Le royaume de Kerma, rival méconnu de l’Égypte pharaonique

Découvrez l’histoire fascinante du royaume de Kerma, grand rival de l’Égypte pharaonique, et sa riche culture nubienne.

Vers 2500 avant J.-C., au sud de l’Égypte actuelle, un État puissant s’organise autour de la ville de Kerma, dans ce qui est aujourd’hui le Soudan. Cet État, plus tard connu sous le nom de Kouch1, deviendra l’un des plus grands rivaux de l’Égypte pharaonique, marquant ainsi une étape clé dans l’histoire de l’Afrique ancienne. Vers 2000 avant J.-C., Kerma se hisse au rang de grande puissance régionale, avec une société complexe et une culture distincte, capable de rivaliser avec l’imposante civilisation des pharaons.

Une population pluri-ethnique

L’histoire des Kouchites débute avec la migration des populations vivant autrefois le long du Wadi Howar, un affluent aujourd’hui asséché du Nil, qui reliait autrefois la Nubie à des régions plus à l’ouest. Ces populations, ancêtres des Nubiens modernes, ainsi que des Nara d’Érythrée, contribuèrent à la fondation de Kerma. L’archéologie a permis de mettre en évidence le caractère pluri-ethnique de cette société. L’analyse des crânes retrouvés dans les cimetières contemporains du royaume de Kouch révèle une diversité physique notable. Certains individus, de grande taille et au visage prognathe2, présentaient des traits similaires aux populations du Kenya actuel, tandis que d’autres, plus proches des Égyptiens anciens, avaient des nez plus étroits et un prognathisme moindre. L’élite dirigeante de Kouch, quant à elle, possédait une apparence plus trapue, ressemblant aux Égyptiens mais avec une stature plus robuste.

Ces divers groupes ethniques cohabitaient au sein du royaume de Kerma, contribuant à la richesse et à la diversité culturelle de cette civilisation. La majorité de la population semble cependant avoir été constituée de Nubiens, qui partagent aujourd’hui encore des traits physiques et culturels avec leurs ancêtres kouchites.

Une langue proche des langues nubiennes modernes

Claude Rilly dans les monts Nouba, au Soudan, en 2007, enregistrant un locuteur de la langue afitti, une lointaine cousine du méroïtique.

Bien que la langue des Kouchites de Kerma n’ait pas été transcrite, les recherches récentes menées par des linguistes comme Claude Rilly3 ont révélé qu’elle appartenait probablement à la même famille que les langues nubiennes modernes. Cette langue, parlée par l’élite dirigeante de Kerma, était vraisemblablement similaire au nara4, parlé en Érythrée, et au nyimang5. Toutefois, l’écriture n’était pas couramment utilisée à Kerma pour retranscrire la langue locale. Les rares inscriptions retrouvées dans la région sont des hiéroglyphes égyptiens, servant principalement aux échanges diplomatiques et commerciaux avec l’Égypte.

Un patrimoine architectural remarquable

Le grand temple en brique crue, connu sous le nom de Deffufa occidentale, dans l’ancienne ville de Kerma, au Soudan.

Le legs le plus impressionnant de la culture kouchite réside dans son architecture monumentale. Parmi les ruines les plus emblématiques de Kerma se trouvent les « deffufas« , de massifs temples de brique qui servaient de centres religieux et sociaux. En outre, l’architecture funéraire de Kerma est unique en son genre. Les tombes royales, souvent de forme circulaire, étaient décorées de crânes de bovins, une référence directe au dieu-bélier vénéré par les Kouchites. Ce culte du bélier, associé au dieu solaire Mash, souligne l’importance de la religion dans cette société. Certains rituels funéraires comprenaient également des sacrifices humains, une pratique destinée à accompagner le défunt dans l’au-delà, témoignant de la sacralité de la mort chez les Kouchites.

Les Kouchites excellaient également dans le travail des matières premières. Ils étaient des éleveurs de bovins et caprins, mais aussi des artisans habiles. Ils produisaient des céramiques distinctives, comme la fameuse poterie rouge à bord noir, et maîtrisaient le travail du bronze, notamment pour la fabrication d’armes. Ces productions artisanales attestent d’un haut degré de sophistication culturelle.

Kouch, un ennemi de l’Égypte

Dans les textes égyptiens, le royaume de Kouch apparaît dès ses débuts comme un adversaire de l’Égypte pharaonique. Situé en Haute Nubie, Kouch était distinct de la Basse Nubie, qui faisait l’objet d’un contrôle égyptien sous la forme de l’État de Wawat. Les populations de ces deux régions, bien que différentes politiquement, étaient collectivement désignées sous le terme « Nehesiou » par les Égyptiens, un mot qui pourrait signifier « ceux qui marmonnent des incantations« 6 [4], en raison de la réputation de magiciens attribuée aux Kouchites.

Dans les premières décennies du IIe millénaire avant J.-C., le roi égyptien Amenemhat Ier entreprit une série de campagnes militaires dans la région et annexa Wawat. Les Égyptiens y établirent des forteresses pour contrôler les routes commerciales et les richesses de la Basse Nubie. Cependant, leur influence sur Kouch resta limitée.

Une résistance persistante et une invasion manquée

Sous le règne de Sésostris Ier7, l’Égypte tenta d’étendre son contrôle sur Kouch. Bien que l’invasion fût partiellement réussie, elle ne parvint pas à soumettre totalement le royaume, qui continua de payer un tribut sans être annexé. Ce statu quo dura jusqu’à l’affaiblissement temporaire de l’Égypte sous la domination des Hyksos, au nord du pays. Durant cette période, Kouch en profita pour étendre son influence en Basse Nubie, conquérant les forteresses égyptiennes de la région et établissant ainsi une domination temporaire sur le sud de l’Égypte.

Au XVIe siècle avant J.-C., une coalition de Kouch, des populations de Wawat, des Medjay8 et des peuples de Pount, infligea une lourde défaite à l’Égypte9, la pillant sans toutefois chercher à l’occuper. Ce succès militaire fut éphémère, car l’Égypte se releva sous les pharaons Thoutmôsides, qui reprirent le contrôle de la Nubie et soumirent Kouch.

L’héritage durable de Kerma

Malgré la colonisation égyptienne qui suivit, le royaume de Kouch, et plus particulièrement la civilisation de Kerma, laissa une empreinte indélébile sur l’histoire africaine. Le royaume de Méroé, qui succéda à Kerma des siècles plus tard, hérita en grande partie des structures politiques et culturelles mises en place durant cette première période.

Le royaume de Kerma, avec sa diversité ethnique, son architecture monumentale et ses traditions religieuses et artisanales, reste un exemple marquant de la sophistication des civilisations africaines pré-coloniales. Son rôle en tant que rival de l’Égypte, ainsi que son influence durable sur les royaumes qui lui succédèrent, en font un sujet d’étude fascinant, souvent méconnu mais crucial pour comprendre l’histoire de l’Afrique antique.

Notes et références

  1. Appelé ks, k3s, kš ou k3š dans les textes égyptiens. ↩︎
  2. On appelle ainsi le fait d’avoir la mâchoire plus ou moins projetée vers l’avant. ↩︎
  3. Cf. Claude Rilly (2007), La langue du royaume de Méroé : un panorama de la plus ancienne culture écrite d’Afrique subsaharienne, Paris : H. Champion, et Claude Rilly (2010), Le méroïtique et sa famille linguistique, Louvain : Peeters. ↩︎
  4. Nara (langue) : La langue Nara est une langue nilo-saharienne parlée par les Nara, un groupe ethnique vivant principalement en Érythrée. Elle est proche des langues nubiennes modernes, comme celles des Nubiens du Soudan, et partage probablement des racines communes avec la langue des anciens Kouchites. ↩︎
  5. Nyimang (langue) : Le Nyimang est une langue parlée par les populations vivant dans les montagnes de Nuba, au Soudan. Comme les langues nubiennes modernes, elle appartient à la famille des langues nilo-sahariennes et pourrait avoir des liens avec la langue des anciens habitants du royaume de Kerma. ↩︎
  6. Cf. R.L.P. Etilé (2003), Étude sur une civilisation négro-africaine, l’Égypte antique, Paris : Menaibuc. ↩︎
  7. Sésostris Ier : Pharaon de la XIIe dynastie (r. 1971-1926 avant J.-C.), Sésostris Ier est connu pour ses campagnes militaires en Nubie et ses tentatives d’étendre l’influence égyptienne sur le royaume de Kouch. Bien qu’il ait réussi à imposer un tribut à Kouch, il n’a pas annexé ce royaume, qui continua d’exister en tant qu’entité distincte. ↩︎
  8. Medjay : Les Medjay étaient un peuple nubien originaire de la région entre la première et la deuxième cataracte du Nil. Ils étaient réputés pour leur bravoure et leurs compétences en tant que guerriers et éclaireurs. Sous l’Empire égyptien, ils furent intégrés dans les forces militaires et devinrent une importante force de police dans les déserts égyptiens et à la frontière nubienne. ↩︎
  9. Dalya Alberge (28 juillet 2003), Tomb Reveals Ancient Egypt’s Humiliating Secret, The Times (Londres). ↩︎

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