Queen Nanny, l’héroïne de la résistance marronne en Jamaïque

Laissez-vous inspirer par Queen Nanny, la femme qui a bâti une forteresse de liberté au cœur des montagnes jamaïcaines.

L’histoire de la Jamaïque au XVIIIe siècle est marquée par la résistance farouche d’une figure emblématique : Queen Nanny, leader des Marrons. Aux côtés de Zumbi dos Palmares au Brésil et de Toussaint Louverture en Haïti, Nanny symbolise la lutte contre l’oppression coloniale et l’esclavage. Déportée d’Afrique de l’Ouest vers les Caraïbes, cette femme née dans la tribu Ashanti au Ghana est devenue une héroïne nationale en Jamaïque, reconnue pour son rôle décisif dans l’établissement et la défense des communautés marronnes face aux Britanniques. Nofi explore la vie, les stratégies et l’héritage de Queen Nanny, tout en mettant en lumière l’organisation et la résistance des Marrons de Jamaïque.

I. Origines et contexte des Marrons de Jamaïque

A. Les Marrons : définition et origines

Le terme « Marrons » fait référence aux esclaves fugitifs qui ont échappé aux plantations pour former des communautés autonomes dans des régions inaccessibles de la Jamaïque. L’histoire des Marrons de Jamaïque débute sous la domination espagnole, vers 1650, lorsque les premiers esclaves s’échappent et se réfugient parmi les communautés indigènes Arawaks. Ces premiers fuyards posent les bases de ce qui deviendra, un siècle plus tard, une société marronne résiliente et organisée.

Avec l’arrivée des Britanniques en 1655, la résistance s’intensifie. Les Marrons, désormais constitués en deux principaux groupes – les Windward, dirigés par Queen Nanny, et les Leeward, sous la direction de Cudjoe – deviennent une épine dans le pied des colons. Leur origine commune des peuples Akan, notamment des Ashantis du Ghana actuel, renforce leur cohésion. Ces groupes partagent une langue, une culture et une histoire de résistance, éléments cruciaux qui nourriront leur lutte contre l’esclavage.

B. La société Marronne : organisation et mode de vie

Trelawney Town, la résidence principale des Marrons

Les Marrons développent une société indépendante, structurée autour de valeurs communautaires et de pratiques agricoles et guerrières héritées de leurs ancêtres africains. Loin des centres de pouvoir colonial, les Marrons créent une économie de subsistance basée sur l’agriculture, l’élevage et la chasse. Ils organisent des raids contre les plantations pour se procurer des vivres, des armes et libérer d’autres esclaves, gonflant ainsi leurs rangs.

L’organisation de ces communautés est fortement militarisée. Les Marrons, habitués à une vie de guérilla, exploitent leur parfaite connaissance du terrain pour repousser les forces britanniques. Les montagnes, avec leurs terrains accidentés et leurs forêts denses, offrent un abri naturel qui les met à l’abri des assauts directs des colonisateurs. C’est dans ce contexte que Nanny Town, la communauté fondée par Queen Nanny dans les Blue Mountains, prend une importance stratégique.

II. Queen Nanny : leader et stratège

A. L’ascension de Nanny : d’esclave à leader

Née vers 1686 dans la nation Ashanti, Nanny est capturée et déportée en Jamaïque alors qu’elle n’est qu’une enfant. Vendue à un colon, elle est placée dans une plantation de Saint Thomas Parish, une région proche de Port Royal, où les conditions de travail sont particulièrement inhumaines. Aux côtés de ses frères, Cudjoe, Accompong, Johnny et Quao, elle refuse l’idée de passer sa vie en esclavage. Ensemble, ils s’évadent et rejoignent les communautés marronnes établies dans les montagnes.

C’est au sein de cette société marronne que Nanny se distingue rapidement par son charisme, son intelligence stratégique et sa détermination inébranlable à libérer ses pairs. En tant que femme, elle défie les conventions de l’époque en assumant un rôle de leadership. Sa réputation grandit à mesure qu’elle réussit à organiser la fuite de centaines d’esclaves et à les intégrer dans une société marronne florissante.

B. Les stratégies militaires de Nanny

Les Marrons en embuscade sur le domaine de Dromilly dans la paroisse de Trelawney, Jamaïque. Une aquatinte (d’après une peinture de F. J. Bourgoin) représentant les troupes britanniques prises dans une embuscade par un groupe de Marrons en 1795.

Nanny Town, située dans les Blue Mountains, devient un modèle de forteresse imprenable. Cette ville est implantée sur une crête montagneuse difficilement accessible, ce qui lui permet de surveiller les mouvements ennemis et de repousser les attaques britanniques. La ville n’a qu’une seule entrée, une voie étroite bordée de précipices, rendant toute tentative d’invasion extrêmement périlleuse pour les assaillants.

Queen Nanny excelle dans l’art de la guérilla. Elle utilise des techniques militaires héritées de son passé Ashanti, comme le camouflage et les embuscades. Les soldats marrons, sous sa direction, se déguisent en arbres ou en buissons, tendant des pièges aux troupes britanniques. Lorsque les Anglais les poursuivent dans la forêt, ils tombent souvent dans des embuscades soigneusement planifiées. Les Marrons, bien que numériquement inférieurs, compensent leur désavantage par une connaissance approfondie du terrain et une organisation militaire efficace.

Le symbole de cette résistance est l’Abeng, une corne de guerre utilisée par Nanny pour communiquer avec ses combattants à travers les montagnes. Le son de l’Abeng avertit les guetteurs de l’approche des Britanniques et coordonne les mouvements de défense. Cet instrument devient non seulement un outil militaire crucial, mais aussi un symbole de la lutte pour la liberté.

III. Impact et héritage de la résistance de Queen Nanny

A. Les conséquences des Guerres des Marrons

Pacification avec l’esclave marron sur l’île de la Jamaïque, Agostino Brunias.

Entre 1728 et 1734, les Britanniques lancent une série d’assauts contre les communautés marronnes, notamment Nanny Town. Malgré leur supériorité numérique et matérielle, les troupes coloniales échouent à capturer la ville pendant plusieurs années. La résistance menée par Queen Nanny met à rude épreuve les forces britanniques, qui subissent des pertes importantes en hommes et en matériel.

Cependant, en 1733, la communauté de Nanny Town subit un coup dur lorsque Nanny est tuée par un esclave renégat nommé Capitaine Sambo, qui avait rejoint les forces britanniques. Ce meurtre marque un tournant dans la guerre des Marrons. Privée de son leader, Nanny Town finit par être conquise par les Britanniques en 1734. Les survivants se dispersent, rejoignant d’autres communautés marronnes ou se réinstallant dans des régions moins accessibles.

La mort de Nanny n’entame cependant pas l’esprit de résistance des Marrons. En 1739, après des années de conflit, les Britanniques sont contraints de négocier des traités de paix avec les Marrons, reconnaissant de facto leur autonomie. Ces traités, bien que controversés, garantissent aux Marrons la possession de terres et la liberté pour ceux qui avaient échappé à l’esclavage. Nanny, bien que décédée, reste un symbole de cette victoire partielle contre l’esclavage.

B. L’héritage de Queen Nanny dans la culture Jamaïcaine

Portrait peint de Nanny of the maroons (Paris, © Jean-Pierre Bat, 2017)

Aujourd’hui, Queen Nanny est vénérée en Jamaïque comme l’une des sept héroïnes nationales du pays. Son héritage est célébré à travers diverses représentations culturelles, que ce soit sur les billets de banque, dans les arts visuels ou dans la littérature. Nanny incarne la résistance farouche à l’oppression, et son histoire est enseignée comme un exemple de courage et de détermination face à l’adversité.

Les communautés marronnes qu’elle a aidées à fonder, telles que Moore Town, existent encore aujourd’hui, perpétuant les traditions culturelles et les pratiques héritées des premiers Marrons. Ces communautés continuent de jouer un rôle dans la préservation de l’identité jamaïcaine, rappelant l’importance de la lutte pour la liberté dans l’histoire du pays.

L’impact de Queen Nanny dépasse les frontières de la Jamaïque. Elle est un symbole de la lutte anti-esclavagiste dans toute la diaspora africaine. Son refus de se soumettre, sa stratégie militaire et son leadership inspirent encore aujourd’hui les mouvements de résistance et les luttes pour les droits humains à travers le monde.

Conclusion

Queen Nanny reste une figure centrale de l’histoire jamaïcaine, incarnant la résistance acharnée contre l’esclavage et la colonisation. Son leadership et sa stratégie ont permis aux Marrons de Jamaïque de survivre face à une puissance coloniale bien supérieure. Son héritage perdure dans la culture et l’identité jamaïcaines, et elle continue d’inspirer la lutte pour la justice et la liberté. Nanny n’est pas seulement un personnage historique, mais un symbole vivant de la résilience et de la capacité des peuples opprimés à se soulever contre l’injustice, un exemple qui résonne encore aujourd’hui dans les combats pour l’émancipation et la dignité humaine.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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