Berlin 1884-1885 : comment une conférence a redessiné l’Afrique et semé les graines des conflits actuels

Cet article explore les dynamiques et décisions clés de la Conférence de Berlin de 1884-1885, qui ont façonné la partition coloniale de l’Afrique. Il analyse les implications de la conférence sur les frontières actuelles et les conflits persistants, mettant en lumière les répercussions à long terme de ce sommet sur la géopolitique et le développement socio-économique du continent africain.

Le découpage de l’Afrique : retour sur la conférence de Berlin de 1884-1885 et ses répercussions historiques et contemporaines.

Otto von Bismarck-Schönhausen (Reichskanzler d’Allemagne, 1871 – 1890), après sa démission en 1890.

La Conférence de Berlin de 1884-1885, orchestrée par Otto von Bismarck, a marqué un tournant décisif dans l’histoire coloniale de l’Afrique. Convoquée pour réguler la colonisation et le commerce européens en Afrique durant l’ère du Nouvel Impérialisme, cette conférence a vu la participation de plusieurs puissances européennes, ainsi que des États-Unis, bien que ces derniers aient réservé leur droit de refuser ou d’accepter les conclusions de la conférence.

Le contexte de cette réunion internationale était celui d’une compétition intense entre les nations européennes pour les territoires africains, alimentée par la demande croissante de ressources naturelles et la quête de nouvelles zones d’influence. L’Afrique, avec ses vastes ressources inexploitées, représentait une opportunité majeure pour ces puissances désireuses d’élargir leur empire colonial. Avant la conférence, plusieurs états européens avaient déjà commencé à établir des protectorats et des colonies le long des côtes africaines, mais sans un cadre réglementaire clair, le risque de conflits inter-colonialistes était élevé.

La conférence de Berlin, telle qu’illustrée dans l’Illustrirte Zeitung

L’un des principaux objectifs de la Conférence de Berlin était donc de prévenir ces conflits en définissant les règles de l’occupation coloniale en Afrique. Cela a été formalisé par le principe de l’occupation effective, stipulant qu’une puissance ne pouvait revendiquer une partie de l’Afrique que si elle y exerçait une autorité tangible et y établissait une administration. Ce principe visait à éviter les revendications spéculatives et à assurer que la colonisation se traduise par un développement concret et une administration ordonnée.

La conférence a également cherché à réguler le commerce en déclarant le bassin du Congo et le fleuve Niger comme zones de libre-échange, où aucune nation ne pourrait imposer de taxes ou de tarifs exclusifs. Cela devait en théorie favoriser le commerce international et ouvrir ces régions à l’investissement économique de multiples pays.

Carte des explorations au Congo (au cours du 19e siècle)

En outre, l’un des résultats les plus notables de la conférence a été l’adoption d’une déclaration formelle contre la traite des esclaves. Les nations européennes, sous l’impulsion de mouvements humanitaires internes et de pressions diplomatiques, se sont engagées à mettre fin à la traite des esclaves pratiquée par les pouvoirs africains et islamiques, même si, en pratique, l’esclavage ne serait éradiqué dans ces régions qu’avec beaucoup de retard et d’incohérences.

Malgré ces intentions affichées, la Conférence de Berlin est souvent critiquée pour avoir essentiellement légitimé la division arbitraire de l’Afrique sans le consentement de ses habitants. Les frontières tracées lors de la conférence ne tenaient souvent pas compte des réalités ethniques, culturelles ou historiques des populations africaines, semant les graines de conflits futurs.

Caricature représentant Léopold II et d’autres puissances impériales à la conférence de Berlin

Par exemple, le célèbre « Partage de l’Afrique » a vu des nations comme la Belgique, la France, et le Royaume-Uni établir de vastes empires coloniaux sans égard significatif pour les structures politiques ou sociales existantes. Le Congo Free State, attribué au roi Léopold II de Belgique, est devenu tristement célèbre pour les atrocités commises sous son régime, où la rapacité économique a mené à des abus et des exploitations massives.

Le principe de l’occupation effective a lui-même été interprété de manière flexible et souvent ignoré dans la pratique, permettant à des puissances coloniales d’étendre leur contrôle bien au-delà des zones qu’elles administraient effectivement. Cela a mené à des annexions et à des occupations de territoires qui n’étaient souvent justifiées que par la présence symbolique d’une force militaire ou d’un drapeau, plutôt que par une administration réelle et bénéfique pour les populations locales.

En conclusion, bien que la Conférence de Berlin ait eu pour but de réguler la colonisation de l’Afrique par les puissances européennes et d’éviter des conflits entre elles, elle a ouvert la voie à une période de concurrence féroce entre les nations coloniales, souvent au détriment des populations autochtones. En traitant l’Afrique comme un simple tableau géopolitique à diviser, la conférence a non seulement ignoré la souveraineté et les désirs des peuples africains, mais a également posé les bases de nombreux conflits frontières et crises identitaires qui continuent d’affecter le continent.

L’effet de la Conférence de Berlin se ressent encore aujourd’hui. Les frontières tracées arbitrairement ont souvent divisé des groupes ethniques homogènes et fusionné des groupes disparates, créant des tensions intercommunautaires qui persistent. En dépit de la fin formelle du colonialisme, les héritages de ces divisions continuent d’impacter la politique et le développement économique en Afrique.

L’une des critiques majeures de la Conférence de Berlin est qu’elle traitait l’Afrique et ses ressources comme des objets à être partagés entre puissances européennes sans considérer l’impact de ces décisions sur les millions de personnes vivant sur le continent. Cela a été vu non seulement comme un acte d’exploitation, mais aussi comme une démonstration du mépris des puissances coloniales pour les droits et la dignité des peuples africains.

Cette conférence a également normalisé l’idée que les puissances européennes pouvaient, sans contestation significative, manipuler les politiques et économies africaines à leur avantage. Ce paternalisme a miné les structures de gouvernance traditionnelles et a imposé des systèmes administratifs qui correspondaient souvent mal aux réalités locales, entravant le développement autonome longtemps après l’indépendance des pays africains.

De plus, le principe de l’occupation effective mis en avant lors de la conférence a souvent conduit à une course aux territoires africains, où les puissances coloniales se hâtaient d’établir une présence minimale pour justifier leurs revendications, sans pour autant développer des infrastructures ou des services qui bénéficieraient aux populations locales. Cette précipitation a souvent conduit à des administrations coloniales inefficaces et corrompues qui n’ont pas réussi à promouvoir le bien-être ou le développement économique.

Sur le plan international, la Conférence de Berlin a également servi de modèle pour d’autres partages coloniaux, en Asie et dans le Pacifique, où les mêmes principes d’occupation effective et de concurrence entre puissances ont prévalu. Cela a contribué à l’émergence d’un système international où la domination et l’exploitation étaient souvent normalisées et justifiées par des nécessités géopolitiques ou économiques.

Cependant, il est important de reconnaître que la Conférence de Berlin, tout en étant un événement crucial, n’était pas le seul facteur derrière la colonisation de l’Afrique. De nombreux autres accords bilatéraux et conflits locaux ont également façonné le paysage politique africain de l’époque. De plus, la résistance africaine contre le colonialisme a pris de nombreuses formes, depuis les négociations diplomatiques et les accords légaux jusqu’à la guerre ouverte.

En résumé, la Conférence de Berlin a joué un rôle déterminant dans la structuration de l’Afrique coloniale, avec des effets de longue durée qui sont encore visibles dans les relations internationales et les conflits internes du continent. Elle symbolise une période où les intérêts européens prévalaient sans conteste, souvent au détriment des peuples et des nations africains. Les leçons de cette période sont cruciales pour comprendre non seulement l’histoire du colonialisme mais aussi les défis contemporains de l’Afrique dans un contexte globalisé.

Charlotte Dikamona
Charlotte Dikamona
Amoureuse de la culture noire

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