De l’ère des « Slave patrols » à la police contemporaine

Examinons l’évolution historique des Slave Patrols vers la police moderne et son impact sur la négrophobie institutionnelle, en mettant en lumière les témoignages et les analyses d’experts.

De l’ère des « Slave patrols » à la police contemporaine

L’histoire des États-Unis est marquée par des institutions de surveillance et de contrôle, dont les origines remontent aux Slave Patrols du XVIIIe siècle. Ces patrouilles, conçues pour maintenir l’ordre esclavagiste, ont posé les fondations de ce qui deviendrait la police moderne.

Nofi explore cette filiation, en s’appuyant sur des travaux de recherche et des analyses historiques pour comprendre l’impact de cet héritage sur la société actuelle.

Les origines des slave patrols

Slave Patrols
Slave Patrol, Frederic B. Schell

Les Slave Patrols ont été établies au début du XVIIIe siècle dans les colonies du sud des États-Unis, notamment en Caroline du Sud en 1704. Ces patrouilles étaient des groupes organisés pour contrôler les mouvements des esclaves et réprimer les rébellions. Leur mission principale était de prévenir les fuites d’esclaves, d’appréhender ceux qui tentaient de s’échapper, et de maintenir un climat de peur parmi la population esclave pour dissuader toute velléité de révolte.

Ces milices, armées et sanctionnées par l’État, représentaient une force de loi brutale dont l’objectif était de préserver l’économie esclavagiste du Sud. Leur existence et leurs actions étaient légitimées par des lois locales, telles que les « Slave Codes1« , qui régissaient la vie des esclaves et définissaient les pouvoirs et les responsabilités des Slave Patrols.

« Les Slave Patrols étaient des groupes organisés pour contrôler les mouvements des esclaves et réprimer les rébellions.« 

Platt, Anthony. « Crime and Punishment in the United States: Immediate and Long-Term Reforms From a Marxist Perspective », 1982, p. 45.

Ces patrouilles étaient composées de volontaires blancs, souvent des propriétaires d’esclaves eux-mêmes, et étaient parfois soutenues par les milices locales. Leur pouvoir était presque illimité lorsqu’il s’agissait de surveiller, punir et réprimer les esclaves. Les méthodes employées par les Slave Patrols incluaient des fouilles arbitraires, des passages à tabac, et d’autres formes de violence physique et psychologique.

Gary Potter2 évoque leur rôle comme les premiers exemples de la pratique de la police communautaire aux États-Unis, bien que dans un contexte de violence systématique et de contrôle racial. Ces patrouilles étaient une des premières institutions formelles de maintien de l’ordre dans le pays, établissant des pratiques qui influenceraient plus tard les structures de la police moderne.

« les premiers exemples de la pratique de la police communautaire aux États-Unis« .

Potter, Gary. « The History of Policing in the United States », 2011, p. 102.

Les Slave Patrols n’étaient pas uniquement des outils de répression, mais également des symboles de l’autorité blanche et de l’ordre racial. Leur existence et leurs pratiques renforçaient les hiérarchies raciales et économiques, contribuant à un système où les droits et libertés des Noirs étaient systématiquement niés.

Les activités des Slave Patrols ont laissé une empreinte durable sur la culture et les pratiques de maintien de l’ordre aux États-Unis. La transition vers des formes modernes de police a souvent conservé certains aspects de la surveillance et du contrôle exercés par ces patrouilles, créant des continuités troublantes dans les méthodes et les objectifs de la police à travers les siècles.

L’abolition de l’esclavage en 1865 a mis fin à la pratique officielle des Slave Patrols, mais les structures et les mentalités qu’elles avaient instaurées ont perduré sous d’autres formes de surveillance et de répression, comme les Black Codes3 et les Jim Crow laws4. Ces lois et pratiques ont continué à maintenir les Afro-Américains dans une position subordonnée, souvent avec le soutien explicite ou implicite des forces de l’ordre.

Transition vers la police moderne

Slave Patrols
Les patrouilles d’esclaves répandent la terreur raciste dans le Sud américain.

La transition des Slave Patrols à la police moderne n’est pas une simple succession chronologique, mais plutôt une évolution des pratiques et des idéologies. Avec l’abolition de l’esclavage en 18655, les structures de contrôle social qui avaient été instituées pour maintenir l’ordre esclavagiste ont dû s’adapter aux nouvelles réalités sociales et légales. Cependant, les objectifs sous-jacents de surveillance et de contrôle des populations afro-américaines n’ont pas disparu ; ils se sont transformés pour s’intégrer dans les nouvelles formes de maintien de l’ordre et de législation.

Après la guerre de Sécession6, les États du Sud ont rapidement mis en place les Black Codes, des lois restrictives visant à limiter les droits et les libertés des Afro-Américains récemment libérés. Ces codes, bien qu’abolissant l’esclavage formellement, réinstauraient une forme de servitude et de contrôle par d’autres moyens légaux. La police, en tant qu’institution, jouait un rôle central dans l’application de ces lois, perpétuant ainsi les dynamiques de pouvoir établies par les Slave Patrols.

« Les méthodes de surveillance et de contrôle des populations noires n’ont pas disparu avec l’abolition de l’esclavage; elles se sont transformées.« 

Franklin, John Hope. « Mirror to America: The Autobiography of John Hope Franklin », 2005, p. 211.

Avec l’avènement des lois Jim Crow à la fin du XIXe siècle, la ségrégation raciale est devenue une politique officielle, soutenue et renforcée par les forces de l’ordre. La police était souvent impliquée dans la mise en œuvre de la ségrégation, utilisant la violence et l’intimidation pour maintenir les Afro-Américains dans une position subordonnée. Les lynchages, les arrestations arbitraires et les brutalités policières étaient monnaie courante, et la police jouait un rôle crucial dans la perpétuation de cette violence raciale.

Au XXe siècle, alors que les villes américaines se développaient et que les populations afro-américaines migraient en masse vers le Nord et l’Ouest dans ce qu’on appelle la Grande Migration7, les forces de police dans ces nouvelles régions ont également adopté des pratiques de surveillance et de contrôle raciaux. Les ghettos urbains, souvent le résultat de politiques de ségrégation résidentielle, sont devenus des zones de forte présence policière, où les Afro-Américains étaient régulièrement soumis à des contrôles, des fouilles et des arrestations discriminatoires.

La modernisation de la police au milieu du XXe siècle, avec la formation professionnelle accrue, l’adoption de nouvelles technologies et la centralisation des forces de l’ordre, n’a pas éliminé ces dynamiques raciales. Au contraire, certaines de ces innovations ont parfois exacerbé les tensions. Par exemple, l’utilisation de tactiques militarisées lors des émeutes urbaines des années 1960 et 1970 a souvent conduit à une augmentation de la violence policière contre les communautés afro-américaines.

Les mouvements pour les droits civiques ont mis en lumière les abus policiers et ont conduit à des réformes importantes, mais les problèmes de racisme institutionnel et de brutalité policière ont persisté. Des politiques telles que la « guerre contre la drogue8 » lancée dans les années 1980 ont eu des effets disproportionnés sur les Afro-Américains, conduisant à des taux d’incarcération massifs et à une surveillance policière accrue dans les communautés noires.

Aujourd’hui, les statistiques sur la brutalité policière et les témoignages des communautés afro-américaines révèlent des parallèles troublants avec le passé. Les incidents de violence policière, souvent capturés sur vidéo et largement diffusés sur les réseaux sociaux, continuent de rappeler l’héritage des Slave Patrols et soulignent la nécessité de comprendre et de déconstruire les dynamiques historiques pour aller vers un système de maintien de l’ordre plus juste et équitable.

L’héritage contemporain

Slave Patrols
La police anti-émeute du NYPD

L’héritage des Slave Patrols se manifeste encore aujourd’hui dans les relations tendues entre la police et les communautés afro-américaines. Les statistiques actuelles sur la brutalité policière et les témoignages des membres de ces communautés révèlent des parallèles troublants avec le passé. La violence policière contre les Noirs américains aujourd’hui est souvent perçue comme un écho direct des tactiques des Slave Patrols, perpétuant un cycle de répression et de discrimination raciale.

« La violence policière contre les Noirs américains aujourd’hui est un écho direct des tactiques des Slave Patrols.« 

Alexander, Michelle. « The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness », 2010, p. 75.

Les données sur les violences policières montrent des disparités frappantes : les Afro-Américains sont plus susceptibles d’être arrêtés, fouillés et victimes de violence policière que leurs homologues blancs. Les études indiquent que les Noirs sont trois fois plus susceptibles d’être tués par la police que les Blancs, et cette statistique est encore plus alarmante lorsqu’on examine les jeunes hommes noirs. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’inscrit dans une longue tradition de surveillance et de contrôle racial ancrée dans l’histoire des Slave Patrols.

Les témoignages des communautés afro-américaines renforcent ces statistiques en mettant en lumière les expériences vécues de harcèlement, de profilage racial et de brutalité. Ces récits personnels révèlent un climat de peur et de méfiance à l’égard des forces de l’ordre, où chaque interaction peut potentiellement dégénérer en violence. Les vidéos de violences policières diffusées sur les réseaux sociaux ont également joué un rôle crucial en exposant ces abus au grand jour et en mobilisant l’opinion publique contre ces pratiques.

Les pratiques policières telles que le « stop-and-frisk9 » (arrêt et fouille) à New York ont également montré des biais raciaux importants, avec une majorité écrasante des personnes ciblées étant des Noirs ou des Latinos. Ces pratiques, bien que justifiées par les autorités comme des mesures de sécurité publique, sont souvent perçues par les communautés affectées comme des formes de harcèlement et de discrimination systématique.

En réponse à cette violence et à ces injustices, de nombreux mouvements sociaux ont émergé, exigeant des réformes profondes des forces de l’ordre. Le mouvement Black Lives Matter, par exemple, est né en 2013 après l’acquittement de George Zimmerman dans la mort de Trayvon Martin. Ce mouvement a pris de l’ampleur après plusieurs autres incidents de violence policière, notamment les meurtres de Michael Brown à Ferguson et d’Eric Garner à New York. Black Lives Matter et d’autres groupes similaires cherchent à sensibiliser le public, à exiger la reddition de comptes et à promouvoir des politiques visant à réduire les abus policiers.

Conclusion

Slave Patrols

La compréhension de l’histoire des Slave Patrols est essentielle pour saisir les dynamiques actuelles de la police envers les communautés afro-américaines. Cette exploration historique nous permet de voir comment les pratiques de surveillance et de contrôle racial, établies pendant l’ère de l’esclavage, ont évolué et se sont intégrées dans les structures contemporaines de maintien de l’ordre.

« Nous ne pouvons pas démanteler ce que nous ne comprenons pas.« 

Kendi, Ibram X. « How to Be an Antiracist« , 2019, p. 89.

Pour réellement aborder et réformer les pratiques policières contemporaines, il est crucial de reconnaître et de comprendre les racines historiques de la police aux États-Unis. Les Slave Patrols, qui ont joué un rôle central dans la surveillance et la répression des esclaves, ont établi des méthodes et des mentalités qui persistent sous différentes formes aujourd’hui. Les dynamiques de pouvoir et de contrôle raciales mises en place pendant cette période continuent de se manifester à travers la violence policière, le profilage racial, et les disparités dans l’application de la loi.

Ainsi, la tâche devant nous est double : il faut à la fois éduquer et sensibiliser le public sur ces racines historiques, et travailler activement à réformer les institutions policières pour qu’elles servent véritablement et équitablement toutes les communautés. La justice sociale et raciale dépend de notre capacité collective à comprendre et à transformer ces structures héritées du passé.

Ressources bibliographiques

Voici une liste de ressources bibliographiques pertinentes pour approfondir la compréhension de l’évolution des Slave Patrols vers la police moderne et leur impact sur la négrophobie institutionnelle :

  • Alexander, MichelleThe New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness. The New Press, 2010.
  • Blackmon, Douglas A.Slavery by Another Name: The Re-Enslavement of Black Americans from the Civil War to World War II. Anchor, 2008.
  • Franklin, John HopeMirror to America: The Autobiography of John Hope Franklin. Farrar, Straus and Giroux, 2005.
  • Hadden, Sally E.Slave Patrols: Law and Violence in Virginia and the Carolinas. Harvard University Press, 2001.
  • Kendi, Ibram X.How to Be an Antiracist. One World, 2019.
  • Potter, GaryThe History of Policing in the United States. Eastern Kentucky University, 2011.
  • Ritchie, AndreaInvisible No More: Police Violence Against Black Women and Women of Color. Beacon Press, 2017.
  • Robinson, Cedric J.Black Marxism: The Making of the Black Radical Tradition. University of North Carolina Press, 1983.
  • Vitale, Alex S.The End of Policing. Verso, 2017.
  • Wells-Barnett, Ida B.The Red Record: Tabulated Statistics and Alleged Causes of Lynching in the United States. 1895.
  • Williams, KristianOur Enemies in Blue: Police and Power in America. AK Press, 2007.
  • Equal Justice InitiativeLynching in America: Confronting the Legacy of Racial Terror. 3rd edition, 2017.

Notes de bas de page

  1. Slave Codes : Lois établies dans les colonies et les États du Sud des États-Unis pour réguler la conduite des esclaves et les droits de leurs propriétaires. Ces codes avaient pour but de maintenir une stricte surveillance sur les esclaves et d’empêcher toute forme de rébellion. Ils imposaient des restrictions sévères sur la mobilité, l’éducation, et les droits juridiques des esclaves. ↩︎
  2. Gary Potter : Gary Potter est un universitaire en criminologie et un historien spécialisé dans l’étude de l’évolution des pratiques policières aux États-Unis. Dans son ouvrage The History of Policing in the United States (2011), Potter explore les origines et le développement des forces de l’ordre américaines, en soulignant le rôle des « Slave Patrols » comme premiers exemples de police communautaire. ↩︎
  3. Black Codes : Après la guerre de Sécession, les États du Sud ont adopté les « Black Codes » pour restreindre les droits et les libertés des Afro-Américains nouvellement émancipés. Ces lois visaient à garantir une main-d’œuvre bon marché et à maintenir le contrôle social et économique sur les Afro-Américains, rappelant les structures de l’esclavage. ↩︎
  4. Jim Crow laws : Mises en place à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, imposaient la ségrégation raciale dans les États du Sud des États-Unis. Ces lois ont institutionnalisé la séparation des Blancs et des Noirs dans les lieux publics et les services, perpétuant ainsi l’inégalité raciale et la discrimination systématique. ↩︎
  5. Abolition de l’esclavage en 1865 : L’abolition de l’esclavage aux États-Unis a été ratifiée avec l’adoption du treizième amendement à la Constitution en 1865, mettant ainsi fin à l’esclavage et à la servitude involontaire, sauf en tant que punition pour un crime. ↩︎
  6. Guerre de Sécession : La guerre de Sécession, ou guerre civile américaine, s’est déroulée de 1861 à 1865 entre les États du Nord (Union) et les États du Sud (Confédération) qui avaient fait sécession. Les principales causes de ce conflit étaient les divergences sur la question de l’esclavage et les droits des États. ↩︎
  7. Grande Migration : La Grande Migration fait référence au déplacement massif d’Afro-Américains des États du Sud vers les villes industrielles du Nord et de l’Ouest entre 1916 et 1970. Motivés par la recherche de meilleures opportunités économiques et la fuite des lois Jim Crow et de la violence raciale, ces migrants ont profondément transformé la démographie urbaine américaine. ↩︎
  8. Guerre contre la drogue : Politique lancée dans les années 1980 sous l’administration Reagan, visant à lutter contre le trafic de drogue et l’abus de substances. Cette politique a entraîné une augmentation significative des taux d’incarcération, touchant de manière disproportionnée les communautés afro-américaines et latino-américaines, et exacerbant les inégalités raciales. ↩︎
  9. Stop-and-frisk : Permet aux forces de l’ordre d’arrêter et de fouiller des individus sans mandat sur la base de soupçons raisonnables. Cette pratique, largement critiquée pour son application discriminatoire contre les minorités, en particulier les Afro-Américains et les Latinos, a été contestée pour ses violations des droits civils et ses implications en matière de profilage racial. ↩︎

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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