Rumble in the Jungle, ou quand Ali devenait une légende

Le 30 octobre 1974, Muhammad Ali et George Foreman s’affrontent dans le légendaire Rumble in the Jungle à Kinshasa, au Zaïre. Plus qu’un combat, cet événement est devenu un symbole d’espoir et de fierté africaine, marquant un tournant historique et culturel pour les Afro-descendants à travers le monde.

Plus qu’un combat, un symbol pour L’Afrique et l’Amérique

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende
Muhammad Ali et George Foreman dans The Rumble in the Jungle (1974)

En octobre 1974, sous la moiteur de Kinshasa, Muhammad Ali, le “Greatest”, affrontait George Foreman dans ce qui allait devenir le « Rumble in the Jungle« . Mais pour bien saisir l’impact de cette nuit-là, il faut aller au-delà du ring, dans les cœurs, dans les regards et dans les espoirs de ceux pour qui Ali incarnait bien plus qu’un simple boxeur. Car au fond, Kinshasa n’était pas qu’un lieu : c’était le point de rencontre entre le continent africain et les luttes afro-américaines, entre les aspirations de la liberté et les cicatrices du passé colonial. Ali n’était pas seul dans ce combat ; il portait en lui les espoirs de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, combattaient eux aussi pour leur dignité.

La route vers Kinshasa

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende
Ce diagramme photographique comparant les boxeurs Muhammad Ali et George Foreman a été mis à disposition pour être utilisé dans le cadre d’articles sur le combat du mardi pour le titre de champion des poids lourds au Zaïre, en octobre 1974. (AP Photo)

Avant cette rencontre, Ali et Foreman ne s’étaient jamais affrontés, mais les trajectoires des deux hommes convergeaient vers cette nuit en Afrique. Foreman, le champion invaincu et destructeur, dominait son époque par sa puissance brute. Pour beaucoup, il symbolisait une force invincible, une montagne que même Ali, le guerrier fatigué, ne pourrait escalader. En face, Muhammad Ali, porteur de causes et de controverses, avait refusé le service militaire pour protester contre la guerre du Vietnam, ce qui lui avait valu d’être suspendu et privé de son titre. Ali revenait de loin, usé, mais déterminé à se réapproprier sa couronne et à prouver qu’il était le véritable champion du peuple.

Ce combat fut orchestré par le magnat du sport, Don King, mais la scène fut offerte par le président zaïrois Mobutu Sese Seko, désireux de faire de ce combat une vitrine internationale pour son régime. Kinshasa, une ville marquée par l’histoire coloniale et les luttes d’indépendance, devint ainsi un symbole où la boxe se mêlait aux récits de liberté et de dignité retrouvée.

Ali Boma Ye !

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende
Muhammad Ali au Zaïre avant son combat contre George Foreman : Everett Collection Inc/Alamy

Avant même que les poings ne s’entrechoquent, le public africain avait choisi son champion : Ali, l’homme qui incarnait la fierté noire et le combat contre l’oppression. À travers la foule, des voix montaient, scandant : Ali, boma ye ! — “Ali, tue-le !”. Ces mots n’étaient pas simplement une incitation à la violence, mais un cri du cœur, une expression de soutien inébranlable. Ils voyaient en Ali un frère de lutte, quelqu’un qui, comme eux, avait connu le joug de la discrimination et de l’injustice.

George Foreman, quant à lui, était un guerrier redouté mais incompris. Il débarquait à Kinshasa avec deux bergers allemands, symboles pour les Zaïrois des chiens utilisés par les forces coloniales belges pour réprimer les Congolais. Il devenait ainsi, malgré lui, l’antagoniste d’Ali, et sa puissance se transforma en symbole d’oppression dans l’imaginaire collectif.

La stratégie du Rope-a-Dope

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende
En battant George Foreman, Muhammad Ali s’empare des titres WBA et WBC des poids lourds. (Focus on Sport/Getty Images)

Ali, en stratège, ne se contentait pas de frapper ; il inventait, il innovait. Le soir du combat, Ali adopta une tactique qui défiait toutes les conventions de la boxe : le « rope-a-dope« . Plutôt que de danser autour de Foreman, comme il l’avait fait contre d’autres adversaires, Ali s’adossa aux cordes et laissa Foreman le frapper, encore et encore. Cette stratégie semblait suicidaire, mais Ali savait que Foreman, avec ses frappes puissantes mais énergivores, finirait par s’épuiser.

Et Ali résistait, absorbant les coups comme le ferait un arbre sous le vent. Il ne se contentait pas de boxer : il endurait, il se montrait impassible face à la force brute, réaffirmant la capacité de résistance et la résilience de ceux qu’il représentait. Foreman, progressivement, se fatigua, son souffle se fit court, et la puissance qui faisait trembler ses adversaires devint son point faible.

La chute d’un colosse et l’élévation d’une légende

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende
Muhammad Ali looks down at George Foreman during their bout in Kinshasa, Zaire, Oct. 30, 1974. (AP Photo)

Au huitième round, Foreman, fatigué et désorienté, reçut un coup décisif. Ali, voyant la faiblesse de son adversaire, se lança dans une série d’attaques rapides, culminant avec un crochet qui envoya Foreman au sol. Kinshasa retentit de cris et d’applaudissements, les voix des milliers de spectateurs se joignant dans un cri de victoire, non seulement pour Ali, mais pour tout un continent.

Ali venait de renverser un géant et de conquérir le cœur d’une génération. Foreman, un champion déchu, comprenait à cet instant qu’il n’avait pas seulement perdu un titre ; il avait perdu face à un homme dont la force allait bien au-delà des poings. Ali, en redevenant champion, redéfinissait ce que signifiait être un héros pour les Afro-descendants, un porte-parole pour ceux qui luttaient pour la reconnaissance.

Au-delà du ring

Rumble in the Jungle, ou quand Ali Devenait une légende

Le Rumble in the Jungle ne fut pas simplement une victoire sportive. Ce combat marqua un tournant dans l’histoire, un moment où le monde vit l’Afrique comme le théâtre d’un événement grandiose et unificateur. Ali devint une légende vivante, un modèle de courage et d’ingéniosité qui transcendait la boxe pour atteindre les sphères politiques et culturelles.

La victoire d’Ali, magnifiée dans le documentaire When We Were Kings, devint une pierre angulaire de l’histoire afro-américaine et africaine. Plus qu’un match, ce fut une leçon d’humanité, un rappel que les véritables champions sont ceux qui portent leurs communautés, qui transcendent leurs luttes individuelles pour représenter quelque chose de plus grand.

Ali, champion du peuple

Aujourd’hui encore, le Rumble in the Jungle est considéré comme l’un des plus grands moments sportifs du XXe siècle. Mais pour ceux qui l’ont vécu ou qui en ont entendu les échos, il reste avant tout une ode à la liberté et à la dignité. Ali, en affrontant Foreman, n’a pas seulement prouvé sa valeur ; il a révélé au monde la puissance d’un homme qui ne plie pas, d’un peuple qui persiste et d’un continent qui refuse l’invisibilité.

Le chemin qu’Ali a pavé ce soir-là est celui de tous ceux qui refusent la fatalité. Il incarne l’esprit de ceux qui, malgré les coups et les obstacles, se relèvent pour aller au-delà de leurs propres limites. Ali restera, dans les mémoires, comme bien plus qu’un champion de boxe : il fut et demeure le champion du peuple.

Notes et références

  1. « The Rumble in the Jungle« , National Geographic, 2022.
  2. Norman Mailer, The Fight, 1975.
  3. When We Were Kings (Documentaire), réalisé par Leon Gast, 1996.
  4. Paul Bauman, The Legacy of the Rumble in the JungleSports History Quarterly, vol. 29, 2021.
  5. David Remnick, King of the World: Muhammad Ali and the Rise of an American Hero, 1998.
  6. John McGrath, « A Cultural Perspective on the Rumble in the Jungle, » Journal of African Studies, 2020.
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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