C’est l’histoire improbable de trois mères qui brandissent le rap face à une jeunesse qui part en freestyle…
Le péril est jeune, toujours, mais à l’ère des réseaux sociaux, c’est la viralité qui constitue la nouvelle menace contre la société. Dans cette version d’un fait divers monté en épingle, les “bébés rappeurs” ont engendré des mamans MC, prêtes à tout pour rattraper leurs fils, avant qu’ils ne glissent. Yo Mama est un conte qui traite du choc des générations, de tentations, d’espoir et de responsabilité. Un happy end sous forme de comédie familiale par Leïla Sy et Amadou Mariko, en salles le 5 juillet.
“La vie c’est show-business et le fric s’prend pour Dieu… »*
Trois femmes, trois mères, trois anonymes qui vont faire le buzz par nécessité. Si le destin de ces héroïnes est hors norme, leur combat lui, est universel, ardu et de tout instant. C’est à cette dévotion sans faille que le film a voulu rendre hommage avec cette fiction de réparation, qui aurait pu (pourquoi pas ?) être l’une des issues de cette affaire médiatique, symptomatique d’un naufrage collectif.
En 2017, la France découvrait effarée les images de pré ados manipulant des armes dans un quartier de Sarcelles, dans le Val d’Oise (95). Les médias les surnommèrent les « bébés rappeurs », comme pour souligner le paradoxe entre duvet naissant et canons sciés. Le procureur ouvrirait une enquête, qui révélerait que les armes étaient factices et que ces faits, présentés comme un reportage, étaient en réalité un clip. Un clip de rap pas comme les autres puisqu’alors, les citoyens prenaient conscience de l’impact de la violence généralisée sur les esprits naïfs.
De l’impact de cette violence banalisée sur la jeunesse : que valent l’école et sa promesse d’une possible sécurité sociale face à l’attrait de l’argent rapidement gagné ? Personne ne rétablirait la vérité et le mal était déjà fait. Et puisque les rôles modèles étaient insuffisants, on imputerait la faille aux lacunes des mères de cette progéniture turbulente. Qui sont-elles ? Où sont-elles ? Que font-elles ? A elles incombe le fardeau du ratage et Yo Mama, qui aborde pour la première fois la thématique du choc des générations par le prisme maternel, met en lumière leurs perspectives.
Outrage à maman…
La chanteuse Zaho (« C’est chelou », «La roue tourne », « Indélébile ») se dévoile dans ses premiers essais d’actrice plus que concluants, aux côtés de la chroniqueuse, auteure et comédienne Sophie-Marie Larrouy (« Lart de la guerre 2 », « On est chez nous », « 20 ans d’écart »et de l’humoriste Claudia Tagbo, qui crève l’écran dans ce rôle puissant, certainement son meilleur, révélant au passage un talent insoupçonné pour l’art de rapper.
Elles sont amies, unies face à l’adversité. Elles sont les mères de Ryan (Abdelmajid Guemri), Kevin (Yanis Salliot) et Souleymane (Diamadoua Sissoko) et font ensemble le constat amer de l’impuissance quant à ces garçons qui grandissent et tentent de s’affirmer dans le rejet de valeurs qui ne semblent pas faire le poids face à Tik Tok, Twitter ou Instagram.
Le film rend avec justesse le désarroi qui entoure la déchéance de ces figures d’autorité jusqu’alors absolues, corvéables à merci dont on avait oublié, il est vrai, de questionner le ressenti. On entre au cœur du douloureux processus d’introspection, où l’orgueil doit laisser place à l’action. Car, dans une époque où les enfants peuvent s’échapper sans quitter leur chambre, il faut savoir être créatif.
Processus au cours duquel, le choc culturel est aggravé par d’autres traumas sous-jacents: le choc culturel pour Fanta (Claudia Tagbo) et Samira (Zaho). Le célibat pour Amandine (Sophie-Marie Lamoury), qui la force à endosser seule la mission d’élever un futur homme. Faisant la place aux mères, le film questionne naturellement la part des pères; de ceux qui restent, parfois pour s’effacer et expérimentent ici les limites de ce rôle de pourvoyeur en retrait. De ceux qui désertent, aussi, les Papaoutai, et devront faire face à leurs manquements.
Il questionne ces schémas, où personne ne sait se demander d’aide et où les compagnes font souvent cavalier seul. Il interroge le fonctionnement des ménages comme terreau du re- ou du dé-groupement familial. Dans ce conte, les fils ne sont pas les seuls à devoir entamer leur parcours initiatiques. Et puisque les rappeurs sont les nouveaux évangiles, c’est par cette voix que les Yo Mama tenteront de rétablir le contact.
Ce long-métrage porte à l’écran le rap comme vecteur de la parole qui conscientise. La musique la plus écoutée en France portait en effet dans son essence, un message de transcendance, véhiculé jadis par le mouvement Hip-Hop. De la danse au graphisme, de la littérature au stylisme en passant par le cinéma et évidemment la musique, il a permis l’émergence d’une génération de talents et l’avènement de success story inédites, dont la réalisatrice Leïla Sy est un brillant échantillon.
Danseuse dirigée par Mia Frye (La Macarena), directrice de publication du magazine américain The Source en France, elle a réalisé des clips pour des références du milieu telles que Lino ou Kery James, avec lequel elle signe son premier long-métrage, Banlieusards (Netflix). A travers elle, ce même mouvement révèle aujourd’hui le jeune Amadou Mariko, qui co-réalise ce film.
Le duo rend au rap sa portée sociale et re-sacralise la légitimité de passer derrière le micro, évitant les écueils du cliché. En témoigne le personnage de Sadio (Olivia Kuy), qui coach les Yo Mama et dont tous les artifices s’évaporent dès qu’elle est en studio. Bien que, dans ce contexte: « le rap c’est pas un jeu, c’est un game » dixit Jean-Pascal Zadi (« Tout simplement noir », « Complètement craignos », « En place ») qui incarne Dozingo, le producteur opportuniste (à droite sur la photo), les streams n’auront pas raison de la détermination de nos protagonistes.
Regarde-moi… *
Yo mama ouvre un débat sociétal important, à travers ces récits de vies banales, extraordinairement remplies. Un point de vue sans prétention, qui n’est toutefois pas dénué d’ambition ! Certes en pleine tourmente, cette squad de mamans mène le combat sur plusieurs fronts, notamment sur le terrain économique, avec Fanta et Samira en entrepreneures. Le casting nous fait passer avec pudeur par une large palette d’émotions qui invitent à la réflexion. Sur quelle note cette folle histoire de daronnes qui kickent va-t-elle finalement se terminer ? La réponse en salles le 5 juillet !
Au cas où t’aurais pas la réf :
« Regarde le monde », Arsenik , Quelque chose a survécu… (2002)
« Hip-Hop », Wallen, Total Rnb (2001)
« Papaoutai », Stromae, Racine carrée (2013)
« Laisse pas traîner ton fils », NTM, 1998