Drapétomanie : aperçu historique d’une pseudo-science raciste

Découvrez l’histoire troublante de la drapétomanie, un concept raciste du XIXe siècle utilisé pour justifier l’esclavage des Noirs en Amérique. Nofi vous dévoile les idées fausses de Samuel Cartwright et examine l’impact de ces croyances sur la perception de la race et de la médecine. Découvrez comment ce chapitre sombre de l’histoire continue d’influencer les discussions sur la race et la santé aujourd’hui.

Samuel Cartwright et la naissance de la drapétomanie

Drapétomanie

En 1849, aux États-Unis, l’esclavage était une réalité brutale, particulièrement en Louisiane. C’est dans ce contexte que Samuel Cartwright, un médecin connu pour ses idées esclavagistes, fut choisi pour diriger une étude sur les maladies prétendument spécifiques aux Africains-Américains. En 1851, Cartwright dévoile ses conclusions lors d’une conférence médicale, et c’est là que l’histoire prend un tournant pour le moins surprenant.

Imaginez un instant : un médecin sérieux, devant une assemblée de professionnels, affirmant avoir découvert une nouvelle maladie. Mais pas n’importe laquelle ! Une maladie qui pousserait les esclaves à fuir leur condition. Il l’appelle « drapétomanie« , un terme qu’il invente en combinant des mots grecs pour décrire cette soi-disant pathologie. Selon lui, les esclaves qui tentaient de s’échapper étaient en réalité… malades !

Cette théorie, aussi absurde qu’elle puisse paraître aujourd’hui, était prise au sérieux à l’époque. Elle reflète une époque où la science était malheureusement utilisée pour justifier des croyances racistes et soutenir un système inhumain. Alors, accrochez-vous bien, car cette histoire est un véritable voyage dans les méandres de la pseudoscience et de la négrophobie de l’époque.

Dans son étonnant rapport intitulé « Diseases and Physical Peculiarities of the Negro Race« , le Dr Samuel Cartwright prétendait que les personnes noires étaient physiologiquement différentes des personnes blanches. Imaginez un peu : il soutenait que les Noirs avaient des cerveaux plus petits, une peau plus sensible et un système nerveux particulièrement développé. Selon lui, ces caractéristiques expliqueraient pourquoi les Noirs étaient, d’après ses dires, naturellement enclins à la servitude. Oui, vous avez bien lu !

Cartwright, considéré à l’époque comme une autorité en médecine, n’hésitait pas à affirmer ces idées avec une assurance déconcertante. Ses théories, qui nous semblent aujourd’hui complètement absurdes, étaient alors prises au sérieux et reflétaient les préjugés raciaux profondément ancrés dans la société de l’époque :

« Si l’homme blanc tente de s’opposer à la volonté de la divinité, en essayant de faire en sorte que le nègre soit autre chose que « le plié-genou soumis » (que le Tout-Puissant a déclaré qu’il devrait être), en essayant de l’élever à un niveau égal à lui-même, ou se mettre sur un pied d’égalité avec le nègre; ou s’il abuse du pouvoir que Dieu lui a donné sur son prochain, en le cruel, en le punissant de colère, ou en négligeant de le protéger des abus injustifiés de ses semblables et de tous les autres, ou en le privant du confort habituel et des nécessités de la vie, le nègre s’enfuira; mais s’il le maintient dans la position que nous apprenons des Écritures qu’il était destiné à occuper, c’est-à-dire la position de soumission; et si son maître ou son surveillant est gentil et compatissant dans son audition envers lui, sans condescendance, et en même temps il répond à ses besoins physiques et le protège des abus, le nègre est enchanté par les sorts et ne peut pas fuir »

S. L. Chorover. From Genesis to Genocide (Cambridge, Massachusetts: MIT Press 1974). p. 150.

La Drapétomanie : définition et origines

Samuel Cartwright, dans un élan de créativité pour le moins discutable, a forgé le terme « Drapétomanie« . Ce mot, qui semble sorti tout droit d’un roman de science-fiction, est en fait un assemblage de deux mots grecs : δραπέτης (drapetes, signifiant « esclave en fuite ») et μανία (manie, signifiant « folie »). Son idée ? Décrire une prétendue maladie mentale, une invention de son esprit influencé par ses croyances esclavagistes.

Selon Cartwright, si un esclave africain captif était atteint de cette « drapétomanie », il ressentait une envie irrépressible de s’échapper de sa condition d’esclave pour chercher la liberté. Oui, vous avez bien lu : dans son esprit, le désir de liberté était considéré comme une pathologie. Une idée qui, aujourd’hui, nous semble totalement absurde, mais qui à l’époque était prise au sérieux par certains.

Drapétomanie

Pour ce médecin de pacotille, l’origine de cette soi-disant maladie, résidait dans la manière dont les esclaves étaient traités par leurs maîtres. Il avançait l’idée surprenante que si les esclaves se mettaient à fuir, c’était parce qu’ils étaient traités trop humainement, voire comme des égaux par leurs maîtres. Oui, c’est bien ce qu’il pensait !

Cartwright soutenait que cette égalité de traitement, cette humanité excessive, était la cause profonde de la drapétomanie. Il argumentait que si les esclaves étaient maintenus dans un état de soumission et traités de manière strictement inférieure, ils ne chercheraient pas à s’échapper. Cette perspective, totalement inimaginable aujourd’hui, reflète les croyances déformées et les justifications de l’esclavage de l’époque :

« S’ils sont bien traités, bien nourris et habillés, avec assez de carburant pour garder un petit feu qui brûle toute la nuit (séparés dans des familles, chaque famille ayant sa propre maison) ayant interdiction de courir ça et là dans la nuit pour visiter leurs voisins, de recevoir des visites ou d’utiliser des boissons enivrantes, et non surchargés de travail ou exposés trop le temps, ils sont très facilement contrôlables ; plus que tout autre peuple au monde. Si l’un ou plusieurs d’entre eux, à tout moment, sont enclins à lever la tête au niveau de leur maître ou du surveillant, l’humanité et leur propre bien exige qu’ils soient punis jusqu’à ce qu’ils retombent dans cet état de soumission qui a été conçu pour eux. Ils doivent uniquement être gardés dans cet état, et traités comme des enfants pour prévenir et les guérir de l’envie de fuguer. »

Cartwright, Samuel A. (1851). « Diseases and Peculiarities of the Negro Race ». DeBow’s Review.

Dans cette étrange logique de Cartwright, il existait un « remède » pour la drapétomanie, aussi cruel qu’absurde. Il préconisait des méthodes brutales telles que l’administration de sévères coups de fouet ou même l’amputation des orteils du malheureux esclave atteint de cette prétendue maladie. Selon lui, ces traitements barbares étaient censés « guérir » l’esclave de son désir de liberté, permettant ainsi aux maîtres de dormir tranquilles, convaincus que leur « patient » était remis de sa « folie ».

Cette vision déformée et inhumaine est un rappel sombre de la façon dont la médecine a été détournée pour soutenir des systèmes oppressifs. L’histoire de la drapétomanie illustre comment, dans un contexte de pouvoir et de domination comme l’esclavage, les idées les plus ridicules et les plus cruelles peuvent être avancées pour justifier l’injustifiable. Cela souligne l’importance de rester vigilant et critique face aux discours dominants, comme le rappelait le groupe Public Enemy en 1988 : « Don’t believe the hype!« 

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Notes et références

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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