Quand l’Espagne et le sud de la France étaient Nègres

Découvrez l’histoire oubliée de l’Espagne et du sud de la France sous domination maure, une époque marquée par une présence afro-islamique influente. Une exploration de l’héritage culturel, religieux et politique des Maures, et comment ces récits oubliés façonnent notre compréhension de l’Europe moderne.

L’histoire européenne est souvent racontée à travers le prisme de la Renaissance, des grandes découvertes, ou encore des guerres de religion, mais il est une période méconnue et pourtant fondamentale : celle où l’Espagne et le sud de la France étaient sous domination maure, avec une présence marquée de populations à la peau sombre. Revenons sur cette ère oubliée de l’Europe médiévale, qui a durablement façonné le visage de ces régions.

L’arrivée des Maures, une révolution socio-culturelle

Quand l’Espagne et le sud de la France étaient Nègres
Le chef maure est une peinture d’Eduard Charlemon.

En 711, une date clé marque le début d’une transformation profonde : Tariq Ibn Ziyad, gouverneur de Tanger, débarque en Espagne avec une armée de 12 000 Maures. Ces conquérants, venus d’Afrique du Nord, n’étaient pas seulement des soldats ; ils étaient aussi des porteurs d’une nouvelle culture, religion, et civilisation. Ces « hommes à la peau sombre« , comme l’historiographie arabe et européenne les décrit, ont exercé un contrôle sur une grande partie de la péninsule ibérique et du sud de la France.

Entre 711 et 732, les Maures dominent l’Espagne et avancent au-delà des Pyrénées pour conquérir le royaume des Francs, avant d’être arrêtés à la bataille de Poitiers. Cependant, ils gardent la mainmise sur des territoires comme la Septimanie (actuelle Narbonne et Montpellier) jusqu’en 759, et les traces de leur présence se prolongent bien au-delà de leur départ.

Une influence qui dépasse la religion

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L’émir est une peinture de Ludwig Deutsch.

Si les historiens s’attardent sur l’aspect militaire de cette période, l’influence mauresque va bien au-delà des batailles. L’Espagne, mais aussi la Sicile, la Sardaigne, la Corse, et d’autres parties de l’Europe méditerranéenne, connaissent alors une riche hybridation culturelle. Cette période voit émerger des sociétés où chrétiens, musulmans, et juifs cohabitent dans un fragile équilibre, façonnant des villes dynamiques, des échanges commerciaux florissants, et une diversité architecturale marquante.

Le drapeau de la Corse, arborant la tête d’un Maure, en est un symbole indélébile. La présence maure n’a pas seulement marqué la géographie et l’urbanisme, mais aussi la mémoire collective et les identités locales, un héritage souvent négligé dans les récits historiques dominants.

La Reconquista et la « pureté du sang » ou la naissance de l’Europe moderne ?

Quand l’Espagne et le sud de la France étaient Nègres

L’essor de la Reconquista, commencé dès le VIIIe siècle depuis le royaume des Asturies, est souvent présenté comme une épopée héroïque chrétienne contre l’occupant musulman. Pourtant, ce mouvement, qui s’achève en 1492 avec la chute de Grenade, marque aussi le début d’une nouvelle ère en Europe : celle de la pureté du sang (« limpieza de sangre »). Ce concept, cristallisé après la reconquête totale, devient un outil de discrimination systématique contre les « nouveaux chrétiens » — juifs et musulmans convertis — et plus largement contre tout individu soupçonné d’ascendance non-chrétienne.

La chasse aux musulmans et aux juifs d’Espagne et l’imposition de lois raciales annoncent le basculement vers ce que l’on appelle les « Temps Modernes », une époque caractérisée par l’invention du racisme tel que nous le connaissons aujourd’hui et par le début de la traite négrière transatlantique. L’histoire de l’Europe du Sud est alors redéfinie par la disparition progressive de sa diversité ethnique et culturelle d’origine.

Une mémoire à réinvestir

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Tête de maure est une peinture de José Tapiro y Baro.

L’oubli de cette prépondérance noire et musulmane dans l’histoire de l’Europe du Sud n’est pas anodin. En effet, il est étroitement lié à la construction de récits nationaux qui ont évincé toute altérité de la « grandeur » occidentale. Il est fondamental de réintégrer ces chapitres manquants dans nos livres d’histoire afin de mieux comprendre les dynamiques de pouvoir, de culture et d’identité qui ont façonné le monde moderne.

Aujourd’hui, alors que nous faisons face à des débats sur la diversité et la mémoire historique, il est essentiel de rappeler que l’Europe n’a pas toujours été celle que l’on imagine. Elle a été marquée par une richesse d’influences afro-islamiques et juives, et c’est en réinvestissant ces histoires occultées que l’on peut espérer bâtir un futur plus inclusif et conscient de ses racines plurielles.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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