L’histoire du Maroc est marquée par des récits complexes et souvent méconnus qui retracent la présence et l’influence des Noirs dans la fondation et le développement de plusieurs grandes villes du pays. Des villes emblématiques comme Marrakech, Sidjilmassa, et Fès sont associées, dans diverses traditions et récits historiques, à des figures noires qui ont marqué leur fondation ou leur évolution.
Nofi explore ces récits en mettant en lumière les origines et le rôle des Noirs dans ces cités marocaines.
Marrakech, une ville au nom controversé
Marrakech, l’une des villes les plus célèbres du Maroc, est souvent associée à des récits impliquant des populations noires. Selon l’historien arabe Al-Marrakushi, Marrakech pourrait avoir été nommée d’après un esclave noir connu pour ses activités de brigandage. Une autre théorie, présentée par Ibn Khallikân, propose que le nom de la ville signifie « va-t-en vite, » phrase prononcée par des voyageurs en raison de la menace des brigands. Cette dernière interprétation laisse entendre que l’association entre Marrakech et les Noirs pourrait être liée à une connotation négative de l’époque.
Cependant, il est important de noter que l’hypothèse liant le nom de Marrakech à un Noir repose peut-être sur une simple ressemblance phonétique avec le mot « Koush, » qui désignait historiquement une personne noire. Ce récit, bien que présent dans la tradition orale et écrite, demeure parmi les moins convaincants lorsque l’on examine les origines historiques de la ville.
Sidjilmassa, un centre de commerce sous influence noire
Sidjilmassa, située dans le sud-est du Maroc, fut un centre commercial majeur pendant le Moyen Âge. Contrairement à Marrakech, les liens de Sidjilmassa avec les populations noires sont plus clairement établis. Selon le géographe arabe Al-Bakri, le premier souverain de Sidjilmassa, fondée au 8ème siècle, fut un Noir nommé ‘Isa ibn Yazid. Son règne, qui dura quinze ans, prit fin lorsqu’il fut accusé de vol et exécuté.
L’historienne marocaine Majda Tangi propose, dans sa thèse, que la région de Sidjilmassa était peuplée majoritairement de Noirs avant l’arrivée des Berbères Meknasa et des Arabes au 8ème siècle. Ces derniers auraient utilisé l’influence d’un autochtone noir pour établir leur contrôle avant de s’en débarrasser. Cette hypothèse suggère une présence noire bien ancrée dans l’histoire de la ville, souvent réduite au rôle de commerçants ou d’esclaves dans les récits traditionnels.
Fès, le Noir ‘Alun et la fondation de la ville
Fès, fondée par Idris I au 8ème siècle, est souvent considérée comme le cœur spirituel et culturel du Maroc. Sous le règne de son fils, Idris II, Fès devint la capitale de l’État idrisside. Un récit rapporté par Ibn Abi Zar’ mentionne qu’un Noir nommé ‘Alun, connu pour ses activités de brigandage dans les environs de Fès, fut exécuté en public sur ordre d’Idris II. Une fontaine, qui portait encore le nom de ‘fontaine de ‘Alun’ à l’époque d’Ibn Abi Zar’, témoignait de cet événement.
Ce récit, comme ceux de Marrakech et de Sidjilmassa, suggère une tendance à associer les Noirs à des actes de brigandage, ce qui amène à s’interroger sur la véracité et l’intention derrière ces narrations historiques.
Réflexions sur l’association des Noirs aux fondations des villes marocaines
Les récits concernant Marrakech, Sidjilmassa, et Fès montrent une récurrence : celle d’associer des figures noires aux origines ou à la protection de ces villes, souvent dans un contexte de conflit ou de criminalité. Majda Tangi questionne cette répétition en se demandant s’il faut voir en ces figures des « individus isolés » ou les « rescapés d’un peuple noir qui a disparu sous les coups d’immigrés venant de l’Orient. » Elle ajoute :
« ’Alun et Marrakech étaient-ils vraiment des brigands ou les défenseurs de leurs propres territoires menacés? »
Ces réflexions soulèvent des questions cruciales sur la manière dont l’histoire a été écrite et transmise. L’idée que les Noirs auraient systématiquement été présentés sous un jour négatif pourrait refléter des préjugés culturels ou politiques de l’époque, ce qui invite à une réévaluation critique des sources historiques.
En conclusion
Bien qu’on ne puisse tirer de conclusions sur la seule base de ces textes à l’ensemble de tout le pays, il est intéressant de remarquer une récurrence dans les récits de fondation d’importantes villes du Maroc. Celles-ci sont dans chaque cas associées à la présence d’un autochtone noir se livrant au brigandage.
Majda Tangi se pose la question de cette récurrence en ces termes :
« Faut-il voir en ‘alun et Marrakech des individus isolés, ou bien les rescapés d’un peuple Sudan (=Noir) qui a disparu sous les coups d’immigrés venant de l’Orient. ‘alun et ‘Marrakech’ étaient-ils vraiment des brigands ou les défenseurs de leurs propres territoires menacés. L’accusation qu’on leur a imputé reste sujet de discussion. »
Sommaire
Référence :
Majda Tangi / Contribution à l’étude de l’histoire des « sudan » au Maroc du début de l’islamisation jusqu’au début du XVIIIe siècle