Dans quelques jours, le 25 mai pour être précis, l’émission RING braquera les projecteurs sur le Rap Ivoire ; genre musical qui a le vent en poupe depuis plusieurs années maintenant.
« J’ai beaucoup débité hein ! », constate Kader Sidibé après une heure d’entretien consacrée à l’émission qu’il a pensé/réalisé/produit. Il s’agit de Rap Ivoire Nouvelle Génération ou RING pour les plus pressés. Lumière/caméra/actions vérités sur ce nouveau programme télévisé.
LA TÉLÉVISION, TOUT SAUF LE KADER DE SES SOUCIS
Samedi 18 mai, Abidjan Deux-Plateaux. En ce long week-end de Pentecôte, de nombreux abidjanais ont mis les voiles vers Assinie, où tout ce qui se passe reste à Assinie selon un célèbre penseur ivoirien, Didi B, ou encore vers d’autres destinations avec vue sur la mer. Et pourtant la Rue des Jardins, qui a peut-être la plus grosse concentration d’établissements bancaires et/ou salons de thé au kilomètre carré dans cet Abidjan-Nord, est embouteillée. Mal embouteillée même comme dirait un chauffeur de VTC.
C’est dans l’un de ces salons de thé, le Café des Jardins, qui a littéralement pignon sur rue, que la rencontre a eu lieu. Dans l’un de ces restaurants instagrammables, c’est la cohue des grands jours. Au menu, retrouvailles entre amies, déjeuner en famille avec pote expatriée qui tient la chandelle et des propos élogieux sur Abidjan, mais aussi gbairai[1]. À chacun son plat.
Chemise denim manches longues, tee-shirt Yohji Yamamoto noir assorti au pantalon plutôt large, ou encore barbe plutôt fournie, le jeune réalisateur ivoirien prend place. Une fois les consignes de sécurité répétées, « Tout ce que vous direz ne sera pas retenu contre vous », la conversation.
« Alors le projet [RING, NDLR], il naît en 2021, d’une voix posée et forte. Y a Rythm + Flow, en anglais dans le texte, la version américaine de Nouvelle École qui sort. Je regarde l’émission, je kiffe et je me dis qu’on peut faire exactement la même chose ici en Côte d’Ivoire mais adaptée à notre contexte avec quelques petites différences. »
Ainsi naquit l’idée de mettre en avant de jeunes rappeurs via la télévision ; avec à la clé 2 millions de francs CFA pour le vainqueur.
« […] Je contacte des amis que je connais qui ont des labels [de musique, NDLR]. Ils me proposent des artistes donc on commence à travailler là-dessus. Et le projet s’appelait : « Versus, au début. Versus comme battle. » Et, il se trouve qu’à un moment, il faut que je parte faire mes études en cinéma. », explique l’ancien étudiant canadien qui a alors un Bachelor en International Business et un Master en Project Management et Business Development.
Comme la plupart des doux rêveurs, le jeune homme aux lunettes de soleil à la monture quasi-transparente, a d’abord emprunté la voie des études classiques notamment « de business pour apprendre à gérer une entreprise, vu que je savais que j’allais entreprendre » avant de finalement revenir à son premier amour : la production audiovisuelle.
D’ailleurs, c’est à lui et Gill-Akeem Sawegnon que l’on doit : Inside ; l’émission de télé-réalité diffusée il y a deux ans sur la télévision ivoirienne : Life TV. Chaîne sur laquelle les épisodes seront diffusés chaque samedi soir.
Et dire que c’était « un stage de fin d’études où il a rencontré des gens qui parlaient le même langage que moi [l’audiovisuel, NDLR]. » Dinguerie !
Parallèlement à ces six mois de formation, l’apprenant continue à travailler sur son projet.
« On se rencontrait [avec ces gens qui parlaient le même langage que lui, NDLR], on tournait des scènes mais je n’avais pas ce professionnalisme. Je n’étais pas encore formé. », admet-il volontiers.
Une fois le stage fini, la confirmation de ce qu’il voulait faire en poche, Versus, ex-futur Ring donc, « était toujours en cours [de développement, NDLR] ».
Face à la nécessité de se former pour continuer à développer ses nombreux projets audiovisuels, Kader retourne sur les bancs de l’école. Ceux de la Vancouver Film School. L’une des plus grandes écoles canadiennes dans le domaine.
C’est là-bas dans le pays d’Aubrey « Drake » Graham, grand perdant dans le beef avec Kendrick Lamar, la formation accélérée paie ses fruits. Retour au pays.
STARTED FROM SOCIAL NETWORKS, NOW RING IS HERE
La salle de quelques mètres carrés ne désemplit pas. Bien au contraire. Des amis avec ou sans enfant, placé dans une écharpe porte-bébé, en rejoignent d’autres tandis que de vielles connaissances lycéennes se claquent la bise. C’est particulièrement le cas pour l’interviewé qui en claque régulièrement. Et quand ce ne sont pas ces rapides retrouvailles bienveillantes, ce sont des consignes données sur le ton de la plaisanterie de la part du propriétaire des lieux sorti dans dos pour nous saluer.
L’évidente cote de popularité de celui qui gère tous les réseaux sociaux de l’émission parce qu’il a du mal à « déléguer sur ça », alors qu’il est capable d’envoyer ses équipes de Spirit of West Africa Production, ou SOWA PROD, sa société de production audiovisuelle, sur le terrain sans y être, provient peut-être de ses débuts en fanfare sur les réseaux sociaux.
« J’ai toujours été passionné par l’image, aimé divertir en images. […] Mon père m’a acheté une caméra, une Canon 60 D, que j’avais vue chez une amie qui prenait des photos. Et c’est comme ça que j’ai commencé. », narre celui qui a fait des after movies sa marque de fabrique.
Oui, empiler les bons moments passés ensemble, entre amis, les uns sur les autres, est aujourd’hui sa signature audiovisuelle après avoir mitraillé puis partagé son travail sur les réseaux sociaux en général et Facebook de 6ème à la 3ème et depuis 2015 jusqu’à maintenant Instagram. C’est d’ailleurs là-bas que tout cela a pris une certaine tournure avec son compte @papichuwlo si bien que de ceux qui l’appellent dans la rue utilisent plutôt ce surnom que Kader.
C’est tout cet apprentissage, dont il a effacé toutes les traces en ligne aujourd’hui, qui lui a permis de faire naître RING.
RING, C’EST QUOI LE PROJET ?
« J’ai transformé Versus en Rap Ivoire Nouvelle Génération. Je trouve que c’est plus entraînant, catchy. », explique le jeune chef d’entreprise.
Mais en bon adepte de « l’amplification », méthode Obama-esque qui consiste à donner à César ce qui est à César, partir d’une idée précédemment pour ensuite la reprendre et la développer, il tempère : « En gros, Rap Ivoire Nouvelle Génération, c’est moi qui l’ai trouvé, plantant le décor. J’étais en train de discuter avec l’un de mes collaborateurs. Sur son papier, il avait écrit : « RING », épelant chacune des lettres. Et je lui ai demandé : « Mais c’est quoi RING ? » »
Et c’est Leslie Hamed Bagou, le collaborateur, « qui aime tout synthétiser », de lui dire : « Mais Rap Ivoire Nouvelle Génération. » Et Kader de s’exclamer : « Ahhh ! »
Si le nom a été vite et bien trouvé. Pour les fonds, ça a été une autre paire de manches.
« Moi, je voulais tout financer, je voulais tout faire, d’une voix déterminée comme jamais. J’ai commencé à déposer de financements mais je n’avais aucun retour. », donnant son accord pour que cette partie soit publiée.
« Je n’avais pas envie de perdre du temps. Je n’avais pas envie de passer à côté de quelque chose parce que Nouvelle École venait d’être faite. Et ça m’a confirmé que c’était une recette qui marche. »
Parce qu’une idée appartiendrait à celui qui la met en valeur d’après une célèbre penseuse contemporaine, Aya Nakamura, il décide alors se lancer avant qu’« une boîte de production ne fasse ça ici en Afrique ».
D’abord ses fonds à lui, mais aussi avec l’aide de ses parents, la collecte de fonds permet de démarrer l’aventure RING avant qu’il n’approche plus des partenaires. Mais il ne dira mot sur la somme récoltée et/ou mise par ceux sur lesquels il s’appuie pour communiquer notamment.
Parmi les différents partenaires qui « sont à la fin de chaque vidéo », il y a pêle-mêle : « Le Cavally, le Bloom, l’Agora, la Jungle mais aussi des médias tels que Salivoire.»
Mais le plus dur dans l’aventure que ce « fan de Ninho » s’est lancée, ça reste les tournages.
« On avait un emploi du temps intense. Il fallait se lever tôt et se coucher tard, expliquant une organisation millimétrée. Un jour, on a fini à cinq heures du matin parce que le tournage a été interrompu. On avait loué la salle pour 24 heures mais on a dépassé. Le propriétaire a appelé ses gardiens pour dire de mettre notre matériel dehors. On l’a appelé, a discuté avec lui avant de tout réinstaller pour reprendre le tournage », confirmant ainsi qu’on sait quand tournage commence mais on ne sait pas quand ça se termine.
Tournages éreintants, prises en charge des candidats sur lesquels il refuse de se prononcer même si certains comme Jaber States, Toto le Banzou, Saint Truand, Le Couteau, l’ont « impressionné », mais aussi envie de tout bien faire sur le plan visuel notamment, RING n’a pas été une promenade de santé. Mais l’équipe a pu compter sur des juges de qualité.
Du producteur Shado Chris aux rappeurs Widgunz, à la solide fan base sur laquelle il s’appuiera pour son concert en juillet prochain, en passant par Fireman Sogbi Jonathan, capable de balayer les doutes de certains internautes sur sa légitimité d’un coup de pied façon Ziguehi, le jury a été au rendez-vous dans tous les quartiers abidjanais où les sélections ont eu lieu. Et ce dès le début.
« […] Suspect 95 se retire finalement parce qu’il a son album Société Suspecte qui sort au moment du tournage [qui a eu lieu l’année dernière, NDLR]. Le premier jour du tournage, on a été impressionné par Fireman, qui était l’instructeur, par son charisme, son éloquence. Donc, on s’est dit qu’on allait sécuriser les gars en même temps. »
Vacciné par les critiques « qui ne lui font plus rien », depuis le déferlement de celles-ci au moment de la diffusion d’Inside, mais surtout considérant « qu’en télévision, ton seul adversaire, c’est l’absence des critiques et l’indifférence des spectateurs. Alors à partir du moment que les téléspectateurs se prononcent, que le programme fait du bruit, c’est l’essentiel. », Kader Sidibé est aujourd’hui à l’aise avec la machine télé qui lessive mentalement et physiquement. Pour lui, RING comme une plateforme d’expression. Celle d’un mouvement musical, le Rap Ivoire, qui est peut-être encore frais dans l’appellation mais qui fait déjà hocher les têtes de mélomanes et autres. Comme celles de ces gens qui préfèrent acquiescer après avoir entendu un gbairai plutôt que de parler à voix haute, dans ce restaurant aux murs recouverts de peinture blanche et de paroles murmurées. Désormais celles du producteur de RING y figurent aussi en bonne position ; lui qui a « beaucoup débité hein ! »
Rendez-vous tous les samedis sur Life TV à 20h30 puis la Télé d’Orange.
[1] Sport amateur et national qui consiste à partager ragots, rumeurs, ouïe dires, etc.