéphane Hamidou Doukouré dit Douk Saga. Repose en paix, président.
Un temps que les moins de vingt ans – enfin pas tous – débordés de tous les côtés par l’Histoire qui s’écrit chaque jour un peu plus devant eux, particulièrement avec le COVID-19, ignorent. Du Lêbêdê au Fatiguer fatiguer en pensant par Kpangor, nombreux sont ces concepts qui pour être remis au goût du jour les attendent dans la barre de recherches d’une célèbre plateforme de vidéos, YouTube, comme d’autres attendent Bae au bar : avec une certaine impatience.
À défaut d’avoir été emportés/frappés/submergés par la vague du coupé-décalé, lorsque le courant musical/style de vie rythmait Côte d’Ivoire, sous-région et diaspora, il n’y a pas si longtemps, ils peuvent assister en direct à la naissance d’un nouveau concept qui fait mal actuellement à Abidjan : Cɵncept Studios. Rencontre avec son concepteur : Tony Sant’Anna.
CƟNCPT STUDIOS OU LA GENÈSE D’UN EX-MANNEQUIN QUI CONVERSE STREETWEAR
« Tu sais que [Cɵncept Studios, NDLR] c’est arrivé à Adjamé, non ? », plaisante le jeune entrepreneur que nous avions interviewé quelques semaines auparavant.
En très peu de temps, sa marque de streetwear est déjà passée entre les mains expertes de ceux qui copient/collent les produits des autres pour ensuite les revendre à des prix défiant toute concurrence. Notamment à Adjamé, et son marché piège au Premier Gaou pour les uns et nid de bonnes affaires pour les habitués. À chacun sa chance.
Être victime de contrefaçon était tout sauf dans son business plan dont il a tracé les grandes lignes.
UNE ALLSTAR POUR COMMENCER
« Moi, je veux partir de la genèse, démarre ce fervent croyant christique. Le petit frère de ma mère m’offre une All Star édition limitée en 1998. » Ainsi démarra l’amour de Tony Sant’Anna pour le streetwear en général et les sneakers en particulier.
Depuis la dernière fois que nous nous sommes assis pour faire son portrait dans son studio photo, dont l’arrière-boutique sert depuis peu de point de vente de produits Cɵncept Studios, le grand gaillard a changé avec ses nouveaux tatouages qui ornent son corps. Particulièrement le logo de sa marque encore plus visible lorsqu’il forme un poing avec sa main droite. Point barre.
« La paire [All Star édition limitée, NDLR] était tellement belle que mon père la portait. », explique en se marrant celui qui porte des À Ma Manière Jordan 3 à ses pieds.
« Avec le temps, je me détache de concept-là parce que je ne viens pas d’une famille hyper riche donc il ne faut pas me donner des airs ou des choses que je ne pourrais pas atteindre. », se souvient-il lucidement.
Désormais rôdé aux interviews, le collectionneur de sneakers poursuit le déroulé de son enfance et son rapport avec la mode. Prochain arrêt : le Lycée.
« Avec la naissance des Mostro, des Pumas, encore pas enfant de riche, on se débrouille avec les lêkê mais on apporte une touche à nous-mêmes qui faisait que c’était joli à regarder. », incluant au passage son voisin.
Avant que Gucci et d’autres marques mettent la main dessus, pour en faire des chaussures de luxe je-ne-suis-pas-la-cible à 490 dollars, les lêkê sont surtout considérées comme des shoes bon marché qu’enfilent des footballeurs en herbe, pour mieux sentir le cuir, et des apprentis-gbaka, qui régulièrement courent après le bus pour mieux s’accrocher puis se balancer à la porte ouverte du minibus. Et c’est cette paire là que le modeux a réussi à styliser.
Son style « qui pourra le différencier », l’ex-mannequin l’a longtemps cherché.
« Je voulais me différencier des autres. », de sa grosse voix qui résonne dans le studio de plusieurs mètres carrés accueillant parfois des stars de la musique ivoirienne venues pour un maternity shoot ou une promotion d’un nouvel album. Alors, la mise en place change rapidement.
Meuble façon bout de canapé pour poser l’ordinateur à l’écran rabattu et voir ainsi en temps réel la magie opérer, le modèle se dérider, mais aussi fond noir déroulé, tout est prêt.
Prêt, celui, qui s’est lancé « dans le mannequinat après les études », ne l’a pas toujours été. Il y a dix ans maintenant, l’importance de se démarquer sur laquelle il s’attarde depuis quelques minutes maintenant était étroitement liée à sa nouvelle vie de modèle. « Je me cherchais encore, reconnaît-il. Entre style classique, streetwear. Je me cherchais. »
Blouson denim noir, parce que harmattan ou pas il faut toujours être frais, pantalon 7/8ème mi- coton mi- velours et donc À Ma Manière Jordan 3, avec ce A en lettres capitales bien visible sur la languette externe, le sneakers addict a trouvé son style : premium, minimaliste, streetwear ; à l’image de sa marque.
LE POIDS DES MOTS
« Celui qui nous coachait dans notre agence de mannequin, il m’a vu arriver en short et espadrilles. Vraiment, j’étais habillé… », ne finissant pas sa phrase histoire de ne laisser planer aucun doute sur son accoutrement de l’époque.
S’en est suivie une humiliation en direct. Plutôt que de se morfondre là-dessus, le jeune homme, vingtenaire à l’époque, s’en sert comme lettres de motivation afin d’inscrire lentement mais sûrement la mention sapeur minimaliste sur son curriculum vitae.
Contrairement aux gens de sa génération qui claquaient une petite fortune au grand bonheur des libraires ravis de se débarrasser d’un The Source ou n’importe quel autre magazine étranger, qui dormait depuis six mois déjà dans les rayons presse internationale, le serial entrepreneur, qui partage cette passion avec son épouse, à la tête d’une célèbre chaîne de salons de coiffures, lui, il préférait économiser et aussi scroller sur Instagram.
« […] Tu connais, avec l’avènement d’Instagram à cette époque-là [seconde moitié des années 2010], tu vois des mannequins, des influenceurs comme Mariano Di Vaio, Jerry Lorenzo. Des gars comme ça. Tu te dis : « Ah ouais, ils ont un style particulier. » À partir de là, je me suis inspiré d’eux pour avoir mon propre style. »
Mais ce n’est pas tout, pour construire/peaufiner/affiner son style, l’apprenti-modeux peut compter sur le soutien de sa mère.
« Je lui montre une chaussure, parlant au présent comme s’il vivait l’action en même temps. Elle se débrouille comme elle peut pour m’envoyer la chaussure. […] Il y avait aussi le revendeur de chaussures. Ce n’étaient pas des chaussures de premier choix mais je les achetais. Donc petit à petit, j’ai commencé à me donner un style avec les tatouages, montrant quelques-uns au passage, j’ai commencé à me différencier des autres. »
À une amie qui lui demanda, à cette période-là, ce qu’il veut faire plus tard, il lui dit nonchalamment : « Peut-être une ligne de vêtements plus tard. » Le voici quelques années plus tard, propriétaire d’une marque de vêtements. La parole est chair.
FEAR OF NOTHING BUT GOD, C’EST UN CƟNCPT AUSSI
Les bruits provenant de l’arrière-boutique où teeshirts sans manches et/ou manches longues, sweat à capuche suspendus sur des portants à vêtements constituent la bande-son de cette interview ; d’un peu moins d’une heure au total. La rue non bitumée que des chauffeurs VTC, mal concentrés rarement en panne pour la manquer, rate allègrement, est, quant à elle, calme. Passée par là, la rentrée a libéré, délivré des parents à courts d’imagination pour occuper leur progéniture débordante d’énergie. Thanks God.
Dieu justement, IL occupe une place on ne peut plus importante dans la vie de celui qui l’appelle : « Le Boss ».
Sa foi, Tony Sant’Anna ne la porte pas comme un chemin de croix. Elle n’est ni ostensible, ni ostentatoire mais extrêmement visible malgré tout chez ce trentenaire qui « n’a peur de rien ». Et cette croyance en Dieu qui suinte de son corps oint.
Il faut le voir pour le croire. Celui qui ne jure presque que par Fear of God, marque de streetwear de Jerry Lorenzo, souvent assis au premier rang des matchs des Lakers, lui a ainsi demandé…la permission.
C’est en faisant « des recherches sur le streetwear en Angleterre où il y a beaucoup de marques qui me correspondent », que celui qui met « 45 minutes à 1 heure pour se préparer », chercher la bonne combinaison entre vêtements et chaussures, teeshirts et sneakers, que l’inspiration est venue. L’écouter raconter est encore mieux.
« On était en train de manger et j’ai dit à ma femme : « Je veux lancer une ligne de vêtements. » C’était l’année dernière, vérifiant la période exacte sur le compte Instagram de la marque. Ça fait un an qu’on en a parlé. »
Mannequin, photographe à temps plein, l’entrepreneur multifacettes pointe très vite l’élément déclencheur vers le Ciel. Parce que tout ce qu’il fait, y a Dieu dedans. Didi B likes this.
IL ÉTAIT UNE FOI UNE DEMANDE D’AUTORISATION AVANT D’ENTREPRENDRE
« Honnêtement, je pense que ça part du fait que je sois croyant, exposant sa foi sans peur. J’ai l’impression qu’on me parle, qu’on me dit : » Vas-y, lance-toi ! » […] C’est comme si j’étais en train de manger et on m’a parlé à l’oreille. Et j’ai dit comme ça à ma femme, d’un air solennel : » Je pense que je suis prêt. Je pense que je suis prêt à lancer la marque. » »
Tony et sa femme, Lova Blassiri Sant’Anna ont de ceci en commun qu’ils sont de « grands croyants ».
« On se dit alors on confie tout à Dieu. Si on a l’autorisation, insistant sur le mot à plusieurs reprises, on se lance dedans. »
« Même en photo, je me disais que je me suis lancé dans la photo à cause du décès de mon père. Mais dans le fond, j’ai prié et j’ai eu une autorisation. », avant de reconnaître volontiers qu’il a du mal à expliquer l’inexplicable quand on lui demande.
La conversation vire à l’échange sur le divin sans tentative de prosélytisme d’un côté comme de l’autre. Juste une tentative d’explication d’un mode de fonctionnement intimement lié au divin.
Dès que « le Boss » donne son bon pour accord, ils se lancent régulièrement dans un business avec plus ou moins de réussite.
Puis, « Le Vieux », autre surnom qu’il lui a donné, lui donne la fameuse autorisation. Ainsi naquit Cɵncept Studios.
Mais pour y arriver à la version finale, il a fallu à ce chef d’entreprise pas comme les autres passer par plusieurs étapes notamment : la conception d’un logo.
« C’est une lettre venant de l’alphabet grec certes mais celui-là, montrant le tatouage de la marque sur son poing fermé, il sort légèrement. […] »
UN NOUVEAU CƟNCPT SORT DES STUDIOS ABIDJANAIS
Les va-et-vient de son assistante consolident la bande-originale de l’interview de ce mélomane ; qui pousse la chansonnette en public et/ou en privé.
Chez Ghost Studios, il y a toujours quelque chose à faire, même quand le plus dur a été déjà fait.
Le plus « dur » pour Tony Sant’Anna a été de faire valider le choix du nom à sa femme qui a éclaté de rire : « C’est quelle affaire de coupé-décalé ça là ? », lui aurait-elle dit lorsqu’il lui révèle le choix de la marque. Toudoum.
« Un nouveau concept, un nouveau concept. », fredonnant à son tour l’hymne des lanceurs d’Atalaku. Le futur propriétaire de la marque de streetwear comprend le point de sa femme, qui n’en finit pas de rire à ce moment-là, tant elle l’associe au coupé-décalé et nous avec, puis laisse le fou rire passé.
« Il ne faut pas que ça s’écrive comme pour le coupé-décalé. », dit-elle toujours hilare.
« Je voulais que ça se passe comme ça [sur le pourquoi du comment avoir tout installé au même endroit, NDLR]. Je voulais que ça se sache, que les gens [qui sont venus à sa vente privée, NDLR] se disent que c’est au studio photo, que les gens finissent par faire un lien avec le fait que tout soit une sorte de bloc. »
Naturellement, avant de se lancer, le photographe professionnel a photographié la concurrence ; via une étude de marché en bonne et due forme. Résultat : « Je n’ai pas de concurrence. », sans une once d’arrogance.
Si Tony Sant’Anna pense ainsi, c’est sans doute parce que les marques de streetwear comme Imalk Concept, et ces teeshirts à mots d’ordre ivoiriens, Somewhere Brand, qui a un goût certain pour les accessoires colorés ou encore Bourgeoisie.abj, qui semble avoir délaissé les teeshirts pour les chemises preppy, misent moins sur le minimalisme que lui. « Cɵncept Studios, c’est une marque premium, minimaliste, streetwear. » In that order.
Sur le compte Instagram, l’affiche de la vente privée figure encore en bonne place parmi les premières publications.
Sur les portants, les traces du ravage sont encore visibles avec ces quelques vêtements qui flottent seuls sur le bâton noir. Le week-end du 14 et 15 septembre, il fallait être là et vite pour s’offrir une pièce de la collection dont les prix varient. 25 000 francs CFA pour un teeshirt et 35 000 francs CFA pour un sweat à capuche.
UN LOGO QUI MET LA BARRE HAUTE
« Au début, on a eu des clients bienveillants qui ont rapporté des défauts de fabrication. », raconte le jeune homme maniaque. Ils figuraient certainement parmi ceux qui étaient là ce jour-là ou plutôt dans son entourage auquel il « demande conseils ». Histoire de rappeler qu’il n’est pas seul dans ce projet, avec aussi « un bon fournisseur déjà présent » et surtout qu’il maintient ainsi l’équilibre symbolisé par cette fameuse qui sort légèrement du O.
« Ça représente l’équilibre, l’équilibre de la vie, l’équilibre entre la vie et la mort. », d’un air philosophe. Avant d’y coller les termes suivants : « Mixité, raison pour laquelle les femmes peuvent porter. Donc mixité, équilibre entre le bien et le mal. Dans nos couleurs, on reste sur les couleurs de la maison : le noir et le blanc. »
« Je voulais faire une marque de mens wear, revenant sur son changement vers une marque unisexe. [Que ce soit un homme ou une femme, NDLR] faut qu’à la fin de la journée, la personne se sente à l’aise, que la personne se sente bien dans son corps. »
Cette volonté d’enfiler un corps sain dans un esprit sain, le locksé l’a effectivement réalisée puisque : « La plupart des clients qu’on a reçue hors vente privée, quand ils le prennent [le teeshirt, NDLR], ils le portent en même temps. Même à la vente privée, il y a plein de personnes qui ont fait ça. Il faut que tout le monde se sente bien là-dedans. »
Petit à petit, le businessman qui a financé sur fonds propres reconnaît, sourire aux lèvres, que : « Des personnes ont adopté le Cɵncept ». Ils ne leur restent plus qu’à chanter comme au bon vieux temps : « C’est le nouveau concept qui a pris le pouvoir à Abidjan ! ». Et pendant ce temps-là, lui qui « vise plus loin [que la Côte d’Ivoire, NDLR] » s’active dans les studios pour sortir de nouveaux Cɵncepts.