Louis-Benoit Zamor : de serviteur à révolutionnaire français

Louis-Benoit Zamor, né au Bengale, fut amené en France alors qu’il était encore enfant. Placé au service de la célèbre Comtesse du Barry, maîtresse du roi Louis XV, Zamor a grandi dans l’opulence de la cour royale. Cependant, son destin prit un tournant radical au fur et à mesure que la Révolution française gagnait en intensité.

Louis-Benoit Zamor, souvent méconnu, joua un rôle singulier durant la Révolution française. Né à Chittagong dans le sous-continent indien et devenu un révolutionnaire influent en France, la vie de Zamor est une épopée de force morale et de transformation radicale. Sa participation à la Révolution et ses implications dans la chute de Madame Jeanne du Barry capturent une tranche de l’histoire qui résonne avec les thèmes de l’oppression et de la libération.

Jeunesse et origines de Louis-Benoit Zamor

Carte politique du sous-continent indien en 1760.

Louis-Benoit Zamor naquit en 1762 à Chittagong1, une ville portuaire située dans ce qui est aujourd’hui le Bangladesh. L’environnement de Zamor était empreint des influences culturelles riches et diversifiées de la région du Bengale, alors sous la règne du puissant Empire moghol2. Toutefois, sa vie prit un tournant dramatique lorsqu’il fut capturé par des négociants d’esclaves à l’âge de onze ans. Cette pratique brutale était malheureusement courante à l’époque, où de jeunes enfants comme Zamor étaient arrachés à leur milieu pour être vendus au loin.

Portrait de Madame du Barry en Flore par François-Hubert Drouais, entre 1773 et 1774.

Transporté à travers des routes commerciales complexes, Zamor arriva finalement en France, un pays étranger où tout lui était inconnu. Il fut présenté comme cadeau à Madame Jeanne du Barry3, la favorite du roi Louis XV. Introduit dans le monde opulent de l’aristocratie française, Zamor fut baptisé et reçut une éducation soignée, rare pour un enfant esclave. Madame du Barry, reconnaissant son intelligence et sa vivacité d’esprit, s’assura qu’il reçoive une instruction qui comprenait les arts et les lettres.

Zamor développa une affection particulière pour les écrits de Jean-Jacques Rousseau4, notamment son œuvre « Émile, ou De l’éducation5« . Les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité prônés par Rousseau résonnèrent profondément en lui, façonnant ses perspectives et ses aspirations futures.

Portrait de Rousseau en 1766 portant un papakha et un costume arméniens, Allan Ramsay.

L’éducation de Zamor ne se limitait pas seulement à la littérature; il fut également exposé aux idées révolutionnaires qui commençaient à émerger en France. Vivant à Versailles, il observait les disparités flagrantes entre les classes et les injustices infligées aux moins privilégiés, ce qui aiguisa son sens critique et sa conscience sociale. Ces expériences le préparèrent à jouer un rôle actif dans les tumultes révolutionnaires qui allaient bientôt secouer la France6.

Rôle de Louis-Benoit Zamor dans la Révolution Française

Après avoir été éduqué par la Comtesse du Barry, Zamor devint progressivement conscient des injustices profondes perpétrées par l’aristocratie française contre le peuple. Sa transformation de serviteur à révolutionnaire fut influencée non seulement par ses lectures des philosophes des « Lumières »7 comme Rousseau mais aussi par son expérience personnelle de l’oppression. En tant que personne de couleur dans la société française pré-révolutionnaire, Zamor était particulièrement sensible aux thèmes de liberté et d’égalité.

Image de couverture de l’interprétation par Voltaire de l’œuvre d’Isaac Newton, Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde (1738). Le manuscrit du philosophe assis, qui traduit l’œuvre de Newton, semble « éclairé » par une « lumière » quasi-divine venant de Newton lui-même, lumière réfléchie par le miroir tenu par une muse, en réalité la traductrice de l’œuvre de Newton, Émilie du Châtelet, maîtresse de Voltaire.

Zamor rejoignit les Jacobins, un groupe politique radical qui joua un rôle central dans la Révolution Française. Les Jacobins8 prônaient l’abolition des privilèges de l’aristocratie et l’établissement d’une république basée sur les droits de l’homme. Au sein de ce groupe, Zamor se distingua rapidement par son éloquence et son engagement passionné pour la cause révolutionnaire.

Le club des Jacobins se trouvait rue Saint-Honoré, à Paris.

La rupture définitive entre Zamor et la Comtesse du Barry survint lorsqu’il fut impliqué dans les activités révolutionnaires qui menèrent à son arrestation. Zamor, devenu un fervent républicain, voyait en Du Barry l’incarnation de l’opulence et de la corruption de l’ancien régime. Son témoignage contre elle durant son procès fut crucial et contribua à sa condamnation et à son exécution guillotinée en 1793. Cette action soulève des questions complexes sur la loyauté, la justice et la vengeance, illustrant le dilemme moral auquel de nombreux révolutionnaires étaient confrontés.

Le cas de Zamor souligne la tension entre les idéaux révolutionnaires de justice et les actions parfois brutales nécessaires pour renverser l’ordre établi. En agissant contre Du Barry, Zamor croyait contribuer à la chute d’un système oppressif. Cependant, son rôle dans la mort de son ancienne bienfaitrice reste controversé, reflétant la brutalité et les contradictions de la Révolution elle-même.

La Vie de Louis-Benoit Zamor après la Révolution Française

La Liberté guidant le peuple – Eugène Delacroix – Musée du Louvre Peintures RF 129 – après restauration 2024.

Après la fin de la Révolution Française, Louis-Benoit Zamor choisit de mener une vie loin des projecteurs politiques qui l’avaient propulsé sur le devant de la scène. Il s’établit à Paris, où il embrassa une carrière modeste mais honorable d’éducateur. Cette décision de se tourner vers l’enseignement reflète peut-être une quête de normalité et de stabilité après les bouleversements et les trahisons de la période révolutionnaire.

Dans le quartier du Quartier Latin9, Zamor partagea son amour pour la littérature et les idées des Lumières avec ses élèves. Son engagement en tant qu’éducateur était enraciné dans ses propres expériences d’apprentissage auprès de la Comtesse du Barry et dans son désir de promouvoir les idéaux d’égalité et de raison. Par l’éducation, Zamor cherchait à influencer la jeune génération de manière plus pacifique et constructive que ce qu’il avait vécu durant les années de révolte.

La vie de Zamor après la Révolution n’était pas exempte de défis. En tant qu’ancien esclave devenu révolutionnaire, puis éducateur, il se trouvait souvent à la marge de la société française. Malgré ses contributions significatives, il restait une figure controversée, et ses années post-révolutionnaires furent marquées par des difficultés financières et un certain isolement social. Ces éléments soulignent les réalités souvent dures pour ceux qui avaient joué des rôles actifs dans le changement radical.

Louis-Benoit Zamor mourut le 7 février 1820 dans sa modeste demeure parisienne. Sa mort marqua la fin discrète d’un homme qui avait traversé des périodes extraordinaires de l’histoire française. L’héritage de Zamor reste complexe; il est à la fois célébré pour son rôle dans la lutte contre l’oppression et critiqué pour les moyens parfois extrêmes qu’il employa. Sa vie et sa mort offrent une réflexion sur les coûts personnels du changement politique et sur la manière dont les figures historiques sont souvent réévaluées avec le temps.

La vie de Louis-Benoit Zamor sert de rappel puissant que l’histoire est souvent écrite par ceux qui détiennent le pouvoir, mais elle est également faite par ceux qui osent défier cet ordre. Son héritage, bien que complexe, est un témoignage de la lutte contre l’oppression et pour la dignité humaine.

Notes et références

  1. Chittagong: Ville portuaire située dans la région sud-est du Bangladesh, historiquement une partie importante de l’Empire moghol. Elle a joué un rôle clé dans les échanges commerciaux régionaux et internationaux. ↩︎
  2. Empire moghol (1526-1857) : Vaste empire qui a régné sur la majeure partie du sous-continent indien du début du XVIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Connu pour sa riche contribution à l’architecture, à la culture et à l’administration en Inde. ↩︎
  3. Madame Jeanne du Barry (1743-1793) : Dernière maîtresse en titre de Louis XV, elle est une figure controversée de l’histoire française. Du Barry est célèbre pour son ascension sociale rapide et sa fin tragique, guillotinée pendant la Révolution française. ↩︎
  4. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : Philosophe genevois du XVIIIe siècle, dont les écrits sur l’éducation, la politique et la société ont profondément influencé la pensée européenne, notamment pendant la Révolution française. ↩︎
  5. « Émile, ou De l’éducation« : Œuvre de Jean-Jacques Rousseau publiée en 1762, explorant les principes d’une éducation idéale centrée sur le développement naturel et individuel de l’enfant, loin des contraintes de la société traditionnelle. ↩︎
  6. Révolution Française: Période de profonds bouleversements sociaux et politiques en France (1789-1799), qui a conduit à la chute de la monarchie, l’établissement d’une république, et des changements radicaux dans la structure sociale et les pouvoirs politiques. ↩︎
  7. Les Lumières: Mouvement intellectuel européen du XVIIIe siècle, caractérisé par un accent sur la raison, le progrès scientifique, la laïcité et la critique des institutions traditionnelles, notamment l’Église et la monarchie absolue. ↩︎
  8. Jacobins: Membres d’un club politique influent pendant la Révolution française, connus pour leur position radicale et leur rôle dans le gouvernement révolutionnaire. Ils ont soutenu des politiques de réforme extrême et ont été les principaux acteurs de la Terreur. ↩︎
  9. Quartier Latin: Quartier historique de Paris, connu comme un centre d’éducation depuis le Moyen Âge en raison de la présence de plusieurs institutions d’enseignement, notamment l’Université de Paris. Il est traditionnellement associé à la vie académique, artistique et intellectuelle. ↩︎
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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