Saviez-vous qu’il existe des centaines de groupes sanguins répertoriés dans le monde ? Si les traditionnels rhésus A, B et O positifs ou négatifs sont connus de tous, ils ne représentent qu’une petite partie de la diversité de ces groupes. Au total, il en existe 380, dont 250 sont considérés comme des sangs rares. Un sang devient rare lorsqu’il a une fréquence inférieure à un certain seuil dans la population générale. En France, cette fréquence est de 4 pour 1000, ce qui équivaut à 700 000 individus concernés. Trouver des donneurs de sang compatibles avec les malades pour leur offrir la transfusion la plus adaptée est donc primordial. L’incompatibilité sanguine pouvant entraîner la mort.
Selon l’Etablissement Français du Sang, les populations d’origine africaines et antillaises possèdent plus de groupes sanguins rares que n’importe quelle autre population. Pour Jacques Chiaroni, directeur de l’EFS PACA Corse et spécialiste des groupes sanguins depuis plus de 20 ans, “il faut comprendre quels sont les déterminants culturels en don de sang qu’il faut prendre en compte pour pouvoir organiser des collectes”. Depuis maintenant deux ans, l’EFS dédie une filière consacrée à ces sangs rares, mais il effectue également des campagnes de sensibilisation pour créer un équilibre entre le nombre de donneurs et les besoins des malades.
Comment découvrir que l’on est porteur d’un sang rare ?
Cela se passe à deux niveaux. En premier lieu, on peut découvrir un sang rare chez un patient que l’on va transfuser ou chez un donneur. En effectuant les analyses, nous allons alors tomber sur quelque chose de compliqué. Par la suite, l’ADN va nous permettre de faire un diagnostic. Une fois le sang rare détecté, nous allons en informer le patient et tenter de le convertir en donneur. Il sera donc répertorié et recevra une carte spéciale de l’Etablissement Français du Sang.
Nous allons également lui demander s’il a des frères et sœurs, car ils auront une chance sur quatre de posséder le même groupe sanguin. En France, plus d’un million de personnes portent un sang rare, notamment les personnes d’origine africaine ou caribéenne.
Dans une vidéo postée par l’Etablissement français du sang vous affirmez qu’il y a plus de groupes sanguins rares et spécifiques en Afrique que dans n’importe quelle population, comment expliquez-vous cela ?
Premièrement, cette problématique des sangs rares touche toutes les populations. Il ne faut pas stigmatiser. Par exemple, je suis rhésus négatif. Si je décide d’aller vivre en Chine, je suis intranfusable car cette caractéristique sanguine n’existe pas là-bas. Lorsque des populations sont en mouvement, cela crée des caractéristiques sanguines. Et, il y a beaucoup plus de groupes sanguins spécifiques en Afrique qu’ailleurs pour deux raisons.
Tout d’abord, ces groupes sanguins sont liés à des mutations génétiques qui s’accumulent au fil du temps. Et plus une population est ancienne, plus elle accumule de diversité génétique. Aujourd’hui, grâce à suffisamment de preuves scientifiques, nous savons que l’origine de l’homme moderne est africain. Il y a environ 70 000 ans, une petite partie de cette population est sortie pour peupler le reste de la planète.
De par son ancienneté, la population africaine a donc une diversité de groupes sanguins plus importante que n’importe quelle autre population. Le deuxième élément qui fait en sorte que les afrodescendants soient plus exposés aux sangs rares sont les pathologies de l’hémoglobine, notamment la drépanocytose, première maladie génétique en France.
Ce n’est pas forcément spécifique à l’Afrique car on retrouve aussi la maladie en Inde par exemple. Cependant, la fréquence de cette pathologie, qui se traite en grande partie par des transfusions, est particulièrement importante chez les populations africaines. De ce fait, il va donc falloir trouver une plus grande diversité génétique et faire appel à des donneurs d’ancestralité africaine.
Dans 99,99 % des cas, il n’y a aucun problème pour transfuser les européens, les africains, les asiatiques etc.. Il s’agit d’une situation rare comme son nom l’indique, qui doit faire appel à des transfusions intra populationnelles. Malheureusement pour les patients concernés, cette situation peut représenter un danger car il faut trouver un sang compatible et pour cela, il faut des donneurs.
Existe-t-il des partenariats ou des coopérations avec des laboratoires africains concernant les sangs rares ?
Cela se fait essentiellement au niveau de la recherche et des coopérations techniques. L’EFS s’engage énormément au niveau de l’Afrique francophone pour pouvoir aider localement à former les personnels des centres de transfusion et discuter de la problématique sangs rares. Nous effectuons des recherches en biologie pour pouvoir détecter ces groupes sanguins. Nous avons également recours aux sciences humaines et sociales pour comprendre quels sont les déterminants culturels en don de sang qu’il faut prendre en compte pour pouvoir organiser des collectes.
Comment sensibiliser à cette problématique des sangs rares et informer les populations ?
Pour sensibiliser, donc trouver des donneurs, on s’adresse à l’ensemble de la population. Nous précisions que le don du sang est un acte citoyen. Avec sa carte de donneur de sang de l’EFS, on contribue à un acte solidaire qui peut sauver des vies car il y a une universalisation de l’usage de ce don. En France, on utilise 3 millions de poches de sang par an.
Les sciences humaines et sociales ont une place cruciale dans ce processus. Nous utilisons des relais afin de mieux sensibiliser. Par exemple, à Marseille, nous collaborons beaucoup avec la population comorienne. Nous avons formé plusieurs coiffeuses comoriennes pour qu’elles puissent, dans un climat de confiance, informer leurs clients de cette problématique du don du sang et des sangs rares. Ce schéma de sensibilisation commence donc par toutes les informations relatives au dons du sang, ensuite les sangs rares et en dernier lieu, parler de la drépanocytose.