Les Marrons de Jamaïque, héritiers de la résistance africaine à l’esclavage

L’histoire des Marrons de Jamaïque, résistants africains ayant défié l’esclavage, préservé leurs traditions et inspiré la lutte pour la liberté dans les Amériques.

La résistance des Africains déportés aux Amériques est souvent perçue comme une lutte désorganisée, sans lien avec les structures sociales et politiques de leurs terres d’origine. Cette perception erronée minimise la force et la cohésion de ceux qui, comme les Marrons de Jamaïque, ont transformé la révolte en un symbole durable de résistance. En vérité, loin d’avoir été anéantie lors de la traversée de l’Atlantique, l’identité africaine a survécu et a inspiré des mouvements de rébellion sur tout le continent américain. Les Marrons, descendants directs d’Africains capturés, notamment sur la Côte de l’Or (Ghana actuel), ont joué un rôle central dans cette lutte pour la liberté, avec un héritage de résistance qui puise ses racines dans les traditions guerrières africaines.

La continuité de la résistance africaine

Les Marrons de Jamaïque, héritiers de la résistance africaine à l’esclavage
Frontispice gravé, « Leonard Parkinson, a Captain of Maroons » gravé par Abraham Raimbach (1776-1843) d’après The proceedings of the governor and Assembly of Jamaica, in regard to the Maroon negroes (Les procédures du gouverneur et de l’assemblée de la Jamaïque, concernant les nègres marrons). (Londres : imprimé pour John Stockdale, 1796). Avec l’aimable autorisation de l’American Antiquarian Society, Worcester, Massachusetts.

Le terme « Marron » vient du mot espagnol cimarrón, qui signifie sauvage ou indomptable. Il désignait initialement les esclaves africains et indigènes ayant échappé à la servitude pour former des communautés indépendantes dans les montagnes. Ces groupes de résistants, loin d’être des bandes désorganisées, s’appuyaient sur des structures sociales héritées d’Afrique, notamment chez les Akan, un peuple ayant une longue tradition de résistance militaire. Déportés au cours des guerres tribales entre royaumes côtiers africains, les Akan, majoritaires chez les Marrons de Jamaïque, ont apporté avec eux des stratégies de guérilla, des rituels spirituels et une structure politique solide.

La première révolte et la naissance des Marrons

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Carte gravée et coloriée à la main par Herman Moll de l’île de la Jamaïque divisée en ses principales paroisses (Londres, 1728). Avec l’aimable autorisation de l’American Antiquarian Society, Worcester, Massachusetts.

En 1655, lorsque les Anglais conquirent la Jamaïque, alors colonie espagnole, ils ne s’attendaient pas à l’une des plus féroces résistances qu’ils allaient rencontrer. Les Africains esclaves, estimés à 1 500 à l’époque, profitèrent de l’invasion pour s’enfuir dans les montagnes, formant les premiers groupes de Marrons. Ces Africains, issus principalement de la région Akan de la Côte de l’Or, avaient une expertise militaire qui leur permit d’infliger de lourdes pertes aux colons anglais, s’inspirant des tactiques de guerre irrégulière de leurs terres natales. Selon des témoignages de l’époque, ces anciens captifs utilisaient des signaux sonores pour communiquer à distance dans les montagnes, une pratique qui rappelle les méthodes de communication employées dans les conflits tribaux en Afrique de l’Ouest.

Un soldat britannique, James Knight, décrit dans une lettre de 1730 : 

« Ils apparaissent sans prévenir, sortant de l’ombre des arbres, attaquent avec une précision terrifiante et disparaissent à nouveau dans les montagnes comme des fantômes. Ils savent manier la terre comme une arme. »

Une guerre d’usure contre les Britanniques

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Les Marrons ont utilisé leur connaissance du terrain pour mener une guérilla contre le gouvernement colonial britannique

Les années qui suivirent furent marquées par une série d’affrontements violents entre les colons et les Marrons, dirigés par des chefs charismatiques comme Cudjoe et Nanny. Nanny, une prêtresse d’origine Akan, non seulement dirigeait les guerriers dans la bataille mais présidait aussi des rituels spirituels essentiels pour maintenir la cohésion et le moral du groupe. Elle créa un village fortifié appelé Nanny Town, situé dans les Blue Mountains, où plusieurs centaines de Marrons vivaient en autonomie complète, pratiquant l’agriculture, la chasse et perpétuant les coutumes africaines. Les femmes plantaient des ignames et des bananes, tandis que les hommes chassaient les sangliers, reproduisant ainsi un mode de vie similaire à celui de leurs ancêtres africains.

Le gouverneur de la Jamaïque en 1735 décrivit dans une dépêche au Conseil britannique :

 « Le plus grand danger pour cette île n’est pas la menace des invasions étrangères mais ces noirs indomptables qui, depuis les hauteurs, provoquent la terreur chez les colons et suscitent des révoltes parmi les esclaves. »

Les Marrons, un symbole de liberté et d’espoir pour les esclaves

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Cette image datant de 1834 représente une bataille entre des Marrons jamaïcains et des soldats britanniques. Après deux guerres au XVIIIe siècle, les Britanniques ont signé des traités avec les Marrons, leur permettant de rester libres et autonomes jusqu’à l’abolition de l’esclavage. ILLUSTRATION PAR UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE, GETTY IMAGES

Alors que les Britanniques cherchaient à étendre leurs plantations de canne à sucre sur la côte nord-est de l’île, les raids des Marrons ne faiblirent pas. En 1730, après une série d’incendies de plantations et la désertion de nombreux esclaves pour rejoindre les Marrons, la Couronne envoya des régiments de soldats professionnels pour éradiquer cette menace. Mais l’armée britannique, habituée aux batailles conventionnelles, se heurta à la guérilla marronne. Un officier britannique, Edward Trelawny, écrivit à propos des tactiques des Marrons : 

« Ils ne nous combattent pas sur le terrain que nous connaissons. Ils nous attirent dans les montagnes, où nos hommes se perdent, se désorientent, et sont abattus un par un, comme du gibier. »

Ces succès militaires des Marrons n’inspirèrent pas seulement la crainte, mais aussi l’espoir parmi les esclaves africains des plantations. Chaque raid des Marrons était un rappel que la liberté était encore possible. Les esclaves en fuite se joignaient souvent à eux, renforçant leurs rangs et alimentant le cycle de résistance. Certains Marrons utilisaient également leur position pour organiser des révoltes sur les plantations elles-mêmes, affaiblissant ainsi davantage l’économie sucrière.

Une paix fragile et un pacte controversé

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« Pacification avec les nègres marrons », dessinée par Agostino Brunyas. Gravure sur cuivre tirée de An historical survey of the island of Saint Domingo : together with an account of the Maroon negroes in the island of Jamaica par Bryan Edwards (Londres, 1801), en regard de la page 311. Avec l’aimable autorisation de l’American Antiquarian Society, Worcester, Massachusetts.

En 1739, incapables de venir à bout des Marrons, les Britanniques optèrent pour une solution de compromis. Des traités furent signés avec les chefs marrons, leur garantissant une liberté conditionnelle et la propriété de 1 500 acres de terre. En échange, les Marrons s’engageaient à ne plus attaquer les plantations et, surtout, à capturer et retourner les esclaves en fuite aux autorités britanniques. Cudjoe, leader des Marrons de l’ouest, signa cet accord, suscitant la colère de certains de ses compagnons, qui voyaient dans cette trahison une atteinte aux principes mêmes de leur résistance.

Un des Marrons déserteurs, Kofi, tenta même de fomenter une rébellion contre Cudjoe, avant d’être capturé et exécuté. Malgré ce pacte controversé, les Marrons restèrent un symbole de résistance pour les esclaves africains tout au long du XVIIIe siècle.

L’héritage des Marrons et leur impact sur la diaspora

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Bataille de San Domingo, également connue sous le nom de bataille de Palm Tree Hill

L’histoire des Marrons jamaïcains est un rappel puissant de la résilience africaine face à l’oppression. En établissant des sociétés libres, fondées sur les traditions et les connaissances importées d’Afrique, les Marrons ont conservé non seulement leur autonomie, mais aussi un lien direct avec leur héritage africain. Leur lutte a également inspiré d’autres mouvements de résistance, notamment en Haïti, où la révolution de 1791 fut en partie motivée par la volonté de recréer des sociétés indépendantes, à l’image des Marrons de Jamaïque.

De plus, leur héritage continue de résonner dans les luttes contemporaines pour les droits civiques et la reconnaissance de l’identité afrodescendante. Les communautés marronnes existent encore en Jamaïque aujourd’hui, perpétuant une tradition séculaire de résistance et de liberté.

Conclusion

L’histoire des Marrons de Jamaïque est bien plus qu’un simple chapitre de la lutte contre l’esclavage. Elle témoigne de la force et de la persistance des identités africaines dans les Amériques, et de la manière dont ces identités ont façonné la résistance à l’oppression. À travers leurs victoires et leurs compromis, les Marrons ont laissé un héritage durable qui continue d’inspirer et de défier les récits traditionnels de l’histoire coloniale.

Références :

  • Mavis Campbell / The Maroons of Jamaica
  • Edward Brathwaite / Warriors of the Jamaican Hills
  • Michael Craton / Testing the Chains: Resistance to Slavery in the British West Indies
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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