Le 10 mai 1802, Louis Delgrès proclamait son appel vibrant à la résistance, ‘À l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir‘, dans les rues de Basse-Terre en Guadeloupe. Ce manifeste historique dénonçait l’invasion napoléonienne, marquant un moment clé dans la lutte pour la liberté.
Louis Delgrès, 1802 : appel à la Liberté depuis la Guadeloupe
Louis Delgrès, né en 1766 à Saint-Pierre en Martinique, est un héros de la résistance antiesclavagiste en Guadeloupe. Engagé dans l’armée française en 1783, il devient un fervent défenseur des idéaux de la Révolution française et de l’abolition de l’esclavage. En 1799, il arrive en Guadeloupe, où il se distingue par son opposition à la politique esclavagiste de Napoléon Bonaparte. Le 10 mai 1802, en réponse à l’arrivée des forces napoléoniennes visant à rétablir l’esclavage, Delgrès rédige et diffuse à Basse-Terre sa célèbre proclamation « À l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir« . Son acte ultime de défiance se manifeste le 28 mai 1802, quand lui et ses partisans choisissent de mourir en héros à Matouba, préférant la mort à la servitude sous le cri de « Vivre libre ou mourir« .
À l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir
Louis Delgrès
Proclamation du 10 mai 1802
Basse-Terre (Guadeloupe)
Rédigée par le Citoyen Monnereau1
1802
À L’UNIVERS ENTIER,
LE DERNIER CRI DE L’INNOCENCE ET DU DÉSESPOIR.
« C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu’une classe d’infortunés, qu’on veut anéantir, se voit obligée d’élever la voix vers la postérité pour lui faire connaître, lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
« Victimes de quelques individus, altérés de sang et qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voient enveloppés dans une proscription méditée par l’auteur de tous les maux.
« Le général Richepance, dont nous ne connaissons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation dont toutes les expressions sont si bien mesurées que, lors même qu’il promet protection, il pourrait nous donner la mort sans s’écarter des termes dont il se sert ; à ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle… Oui, nous aimons à croire que le général a été, lui aussi, trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
« Quels sont donc ces coups d’autorité dont on nous menace ? veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires dont nous aimions à calculer le moment de l’arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la république ? Ah ! plutôt, si nous en croyons les coups d’autorité déjà frappés au port de la Liberté (nom donné par Hugue à la Pointe-à-Pitre), le système d’une mort lente dans les cachots continue à être suivi ; eh bien ! nous choisissons de mourir plus promptement.
« Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent d’hommes noirs, ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
« Et vous, premier consul de la république, vous guerrier philosophe, de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute, un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
« Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l’épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, à moins qu’on ne veuille vous faire un crime de n’avoir pas dirigé vos armes contre nous, vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation. La résistance à l’oppression est un droit naturel ; la Divinité même ne peut être offensée que nous discutions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité. Nous ne la souillerons pas par l’ombre même du crime ; oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive, mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs ; pour vous, restez dans vos foyers, ne craignez rien de notre part, nous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d’employer tous nos moyens pour les faire respecter par tous.
« Et toi, postérité, accorde une larme à nos malheurs, et nous mourrons satisfaits !
« Le commandant provisoire de la Basse-Terre,
« Delgresse. »
Un héritage de courage : Louis Delgrès et le combat pour la Liberté
Louis Delgrès reste une figure emblématique de la lutte pour la liberté et contre l’oppression. Son engagement pour l’abolition de l’esclavage et son refus de céder face à l’autorité napoléonienne symbolisent un héritage puissant de résistance et de courage. La détermination de Delgrès et de ses partisans à choisir la mort plutôt que la soumission sous la devise « Vivre libre ou mourir » continue d’inspirer les luttes pour la justice et l’égalité à travers le monde, soulignant l’importance intemporelle de lutter pour nos idéaux les plus chers.
- Créole né en Martinique. En 1802 il était adjudant au Fort Saint-Charles (Guadeloupe). Il fut fusillé pour avoir collaboré avec les « rebels« . ↩︎