Plongez dans l’histoire avec le Festival mondial des Arts Nègres de 1966, un événement emblématique à Dakar qui a célébré et transformé la culture africaine. Découvrez les moments forts et l’impact durable de ce festival historique.
Le Festival mondial des Arts Nègres 1966 : un panafricanisme culturel à Dakar
Du 1er au 24 avril 1966, Dakar s’est transformée en un carrefour panafricain majeur, accueillant le premier Festival mondial des Arts Nègres. Cet événement, le premier de cette envergure en Afrique, visait à célébrer et à redéfinir l’art africain et noir à une échelle internationale.
Origines et planification du festival
L’idée du Festival mondial des Arts Nègres (FESMAN) a germé dès 1956 lors de la Conférence des Écrivains Noirs à Rome, une initiative de l’éminent intellectuel sénégalais Alioune Diop, directeur de la publication « Présence Africaine » basée à Paris. Cette vision devint réalité sous l’égide de Léopold Sédar Senghor, élu président de la République du Sénégal en 1960. Désireux de valoriser la culture africaine, Senghor, avec Alioune Diop comme directeur artistique, a mis sur pied ce festival d’envergure.
Le festival en action
Le festival a réuni des figures de proue de la Négritude telles qu’Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, et bien sûr, Alioune Diop. Le thème central, « Fonction et importance de l’Art Nègre et Africain, pour le Peuple et dans la vie du Peuple« , mettait l’accent sur la revalorisation et la reconquête de la dignité des peuples noirs. Cet événement fut une plateforme où les artistes, écrivains, et intellectuels de tout le continent et d’ailleurs ont partagé leurs œuvres et idées, forgeant un héritage qui résonne encore aujourd’hui.
Un rendez-vous panafricain : le Festival mondial des Arts Nègres de 1966
En avril 1966, Dakar est devenue l’épicentre d’un mouvement culturel panafricain sans précédent. Symboliquement choisi pour coïncider avec l’anniversaire de l’indépendance du Sénégal, le premier Festival mondial des Arts Nègres (FESMAN) a marqué un moment historique important pour l’Afrique post-indépendance.
Célébration de la Négritude et des traditions africaines
Le festival a attiré des artistes, des politiques et des intellectuels de 37 pays différents, tous unis dans un même but : renouer avec leurs racines et célébrer leur identité africaine. Les représentants de nations telles que le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Gabon, et bien d’autres, ont offert des performances qui ont illustré la richesse et la diversité des cultures africaines. Des ballets d’Ethiopie au jazz de Trinidad et Tobago, chaque performance a été une démonstration de beauté et de talent.
Infrastructures et événements pour un festival inoubliable
Pour accueillir cet événement majeur, Dakar s’est métamorphosée. Des quartiers ont été revitalisés, des hôtels et musées construits, transformant la ville en une véritable capitale culturelle. Le festival n’était pas seulement une série de spectacles, mais un véritable carnaval urbain avec des expositions, des fêtes de rue, et des conférences enrichissantes. Le tout a débuté par un colloque sous le patronage de l’UNESCO et de la Société Africaine de Culture, où le président Senghor a ouvert les discussions avec un discours puissant sur l’impact de la Négritude dans l’art mondial :
« Le président Senghor a souligné, lors de son discours inaugural, comment des figures telles que Rimbaud, Picasso et Apollinaire ont été influencées par l’art africain, marquant un tournant dans la perception de l’Occident face à l’art traditionnel, loin de la simple imitation de la nature. »
Un bouillon de culture au premier FESMAN
Le premier Festival mondial des Arts Nègres a été un carrefour de talents et d’influences culturelles, rassemblant des figures emblématiques de l’histoire africaine et mondiale.
Dignitaires et artistes de renommée mondiale
Parmi les invités illustres, l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié a marqué de sa présence ce festival panafricain, soulignant l’importance de cet événement pour l’unité africaine. En parallèle, une délégation d’artistes américains, triée sur le volet pour leur talent exceptionnel mais aussi leur neutralité politique, a brillé à Dakar. Cette délégation comprenait des noms célèbres tels que Marion Williams, spécialiste du gospel, Duke Ellington, légende du jazz, Katherine Dunham, pionnière de la danse moderne, et les membres de la troupe d’Alvin Ailey. La présence de Joséphine Baker a également ajouté une touche de glamour et d’histoire à l’événement.
Récompenses et reconnaissances
Le festival a été aussi un moment de reconnaissance pour les artistes et penseurs qui ont influencé la culture noire. Le plasticien ivoirien Christian Lattier a reçu le Grand Prix des Arts Nègres, tandis que l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop a été honoré pour son influence sur la pensée noire du XXe siècle. Nelson Mandela a été mis à l’honneur par Aimé Césaire pour son œuvre « No Easy Walk to Freedom« , soulignant son rôle dans la lutte contre l’apartheid.
La présence de figures littéraires et politiques
La venue d’André Malraux, alors ministre français de la Culture, a également été significative. Il a rendu un hommage à Léopold Sédar Senghor, avant de prononcer un discours puissant sur le potentiel de l’Afrique à redéfinir son patrimoine culturel en se reconnectant avec ses « esprits anciens » :
« André Malraux a déclaré lors du festival : ‘Pour la première fois, un chef d’État prend entre ses mains périssables le destin d’un continent. Nous allons, ensemble, tenter de fixer l’avenir de l’esprit.' »
En résumé, le FESMAN de 1966 a non seulement célébré la richesse de la culture africaine, mais a également servi de plateforme pour la reconnaissance internationale du talent et de l’influence africaine sur la scène mondiale. Cette édition historique a posé les jalons pour les futures collaborations culturelles et a renforcé le sentiment de fierté et d’unité parmi les peuples africains.
Un contexte explosif : tensions et critiques lors du FESMAN
Le premier Festival mondial des Arts Nègres (FESMAN) de 1966, bien que célébré comme un triomphe culturel, n’était pas exempt de critiques et de controverses, soulignant les complexités politiques et sociales de l’époque.
Critiques internes et accusations d’élitisme
Malgré l’enthousiasme pour la célébration de l’identité africaine, une partie significative de la population africaine, particulièrement au Sénégal, percevait le festival comme un événement élitiste. Les critiques pointaient du doigt la proximité entre le Sénégal, un pays nouvellement indépendant, et son ancien colonisateur, la France. De plus, le président Senghor fut critiqué pour son manque de soutien aux revendications panafricaines plus radicales, suscitant un débat sur les véritables bénéfices de telles festivités pour la majorité de la population.
Contexte politique international
En janvier 1966, la Conférence Tricontinentale à La Havane marquait un tournant, rassemblant des révolutionnaires d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, unis contre l’impérialisme et pour l’unification des peuples opprimés. Cette conférence contrastait nettement avec le FESMAN, qui semblait moins engagé politiquement. Peu après, les rues de Dakar étaient le théâtre de manifestations massives d’étudiants, en réaction au coup d’État contre Kwame Nkrumah au Ghana et contre le néocolonialisme, préfigurant le mouvement de Mai 68 sénégalais. Parallèlement, aux États-Unis, la création du Black Panther Party ajoutait une dimension supplémentaire à ce contexte mondial de lutte pour les droits civiques et l’émancipation.
Soutiens controversés et accusations de propagande
Le soutien financier et artistique reçu par le FESMAN de divers acteurs mondiaux, notamment les États-Unis, alors en pleine ségrégation, la France, et la Russie, alors en confrontation ouverte avec l’Amérique, a soulevé des questions sur l’indépendance et l’intégrité du festival. Ce mélange de soutiens a été perçu par certains comme une forme de propagande, diluant le message de retour à l’africanité et à l’indépendance culturelle que le festival prétendait promouvoir.
Le FESMAN de 1966, malgré son importance culturelle, s’est déroulé dans un climat de tensions politiques qui reflète les défis de l’ère post-coloniale. Les critiques et les événements de l’époque démontrent la complexité des interactions entre culture, politique et identité nationale et panafricaine.
Un bilan très mitigé
Le premier Festival mondial des Arts Nègres, un événement culturel pionnier, a attiré environ 20 000 visiteurs à Dakar. Malgré cette affluence, le bilan financier s’est révélé déficitaire, avec une perte de 158 millions de francs CFA, les recettes ayant été bien inférieures aux prévisions initiales.
Perspectives culturelles versus réalités financières
Lors de la conférence de presse de clôture, le commissaire du festival, Souleymane Sidibé, a souligné une perspective optimiste malgré les déficits financiers :
« Il n’y a pas de déficit en matière culturelle. Les résultats de ce premier festival ont plus de valeur que tous les milliards du monde. »
Cette déclaration met en lumière la valeur intrinsèque que l’organisation plaçait sur les retombées culturelles et éducatives de l’événement, bien au-delà des chiffres rouges.
Répercussions et tentatives de relance
Les années 1980 ont marqué un ralentissement des initiatives artistiques panafricaines, exacerbé par les politiques d’ajustement structurel. L’arrivée au pouvoir d’Abdou Diouf a vu des réductions de subventions pour les arts, et même la fermeture du Musée dynamique en 1990, qui avait été brièvement rouvert en 1982. Dans ce climat économique et culturel contraint, Diouf et son gouvernement ont envisagé de relancer l’esprit du festival sous le nom de Festival panafricain d’art et de culture, confiant l’organisation à l’universitaire Pathé Diagne, un ancien critique de Senghor. Cependant, ce projet a été abandonné en 1989 en raison d’erreurs de gestion et de frictions idéologiques.
Héritage et festivals successifs
Le FESMAN de 1966 a ouvert la voie à d’autres festivals, tels que le FESTAC à Lagos, Nigeria en 1977, et un retour du FESMAN à Dakar en 2010, ce dernier étant placé sous le thème de la « Renaissance africaine ». Ces événements ont continué à explorer et à célébrer la richesse de la culture africaine, malgré les défis financiers et logistiques persistants.
Bien que le bilan financier du premier FESMAN ait été difficile, l’impact culturel et l’héritage du festival ont eu une portée significative, influençant la manière dont l’art et la culture africaine ont été perçus et célébrés dans les décennies suivantes.
Sources consultées :
- « Il y a 43 ans, le premier festival mondial des arts nègres ! », africultures.com, publié le 28 juillet 2009 : Cette plateforme dédiée à la culture africaine offre des analyses approfondies et des comptes rendus sur les événements culturels panafricains, fournissant un contexte essentiel pour comprendre l’impact du Festival Mondial des Arts Nègres.
- Musée du quai Branly : En tant qu’institution leader dans la préservation et la présentation des arts non-occidentaux, le Musée du quai Branly fournit des ressources précieuses sur les arts africains qui ont été mis en avant lors du festival.
- Brieux, Jean-Jacques, « La ‘Tricontinentale’« . In: Politique étrangère, n°1 – 1966 – 31ᵉ année, pp. 19-43. Cet article offre un aperçu détaillé de la conférence de la Tricontinentale de 1966, un événement significatif pour comprendre le contexte politique dans lequel le FESMAN s’est déroulé.