María Remedios del Valle : l’épopée d’une héroïne oubliée de l’indépendance de l’Argentine

Explorez le parcours extraordinaire de María Remedios del Valle, une figure clé mais souvent oubliée de la Guerre d’Indépendance argentine. Découvrez comment cette femme courageuse a lutté pour son pays et a surmonté les obstacles pour laisser un héritage durable en tant que ‘Madre de la Patria’.

Découverte de María Remedios del Valle : une héroïne de l’ombre

María Remedios del Valle, souvent saluée comme la « Madre de la Patria » (Mère de la Patrie), demeure une figure emblématique dans l’histoire de l’Argentine, particulièrement pour son rôle déterminant dans la Guerre d’Indépendance du pays1. Sa détermination et son engagement ont fait d’elle une source d’inspiration pour de nombreux Argentins et lui ont valu une place de choix dans le panthéon des héros nationaux. Aujourd’hui, son héritage continue d’inspirer et de rappeler l’importance de reconnaître et d’honorer les contributions de tous ceux qui ont façonné l’histoire et l’identité de la nation argentine.

Les premiers pas de María : entre cuisine et soins infirmiers

María Remedios del Valle

María Remedios del Valle vit le jour en 1766 à Buenos Aires, une époque où l’Argentine était encore sous le joug colonial espagnol2. Née dans une société où les rôles et les opportunités étaient fortement influencés par la race et le statut social, Remedios del Valle grandi dans un contexte marqué par des défis considérables, mais aussi par une culture riche et diverse.

Dès son plus jeune âge, Remedios del Valle développa une résilience et une force de caractère qui allaient la distinguer tout au long de sa vie. Elle commença à travailler en tant que cuisinière, un métier qui, à l’époque, était l’un des rares domaines où les femmes, en particulier celles d’origine africaine, pouvaient gagner leur vie. Cette expérience précoce dans la cuisine lui permis non seulement de subvenir à ses besoins, mais aussi de développer des compétences et une autonomie qui lui seraient utiles plus tard.

En plus de ses talents culinaires, Remedios del Valle s’est également engagée dans le domaine des soins infirmiers. Son travail en tant qu’infirmière, bien que moins documenté, est révélateur de son désir d’aider les autres et de contribuer à sa communauté. Cette période de sa vie, avant le déclenchement de la guerre d’indépendance, a jeté les bases de son engagement futur dans les luttes pour la liberté et la justice.

Au cœur de la bataille : l’engagement décisif de María dans la guerre

María Remedios del Valle joua un rôle crucial dans la Guerre d’Indépendance argentine, un conflit qui marqua un tournant dans l’histoire du pays. Sa participation active dans plusieurs batailles clés témoigne de son courage exceptionnel et de son engagement indéfectible pour la cause.

L’une de ses contributions les plus notables fut lors des batailles d’Ayohúma, Vilcapugio et Tucumán. Ces affrontements, parmi les plus décisifs de la guerre, virent Remedios del Valle se distinguer par son bravoure au milieu des combats. Elle n’était pas seulement une combattante parmi tant d’autres ; elle assuma un rôle de leadership, inspirant ceux qui l’entouraient par sa détermination et sa résistance face à l’adversité.

Portrait de Manuel Belgrano par François-Casimir Carbonnier réalisé lors de la mission diplomatique de Belgrano à Londres (1815). wikimedia.org

Sa bravoure et ses compétences au combat attirèrent l’attention de Manuel Belgrano3, l’un des chefs militaires les plus respectés de la révolution. Impressionné par sa discipline, son intelligence et sa loyauté, Belgrano la nomma capitaine dans son armée, une reconnaissance remarquable qui brisait les barrières de genre et de race de l’époque.

Au-delà du courage : les épreuves et sacrifices de María

La participation de María Remedios del Valle à la Guerre d’Indépendance argentine fut marquée par des sacrifices personnels déchirants et des épreuves d’une extrême gravité. La tragédie la plus profonde qu’elle ait vécue durant cette période fut la perte de son mari et de ses deux fils, tous tombés au combat. Ces pertes ont représenté un choc émotionnel immense, symbolisant le prix élevé du combat.

Au-delà de ces pertes personnelles, Remedios del Valle elle-même endura des souffrances physiques considérables. Au cours des différentes batailles, elle a reçu de multiples blessures, notamment des plaies causées par des balles et des sabres. Ces blessures laissèrent sur son corps des cicatrices indélébiles, témoins silencieux de sa bravoure et de son engagement envers la Révolution.

Sa résistance et son courage face à l’ennemi ne passèrent pas inaperçus. En 1813, elle fut capturée par les forces espagnoles. Pendant sa captivité, Remedios del Valle fut soumise à des tortures brutales : elle a été fouettée pendant neuf jours consécutifs pour avoir aidé des officiers patriotes à s’échapper du camp de prisonniers. Ces expériences traumatisantes marquèrent son corps et son esprit pour le reste de sa vie.

Cependant, malgré ces épreuves, María Remedios del Valle ne fléchi jamais dans son engagement. Sa capacité à endurer et à surmonter ces adversités témoigne de son caractère exceptionnellement résilient et déterminé. Ces sacrifices et ces difficultés, loin de la briser, ont renforcé sa détermination à lutter pour l’indépendance de son pays, faisant d’elle une véritable héroïne nationale et un modèle de courage et de persévérance.

Une lutte pour la reconnaissance : le parcours de María après la guerre

Après la fin de la Guerre d’Indépendance, María Remedios del Valle fit face à une série de défis déchirants, marquant une période de grande adversité dans sa vie. Malgré ses contributions significatives à la guerre, elle se retrouva confrontée à des difficultés financières accablantes.

Le premier obstacle majeur qu’elle rencontra fut le refus initial de sa demande de pension. Non satisfaite de son sort, elle entame le 23 octobre 1826 une pétition demandant qu’on lui verse 6000 pesos en compensation des services rendus au pays. Le dossier, signé en son nom par un certain Manuel Rico et auquel elle ajoute à l’appui un certificat de service daté du 17 janvier 1827 signé par le colonel Hipólito Videla, commence par la déclaration suivante :

Doña María Remedios del Valle, capitaine de l’armée, expose dûment à Votre Excellence :
Que depuis le premier cri de la Révolution, elle a eu l’honneur de défendre la juste cause de l’Indépendance, d’une de ces manières qui servent habituellement à admirer l’Histoire des Peuples. Oui, Monsieur l’Inspecteur, bien qu’elle puisse paraître présomptueusement prétentieuse, elle n’exagère pas les services qu’elle a rendus à la Patrie, mais évoque avec son naturel habituel ce qu’elle a souffert pour contribuer à la réalisation de l’indépendance de sa patrie, dont elle jouit avec bonheur.

Si les premiers oppresseurs du sol américain considèrent encore avec une terreur respectueuse les noms de Caupolicán et de Galvarino, les contestataires de nos droits pour nous avoir soumis au cercle étroit de l’esclavage dans lequel leurs pères nous ont plongés, peut-être se souviendront-ils du nom du capitaine patriote María de los Remedios pour admirer sa fermeté d’âme, son amour patriotique et son opiniâtreté pour le salut et la liberté de l’Amérique ; Ils s’irriteraient encore de ma constance et m’appliqueraient de nouvelles tortures, mais ils n’inventeraient pas celle de l’oubli pour me faire expirer de faim comme me l’a fait le Peuple pour lequel j’ai tant souffert.

Et avec qui le fait-elle ? Avec qui, pour avoir nourri les chefs, les officiers et les troupes emprisonnés par les royalistes, pour les avoir préservés, soulagés, et même avoir permis l’évasion de beaucoup d’entre eux, elle a été condamnée par les chefs ennemis Pezuela, Ramirez et Tacón, à être fouettée publiquement pendant neuf jours ; avec qui, pour avoir entretenu une correspondance et incité à prendre les armes contre les oppresseurs américains, et combattu avec eux, elle a été sept fois à la chapelle ; avec qui, pour son courage, son audace et sa résolution, les armes à la main, et sans elles, elle a reçu six blessures par balles, toutes graves ; avec qui elle a perdu en campagne, en disputant le salut de son pays, son propre fils, un autre fils adoptif et son mari !

Avec qui, pendant qu’elle était utile, elle a réussi à se faire enrôler dans l’état-major de l’armée auxiliaire du Pérou en tant que capitaine, avec un salaire, comme celui des autres assistants et d’autres considérations dues à son emploi. Elle n’est plus utile et a été abandonnée sans subsistance, sans santé, sans abri et dans la mendicité. Celle qu’elle représente a fait toute la campagne du Haut Pérou ; elle a droit à la reconnaissance argentine, et c’est maintenant qu’elle la réclame pour son malheur.

María Remedios del Valle

Cependant, sa demande fut rejetée, laissant cette héroïne de guerre dans un état de précarité et de négligence…

Contrainte de faire face à une pauvreté extrême, María Remedios del Valle en fut réduite à mendier dans les rues de Buenos Aires. Elle vivait de l’aumône et des restes de nourriture fournis par les églises locales, une existence loin de la dignité et de la reconnaissance qu’elle méritait. Une héroïne de guerre, autrefois célébrée pour son courage, réduite à l’indigence dans une société qu’elle avait aidée à libérer.

Cependant, le cours de sa vie prit un tournant décisif grâce à l’intervention du général Juan José Viamonte, un ancien camarade d’armes. Reconnaissant Remedios del Valle dans la rue, Viamonte fut profondément touché par sa situation désespérée. Il prit l’initiative de plaider sa cause, demandant à la législature de Buenos Aires de lui accorder une pension. Avec le soutien de Viamonte et d’autres hauts gradés qui témoignèrent en sa faveur :

Finalement, les efforts de Viamonte et des autres soutiens ont porté leurs fruits : María Remedios del Valle a reçu une pension et la reconnaissance qu’elle méritait pour son service héroïque. Ce retournement de situation a non seulement fourni une certaine sécurité financière à Remedios del Valle, mais a également servi de reconnaissance tardive pour ses sacrifices et son dévouement. Son histoire souligne l’importance de la persévérance et de l’advocacy, même face à des obstacles apparemment insurmontables.

Les derniers chapitres : fin de vie et hommage tardif à María

Dans les dernières années de sa vie, María Remedios del Valle connu un certain soulagement grâce à la pension qui lui fut finalement accordée. Cette pension, bien que tardive, représenta une forme de reconnaissance officielle de ses sacrifices et de son service durant la guerre. Curieusement, dans les registres de l’armée, elle était mentionnée sous le nom de Remedios Rosas, une variation qui suscita des interrogations mais qui ne diminua en rien l’importance de son héritage.

Remedios del Valle continua à recevoir cette pension jusqu’à la fin de sa vie, une période durant laquelle elle vécu plus confortablement comparée à ses années de mendicité. Cependant, malgré cette reconnaissance officielle, elle resta relativement méconnue du grand public et de la société argentine en général.

Elle s’est éteinte le 8 novembre 1847, laissant derrière elle un héritage de courage et de dévouement à sa patrie. Sa mort marqua la fin d’une époque et d’une vie consacrée à la lutte pour l’indépendance et la liberté.

Redécouverte d’une héroïne : l’ascension de María dans l’histoire argentine

Ce n’est que bien après sa mort, surtout au début du XXIe siècle, que la contribution de María Remedios del Valle fut véritablement reconnue et célébrée. Historiens, écrivains et militants commencèrent à redécouvrir son histoire, la plaçant enfin dans le panthéon des héros nationaux de l’Argentine. Son histoire fut mise en lumière comme un exemple poignant de la contribution des Afro-Argentins à l’histoire du pays, une contribution souvent négligée ou oubliée dans les récits historiques traditionnels.

En reconnaissance de son rôle et pour honorer la mémoire de Remedios del Valle ainsi que celle de la communauté afro-argentine, le 8 novembre, jour de son décès, fut proclamé Jour National des Afro-Argentins et de la Culture Africaine en 2013. Cette reconnaissance posthume a permis de sensibiliser davantage à son histoire et à celle d’autres figures historiques afro-argentines, favorisant ainsi une compréhension diversifiée de l’histoire nationale argentine.

María Remedios del Valle : une icône dans la culture et l’histoire contemporaines

Monument à María Remedios del Valle sur la Plazoleta Castelao, à Constitución, Buenos Aires. wikipedia.org

Au cours des dernières décennies, la figure de María Remedios del Valle a pris une place importante dans la mémoire publique argentine, transcendant le cadre de l’histoire militaire pour devenir un symbole de résilience et de courage. Sa représentation dans les contextes culturels et historiques modernes a été marquée par divers hommages et reconnaissances.

Des monuments et des événements commémoratifs ont été érigés et organisés en son honneur, témoignant de son importance croissante dans la conscience nationale. Par exemple, des statues et des plaques commémoratives ont été installées à Buenos Aires, offrant un lieu de mémoire et de reconnaissance pour cette héroïne nationale. De plus, des événements tels que des expositions et des conférences ont été organisés pour éduquer le public sur son rôle et ses contributions à l’histoire argentine.

Dans le domaine académique, des études universitaires ont réévalué l’histoire de María Remedios del Valle, mettant en lumière non seulement son rôle dans la guerre d’indépendance mais aussi sa place en tant que femme afro-argentine dans une société historiquement dominée par des figures masculines et eurocentriques. Ces recherches ont contribué à une réévaluation plus large de l’histoire des Afro-Argentins et de leur rôle dans la construction de la nation.

L’héritage indélébile de María : reflet de bravoure et source d’inspiration

L’héritage de María Remedios del Valle est un rappel puissant de la complexité et de la richesse de l’histoire argentine. Elle incarne la bravoure et la détermination face à l’adversité, qualités qui résonnent encore aujourd’hui. Sa vie, marquée par des luttes et des sacrifices, est un témoignage de la contribution significative mais souvent négligée des Afro-Argentins à l’histoire de la nation.

En tant que « Madre de la Patria », María Remedios del Valle symbolise la lutte pour l’indépendance de l’Argentine ainsi que la lutte plus large pour la reconnaissance et la justice sociale. Son histoire continue d’inspirer les Argentins de toutes origines et rappelle l’importance de reconnaître et de célébrer les héros Noirs méconnus qui ont façonné le passé et continuent d’influencer le présent et l’avenir de la nation.

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Notes et références

  1. Guerre d’indépendance de l’Argentine (1810-1825) : Ce conflit crucial a marqué la lutte pour l’indépendance de l’Argentine contre la domination espagnole. Déclenchée en 1810, la guerre s’est étendue sur plusieurs fronts, impliquant des batailles clés et des campagnes militaires décisives. Elle a non seulement consolidé l’indépendance de l’Argentine, déclarée formellement en 1816, mais a également contribué à la libération d’autres pays d’Amérique du Sud. La guerre a opposé les forces patriotes argentines, désireuses de l’indépendance, aux royalistes fidèles à la couronne espagnole.​​ ↩︎
  2. Argentine coloniale (XVIe siècle – 1810) : L’Argentine coloniale désigne la période de l’histoire de l’Argentine sous domination espagnole, débutant avec l’arrivée des conquistadors au XVIe siècle. Durant cette époque, l’Argentine, alors partie intégrante de l’empire espagnol, a vu s’établir des structures coloniales, des missions jésuites et le développement de l’économie basée sur l’agriculture et l’extraction minière. La société était marquée par une hiérarchie ethnique et sociale. La période coloniale a pris fin avec la Guerre d’Indépendance argentine, amorcée en 1810, ouvrant la voie à la formation de la nation argentine moderne. ↩︎
  3. Manuel Belgrano (1770-1820) : Général, économiste et leader de la Guerre d’Indépendance argentine, Manuel Belgrano est l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire argentine. Né à Buenos Aires, il fut influencé par les Lumières européennes et joua un rôle crucial dans la lutte pour l’indépendance de son pays contre l’Espagne. Créateur du drapeau argentin, Belgrano a également été un ardent défenseur des droits et de l’égalité, reconnaissant le courage et la contribution significative de María Remedios del Valle dans la guerre d’indépendance. ↩︎
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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