Les îles Chagos ou l’histoire d’une déportation oubliée

Découvrez l’histoire tragique des îles Chagos, un archipel de l’océan Indien marqué par l’expulsion de sa population et une lutte pour la souveraineté qui a duré plus de 50 ans. Retour sur un combat pour la justice, enfin couronné de succès en octobre 2024.

Par une chaude journée d’octobre 2024, un chapitre de l’histoire coloniale britannique s’est enfin refermé. Après des décennies de conflits juridiques et diplomatiques, le gouvernement britannique a officiellement restitué la souveraineté des îles Chagos à Maurice. Cette annonce, qui a fait les gros titres de nombreux médias, marque l’épilogue d’une longue lutte de plus de cinquante ans menée par les Chagossiens, peuple autrefois déraciné de leurs terres ancestrales. Pour comprendre cette décision historique, il faut se plonger dans les méandres d’un passé méconnu, fait de trahisons, d’expulsions forcées, et d’enjeux géopolitiques qui ont transcendé les frontières de l’océan Indien.

Un paradis convoité

Les îles Chagos ou l'histoire d’une déportation oubliée

L’archipel des Chagos, un ensemble d’atolls coralliens perdu dans les eaux bleues de l’océan Indien, a tout d’un paradis tropical. Sa plus grande île, Diego Garcia, est un joyau stratégique, située à égale distance des côtes africaines et asiatiques. L’histoire des Chagos remonte au début du XVIe siècle, lorsque le navigateur portugais Pedro de Mascarenhas les mentionna pour la première fois sur ses cartes en 1512. Peu intéressés par ces terres isolées, les Portugais les laissèrent dans l’oubli jusqu’au XVIIIe siècle.

À cette époque, les colons français commencèrent à s’intéresser aux îles pour y développer des plantations de noix de coco et extraire du coprah, une matière précieuse utilisée pour produire de l’huile. Ils y emmenèrent des esclaves originaires de Madagascar et du Mozambique, jetant ainsi les bases de ce qui deviendrait la communauté chagossienne.

La déportation forcée, une tragédie humaine

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Vue aérienne d’une partie de la base militaire américaine de Diego Garcia montrant le porte-avions USS Saratoga accosté dans le port en 1985.

L’histoire bascula brusquement dans les années 1960, quand les États-Unis et le Royaume-Uni signèrent un accord secret pour installer une base militaire sur Diego Garcia. À la suite de cette décision, la population chagossienne fut victime d’une campagne brutale d’expulsion. Entre 1966 et 1973, des centaines de familles furent déracinées, déportées à bord de cargos vers les Seychelles et Maurice, sans autre forme de procès. Leurs maisons furent détruites, leurs chiens abattus, et la communauté se retrouva dispersée, condamnée à vivre dans des bidonvilles, coupée à jamais de ses terres.

Pour les stratèges britanniques et américains, il s’agissait d’un mal nécessaire. La base de Diego Garcia, située à un point névralgique des routes maritimes, permettait de surveiller l’océan Indien et de projeter leur puissance militaire dans une région clé pendant la Guerre froide. Les Chagossiens, quant à eux, étaient réduits au silence, leur histoire reléguée à l’oubli.

Un combat juridique sans fin

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AP Photo/Mike Corder

C’est à partir des années 1990 que les Chagossiens commencèrent à faire entendre leur voix. Soutenus par des militants des droits de l’homme, ils entamèrent une série de recours judiciaires pour réclamer leur droit au retour. Leurs efforts furent couronnés de quelques victoires symboliques, mais en 2008, la Chambre des Lords, plus haute juridiction britannique, les débouta définitivement, les condamnant à rester en exil.

Cependant, la lutte ne s’arrêta pas là. En 2017, l’Assemblée générale des Nations unies adopta une résolution demandant à la Cour internationale de justice de se prononcer sur la légalité de l’administration britannique de l’archipel. Deux ans plus tard, en février 2019, la Cour jugea que le Royaume-Uni avait illégalement séparé les Chagos de Maurice en 1965, violant ainsi le droit international.

Un tournant historique

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Le 3 octobre 2024, après de longues négociations, le Royaume-Uni rendit finalement la souveraineté des îles Chagos à Maurice, tout en conservant un bail militaire de 99 ans sur Diego Garcia, garantissant ainsi la poursuite de l’exploitation de la base. Pour les Chagossiens, ce fut une victoire amère. Si l’annonce marquait la fin de la tutelle britannique, leur retour sur les îles restait incertain, entravé par des considérations politiques et écologiques.

La mémoire d’un peuple

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Un Chagossien photographié par une équipe du US National Geodetic Survey en 1971.

Aujourd’hui, l’histoire des Chagossiens est celle d’un peuple qui se bat pour retrouver son identité, sa terre et sa dignité. Leur combat résonne avec celui d’autres communautés à travers le monde, victimes de déportations et de politiques coloniales injustes. Les cicatrices de cette déportation forcée ne se refermeront pas de sitôt, mais le 3 octobre 2024 restera à jamais gravé dans l’histoire comme le jour où justice leur fut, au moins partiellement, rendue.

L’histoire des Chagos est un rappel poignant des drames humains qui se cachent derrière les enjeux géopolitiques et militaires. Mais c’est aussi l’histoire d’une résistance, d’une communauté qui refuse de disparaître, qui se bat pour son droit à l’existence. Et, peut-être, un jour, les Chagossiens retrouveront enfin leur paradis perdu.

Sources

  • « La dernière colonie : Les îles Chagos, une histoire d’exil et de justice« , Philippe Sands, 2022
  • « Island of Shame: The Secret History of the US Military Base on Diego Garcia« , David Vine, 2009
  • Cour internationale de justice, avis consultatif, février 2019
  • Archives de l’ONU, « Résolution sur la décolonisation des îles Chagos », 2017
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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