Mandombe, un héritage spirituel au service des langues africaines

Le Mandombe : un héritage spirituel et culturel des Kimbanguistes, utilisé pour écrire le Kikongo, Lingala, et plus encore.

En 1978, dans la petite ville de Mbanza-Ngungu, située dans la province du Bas-Congo en République Démocratique du Congo, un événement hors du commun se produisait. Wabeladio Payi, un jeune homme profondément ancré dans sa foi Kimbanguiste, recevait une vision qui allait marquer l’histoire des langues africaines. Cette vision, qu’il attribue à Simon Kimbangu, le prophète de l’Église Kimbanguiste, n’était pas une simple révélation religieuse : c’était une invitation à créer un nouveau système d’écriture. Ce script, qu’il nomma Mandombe, est rapidement devenu un symbole de la résilience culturelle et linguistique africaine.

Origines du script Mandombe, une révélation spirituelle

Mandombe, un héritage spirituel au service des langues africaines

Le Mandombe n’est pas simplement un système d’écriture ; c’est une manifestation vivante de la spiritualité et de la culture africaine. Wabeladio Payi raconte que ce script lui a été révélé dans un rêve, où il a vu les formes sacrées du chiffre 5 et 2 se transformer en lettres. Ces formes, loin d’être arbitraires, portent une signification profonde dans la cosmologie Kimbanguiste. Le chiffre 5 symbolise l’homme, et le chiffre 2, l’union, représente le lien indissoluble entre l’humanité et le divin.

La création du Mandombe répond à un besoin pressant : celui de fournir un outil d’écriture adapté aux langues africaines, longtemps marginalisées par les systèmes d’écriture importés d’Occident. Le script est conçu pour écrire le Kikongo, le Lingala, le Tshiluba, et le Swahili, qui sont les principales langues nationales de la RDC. À travers le Mandombe, Payi souhaitait non seulement préserver ces langues, mais aussi les valoriser en leur offrant un alphabet unique, enraciné dans les traditions africaines.

Structure et fonctionnement du Mandombe, une géométrie sacrée

Mandombe, un héritage spirituel au service des langues africaines

Le Mandombe se distingue par sa structure géométrique unique. Basé sur les formes du chiffre 5, qui se transforme en carré stylisé, ce script est à la fois simple et complexe. Les lettres se forment en ajoutant des traits ou en modifiant l’orientation de cette forme de base, créant ainsi une variété de consonnes et de voyelles. Ce système permet une grande flexibilité dans la composition des syllabes, essentielles pour les langues tonales et agglutinantes d’Afrique centrale.

Le script est divisé en quatre groupes de consonnes, chacune étant une variation du carré de base, et chaque groupe se déclinant en quatre familles selon l’orientation de la lettre. Cette structure reflète une logique interne qui, bien que différente des alphabets latins ou arabes, reste intuitive pour ceux qui maîtrisent les concepts géométriques de base.

Les voyelles, quant à elles, sont représentées par des ajouts numériques au carré de base, ce qui leur confère une dimension presque mathématique. Cette approche, à la fois innovante et profondément ancrée dans la symbolique africaine, permet de capturer les nuances phonétiques des langues africaines, bien que certaines limitations subsistent, notamment pour le Lingala, en raison de l’insuffisance des voyelles disponibles.

Le Mandombe ne se contente pas de représenter les sons ; il intègre également des éléments de la culture visuelle africaine. Par exemple, l’utilisation de diacritiques pour les diphtongues et les séquences vocaliques rappelle les motifs artistiques que l’on retrouve dans les textiles et l’art africains. De plus, les transformations géométriques des lettres évoquent des mouvements de danse, rendant le Mandombe non seulement un outil linguistique, mais aussi une expression de l’esthétique et de la dynamique culturelles africaines.

Mandombe, un instrument de résilience culturelle et éducative

Mandombe, un héritage spirituel au service des langues africaines

Depuis sa création, le Mandombe a été promu par l’Église Kimbanguiste, qui en a fait un pilier de son enseignement religieux et culturel. Dans les écoles Kimbanguistes d’Angola, de la République du Congo, et de la RDC, les enfants apprennent non seulement à lire et à écrire en Mandombe, mais aussi à comprendre la profondeur spirituelle de ce script. Il ne s’agit pas seulement d’un système d’écriture, mais d’un outil de réappropriation culturelle et identitaire pour les populations africaines.

Le Centre de l’Écriture Négro-Africaine (CENA), fondé par l’Église Kimbanguiste, joue un rôle central dans la diffusion du Mandombe. Ce centre travaille activement à transcrire d’autres langues africaines dans ce script, espérant ainsi étendre son utilisation au-delà des communautés Kimbanguistes. La vision est ambitieuse : faire du Mandombe un script pan-africain, capable de résister aux pressions uniformisantes des alphabets latins et arabes.

Cependant, malgré ces efforts, le Mandombe n’est pas encore reconnu officiellement par les États où il est enseigné. Il reste un script « semi-officiel », utilisé principalement dans les contextes religieux et éducatifs spécifiques. Les défis sont nombreux : la formation des enseignants, la production de matériel pédagogique, et surtout, l’intégration du Mandombe dans les systèmes éducatifs nationaux.

Le Mandombe face aux autres scripts africains, une viabilité à prouver

Mandombe, un héritage spirituel au service des langues africaines

Le Mandombe est souvent comparé à d’autres scripts indigènes africains comme le syllabaire x du Libéria et l’alphabet N’Ko utilisé par les Mandingues d’Afrique de l’Ouest. Bien que ces trois systèmes d’écriture soient reconnus pour leur originalité et leur importance culturelle, chacun d’eux fait face à des défis spécifiques en matière de viabilité et de pérennité.

Le Vai et le N’Ko bénéficient d’une reconnaissance plus large, avec une utilisation plus répandue et une présence dans le domaine numérique grâce à leur intégration dans Unicode. Le Mandombe, quant à lui, est encore en attente d’une reconnaissance similaire, bien qu’une proposition pour son intégration dans Unicode ait été soumise. Cette inclusion dans le système Unicode pourrait marquer un tournant pour le Mandombe, en lui permettant de s’étendre au-delà des frontières du Congo et de toucher une audience plus large à travers le monde numérique.

L’avenir du Mandombe dépendra de plusieurs facteurs : la capacité à former une nouvelle génération de locuteurs et d’écrivains, la reconnaissance officielle par les États africains, et la diffusion à travers les nouvelles technologies. Le défi est de taille, mais l’histoire du Mandombe montre que ce script est porteur d’un potentiel immense pour la revitalisation des langues et des cultures africaines.

Le Mandombe, un symbole de résistance et de renouveau

Le Mandombe est plus qu’un simple système d’écriture : c’est un témoignage vivant de la capacité des peuples africains à créer, à innover, et à résister. Dans un monde où les langues et les cultures africaines sont souvent marginalisées, le Mandombe offre une voie pour leur préservation et leur valorisation. Alors que de nouvelles générations d’Africains découvrent et adoptent ce script, il est essentiel de soutenir les initiatives qui visent à le promouvoir.

L’histoire du Mandombe est celle d’une résistance culturelle, mais aussi d’un renouveau. Il incarne la possibilité d’un avenir où les langues africaines seront non seulement parlées, mais aussi écrites et lues avec fierté, dans un script qui leur est propre, enraciné dans les traditions spirituelles et culturelles du continent.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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