Les afro-mexicains : découverte d’une Histoire oubliée

Découvrez la lutte des Afro-Mexicains, descendants d’esclaves, contre le racisme profondément enraciné au Mexique. Cet article révèle le périple de la journaliste Alexis Okeowo à Yanga, la ville historique reconnue comme la première communauté d’esclaves affranchis des Amériques. Plongez dans une exploration captivante de l’héritage africain au Mexique et de la quête continue pour la reconnaissance et l’égalité.

Retour sur son enfance et premiers rapports au racisme

La première fois que je me suis sentie profondément gênée d’être noire remonte à l’enfance. Ma famille venait d’emménager en Alabama, et j’étais en voiture avec mon père et mon frère. Alors que nous passions à côté d’elle, une femme blanche aux cheveux bruns frisés et au visage sévère et ridé nous lança une injure raciste. Mon père fit immédiatement marche arrière dans sa direction. Elle faisait le plein à une station-service. « Qu’est-ce que vous avez dit ? » demanda-t-il. Elle lui jeta un regard furieux et refusa de répondre. Choqués, mon frère et moi restâmes silencieux durant tout le trajet du retour à la maison.

 Voyage au Mexique et premier contact avec les mexicains

La seconde fois, ce fut au Mexique, dans une ville au charme désuet. Journaliste vivant à Mexico, j’avais décidé d’aller à Veracruz où des centaines de milliers d’esclaves africains furent déportés par les colons espagnols cinq siècles auparavant. Je voulais visiter Yanga, supposée être « la première ville affranchie des Amériques », et baptisée d’après le nom de Gaspard Yanga, esclave ayant conduit une rébellion triomphante contre les Espagnols au XVIe siècle.

Je venais juste d’apprendre l’existence des Afro-Mexicains, descendants isolés des esclaves noirs du Mexique, qui vivent sur les côtes rurales du Pacifique et du Golfe du Mexique. Après des mois de recherches et une visite à la communauté afro-mexicaine retirée sur la côte Pacifique où vivent la plupart d’entre eux, je me sentais obligée d’aller rendre visite aux Afro-Mexicains de Veracruz sur la Gulf Coast = Côte du Golfe. J’ai fini par passer la plupart de mon temps à essayer de comprendre Yanga.

En arrivant dans la ville, je regardai à travers la vitre du taxi les devantures des magasins aux couleurs pastel, et je découvris les habitants à la peau brune qui marchaient dans les larges rues. Je m’interrogeais : « Où sont les Mexicains noirs ? » Au centre, un panneau proclamait que Yanga était la première ville affranchie de l’esclavage. Pourtant, les descendants de ces esclaves étaient introuvables. J’allais apprendre plus tard que la plupart d’entre eux vivaient hors de la ville, dans des lotissements délabrés.

A la recherche de la vérité

Le matin suivant je fis à pied les quelques mètres entre l’hôtel et la bibliothèque municipale, ma chemise collée au dos par la chaleur. On m’avait dit que le bibliothécaire était la meilleure source d’informations sur l’histoire de Yanga. Je marchais la main devant les yeux pour me protéger du soleil aveuglant, et aussi du regard des gens dans les magasins et sur la place centrale. À Mexico, où les Noirs sont une rareté, je me suis habituée à être observée, mais là, c’était différent.

Les regards étaient froids, hostiles et particulièrement déroutants dans une ville portant le nom d’un révolutionnaire africain. J’entendais les gens murmurer : « Regarde, une Noire »… « Négresse, négresse ! » railla un vieux avec une touffe de cheveux blancs sous un sombrero. Entouré d’un groupe d’hommes, il m’observait en souriant de toutes ses dents. Il semblait attendre que je vienne lui parler. Choquée et soudain ramenée à mon enfance et à cette après-midi en Alabama, je lui jetais un sale regard et entrais dans la cour de la librairie.

Au Mexique, la notion de race est désespérément complexe. C’est un pays où beaucoup se disent fiers de revendiquer du sang africain, mais rejettent leurs concitoyens les plus noirs. Les Mexicains noirs se plaignent de ce sectarisme, qui les empêche de trouver du travail. J’étais surprise de me sentir à ce point étrangère, intruse dans une ville où j’avais espéré ressentir quelque chose comme de la familiarité.

Conditions et statut social des afro-mexicains

Fille de Punta Maldonado, Guerrero.

Les Afro-Mexicains sont parmi les plus pauvres du pays. Nombre d’entre eux sont expédiés vers des bidonvilles éloignés, sans accès aux services basiques comme les écoles et les hôpitaux. Les activistes afro-mexicains doivent lutter continuellement pour être reconnus par le gouvernement, et pour leur développement économique. Depuis longtemps, ils se battent pour être recensés sur le plan national au même titre que les cinquante-six autres groupes ethniques officiels du pays, sans grand résultat.

Selon les rapports officieux, ils représentent un million de personnes. En réponse aux pressions activistes, le gouvernement a livré une étude fin 2008 confirmant que les Afro-Mexicains souffraient d’un racisme institutionnel : les employeurs étant moins enclins à employer des Noirs, et certaines écoles refusant les enfants noirs à cause de leur couleur de peau. Mais peu de choses ont été faites pour changer cela.

Les Afro-Mexicains, faute d’une représentation puissante, restent ignorés des leaders du pays. Selon Rodolfo Prudente Dominguez, un grand activiste afro-mexicain :

« Ce que nous voulons, c’est la reconnaissance de nos droits basiques et le respect de notre dignité… Il devrait y avoir des sanctions contre les agents de sécurité et de l’immigration qui nous retiennent ici car ils nient notre existence sur notre propre terre. »

Histoires et légendes autour de la présence du peuple afro-mexicains

Si vous n’avez pas entendu parler des Noirs natifs du Mexique vous n’êtes pas les seuls. L’histoire transmise de génération en génération est que leurs ancêtres seraient arrivés sur un bateau rempli d’esclaves cubains et haïtiens, qui aurait sombré sur la côte Pacifique du Mexique. Les survivants se seraient cachés dans des villages de pêcheurs sur le rivage. Cette histoire est un mythe : les colons espagnols faisaient du trafic d’esclaves africains dans les ports sur la côte opposée du Golfe et les esclaves étaient distribués plus loin dans les terres.

La persistance de cette histoire explique la réticence d’un grand nombre de Mexicains noirs à adopter le label « afro », et pourquoi beaucoup de Mexicains pensent que les Noirs du pays sont originaires des Caraïbes. Selon des rapports coloniaux, 200 000 esclaves africains ont été importés au Mexique entre le XVIe et le XVIIe siècle pour travailler dans les mines d’argent, les plantations de sucre et les ranchs bovins. Mais une fois indépendant, le Mexique a ignoré ces Mexicains noirs. Certains activistes afro-mexicains s’identifient comme une partie de la diaspora africaine.

Compte tenu de leur rejet de la culture mexicaine, la référence culturelle n’en est que plus puissante. Mais sans mémoire collective de l’esclavage (au Mexique, il fut aboli officiellement en 1822), ni d’aucune époque antérieure en Afrique, les Afro-Mexicains sont considérablement éloignés de leurs racines africaines.

Rencontre avec le bibliothécaire de Yanga

« Bienvenida, bienvenue », m’accueillit Andres le bibliothécaire, en m’indiquant une chaise. Bien que n’étant pas noir, Andres fut la première personne à me faire me sentir à mon aise à Yanga. Il agissait comme si ma présence était tout à fait normale, probablement parce qu’il était habitué aux visiteurs afro-américains intéressés par ses recherches sur l’esclavage au Mexique. Lors de ma visite, il était en plein cours d’art pour de jeunes enfants. Il me parla du commerce d’esclaves et des festivals culturels africains à Veracruz pendant qu’il collait des masques en papier mâché.

Les enfants me sourirent timidement : « Il y a beaucoup de racisme ici envers les Noirs, n’est-ce pas ? » demandai-je, encore choquée par l’hostilité de la ville. « Non, pas vraiment, nous sommes tous pauvres ici, c’est ça le problème », répondit en riant Andres, en mettant ses cheveux en arrière. Avant qu’il ait fini sa phrase, une femme noire vint vers nous. Elle échangea quelques mots avec Andres et prit délicatement mes mains dans les siennes. « Bienvenida », dit-elle avant de partir.

Un Colorisme encore bien présent dans les mœurs

Après avoir quitté la bibliothèque je décidais de partir en exploration. Je m’arrêtais dans un bureau pour demander mon chemin à un groupe de Mexicains, qui me draguèrent allègrement avant de me souhaiter bonne chance. Je partis à l’aventure, en fondant presque sous la chaleur. Je ressassais les sentiments contradictoires concernant la race au Mexique. Dans un endroit où chacun est considéré comme «métis», en raison de la longue histoire coloniale du pays, la couleur de peau symbolise clairement un statut.

Nombre de Mexicains sont généreux et gentils avec moi, voyant ma différence comme quelque chose d’intéressant et de charmant. Mais les Mexicains noirs sont souvent maltraités et mis au banc de la société. Je pense à cette tension inquiétante quand il m’arrive de croiser dans Mexico une Noire, et qu’elle me fait un sourire fragile, sincère.

Notes et références

Alexis Okeowo est une journaliste nigériane free-lance, qui a vécu et travaillé au Mexique, ainsi qu’à Cuba, et en Afrique subsaharienne

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