10 mai : véritable signification de la journée commémorative de l’abolition de l’esclavage

Pour certains descendants d’esclaves, le 10 mai ne reflète pas pleinement les réalités historiques spécifiques à chaque région de France, notamment les territoires d’outre-mer, où d’autres dates marquent l’abolition de l’esclavage (27 avril en Guyane, 22 mai en Martinique, 27 mai en Guadeloupe et 20 décembre à La Réunion). Ils appellent à une commémoration plus inclusive, qui reconnaisse les différentes expériences et temporalités de l’abolition.

Pascal Archimède explore les implications de la désignation du 10 mai comme journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage en France. L’auteur, descendant de personnes mises en esclavage et originaire de la Guadeloupe, partage ses interrogations sur la pertinence historique de cette date spécifique. Il soulève des questions sur la représentation historique et l’authenticité de cette commémoration dans le contexte des réalités historiques des Antilles françaises, où l’abolition a été marquée par des luttes et des révoltes significatives bien après la date officielle retenue par la France métropolitaine.

Abolition de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe

Scène allégorique réalisée après le décret de suppression de l’esclavage aux colonies le 4 février 1794.

L’abolition de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe constitue un chapitre crucial de l’histoire des Antilles françaises, marqué par des luttes intenses et des revirements politiques significatifs. Le premier décret abolissant l’esclavage dans les colonies françaises fut promulgué le 4 février 1794, sans pour autant prévoir d’indemnisation pour les propriétaires d’esclaves. Cependant, en mai 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage, annulant les droits précédemment accordés et replongeant les Antillais francophones dans la captivité.

Portrait de Napoléon Bonaparte par Ernest Crofts.

Ce n’est qu’en 1848, sous la Deuxième République, que l’esclavage fut définitivement aboli en France, y compris dans ses colonies. Le décret du 27 avril 1848 disposait que l’esclavage serait totalement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après sa promulgation locale. Il interdisait également tout châtiment corporel et toute vente de personnes non libres dès sa promulgation.

L’Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

En Martinique, la mise en œuvre tardive de ce décret provoqua des révoltes. Le 22 mai 1848, une insurrection majeure à Saint-Pierre mena à l’abolition immédiate de l’esclavage par le gouverneur Claude Rostoland le lendemain. Similairement, en Guadeloupe, l’abolition fut proclamée le 27 mai par le gouverneur Jean François Layrle, en réponse à l’agitation croissante et à la pression des révoltes locales.

Ces événements marquent des moments déterminants où la résistance des esclaves a joué un rôle crucial dans l’accélération des processus législatifs d’émancipation, soulignant la force et la détermination des peuples antillais dans leur lutte pour la liberté.

Que représente donc la date du 10 Mai ?

L’ancien premier ministre Édouard Philippe devant une statue d’hommage aux victimes de l’esclavage le 10 mai 2020, au jardin du Luxembourg, à Paris.

En 2006, Jacques Chirac, alors président de la République française, fixa la date du 10 Mai comme journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Cette date fait référence à l’adoption définitive par le Parlement français, en 2001, de la loi Taubira qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité.

Extrait du discours de proposition de loi par Christiane Taubira (1999) – loi tendant à reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité (2001). Extrait du documentaire « L’identité au cœur de la question noire ». Voir site « Les mémoires des esclavages et de leurs abolitions », www.lesmemoiresdesesclavages.com

Depuis 2007, le 10 mai est marqué chaque année par une cérémonie officielle qui réunit des personnalités politiques, des artistes et des journalistes au Jardin du Luxembourg à Paris. Cet événement vise à rendre hommage à la mémoire des victimes de l’esclavage colonial et à réfléchir sur l’héritage de cette période sombre de l’histoire.

Quand l’ANC (Alliance Noire Citoyenne), vient pacifiquement et sans violence à la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière par la France, proclamée en 1848, avec la présence de Nicolas Sarkozy. Le collectif est prié de quitter le Jardin du Luxembourg par une bonne cinquantaine de policiers, en civils, alors que ces personnes sont accréditées pour l’évènement.

Toutefois, certains membres de la communauté afro-descendante expriment leur sentiment d’exclusion et de marginalisation lors de ces commémorations, estimant que l’événement ne reflète pas entièrement leur histoire ni leur contribution à la lutte contre l’esclavage. Cette date est perçue par certains comme déconnectée des réalités historiques, en particulier parce qu’elle ne correspond pas directement aux dates d’abolition de l’esclavage dans les anciennes colonies françaises, comme le 27 avril 1848 en Guadeloupe.

Illustration représentant François Dominique Toussaint L’Ouverture participant à la révolte victorieuse contre le pouvoir français à Saint-Dominigue (Haïti). Gravure coloriée à la main, 1900.

Il est aussi rappelé que sans les révoltes menées par les esclaves eux-mêmes, notamment les insurrections des Nègres Marrons qui ont combattu inlassablement l’oppression, l’abolition de l’esclavage aurait pu prendre bien plus de temps. Ainsi, cette journée du 10 mai, tout en étant un symbole de reconnaissance légale, soulève des questions sur sa pertinence et son impact pour toutes les parties concernées. Cette situation soulève un débat similaire à celui que susciterait une hypothétique modification de la date de la fête nationale du 14 juillet, profondément ancrée dans la conscience collective française.

En bref …

La commémoration du 10 mai, bien qu’elle soit un pas vers la reconnaissance officielle des horreurs de l’esclavage, soulève des questions cruciales sur l’inclusion et la représentativité. Elle rappelle que la mémoire collective et les hommages rendus doivent évoluer pour mieux refléter les vérités historiques et les voix de toutes les communautés impactées. En fin de compte, la vraie commémoration devrait non seulement honorer le passé mais aussi inspirer un avenir où la justice et l’égalité prévalent pour tous, sans distinction. Ainsi, réévaluer et adapter la manière dont ces journées commémoratives sont observées pourrait s’avérer essentiel pour guérir et unir la société dans son ensemble.

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