À Abidjan, de jeunes skateurs sortent leur planche et s’adonnent à leur passion quand la pluie ne s’invite pas à la dernière minute.
Petits poteaux, terrain vague herbeux ou sableux, mais aussi bitume qui scarifie jambes et/ou genoux, quand certains s’y prêtent un peu trop au « Je », défends sur lui, Abidjan pue/respire/schlingue le football. Et cette odeur prend beaucoup moins à la gorge qu’une décharge à ciel ouvert.
Beaucoup de ces footballeurs amateurs, de gestes techniques et de discussions futiles, « Qui a plus l’argent entre Eto’o et Drogba ? » , se rêvent en futurs Yaya Touré, Sadio Mané, mais aussi Nicolas Pépé, sans parler de ces « deux meilleurs joueurs de tous les temps », qui n’ont pourtant jamais soulevé de Coupe du Monde. Mais, certains semblent à part, couper du monde avec la pratique d’un sport assez peu populaire : le skateboard.
Rencontre avec ces jeunes du Collectif Skate Côte d’Ivoire, qui planchent sur leur passion.
TOUT LE MONDE À BOARD DU SKATE !
Entre rendez-vous ratés pour cause de pluie ou rencontres annulées pour d’autres raisons, le reportage sur ces jeunes skateurs a failli ne jamais voir le jour. Et puis finalement, il a lieu.
Ce samedi 26 mars 2022, ils sont une poignée à naviguer entre eux, au milieu des quelques voitures qui passent devant l’entrée principale de la nouvelle galerie commerciale : Ivoire Trade Center.
SKATE POUR TOUS
Officiellement inauguré le 30 septembre 2021, ce nouveau bâtiment, qui aurait coûté 31 milliards de francs CFA, abrite entre autres : un restaurant café aux mets typiquement locaux, une supérette aux produits qui coûtent un bras et aussi un restaurant à la mode où l’entrecôte/frites coûte juste un peu moins de 30 000 francs CFA. True story.
C’est dans ce Cocody-là, en face du Sofitel Hotel Ivoire, et sa salle de cinéma où faute de climatisation des cinéphiles souffrent le martyr, en plus de se taper parfois des navets comme The Batman, que des jeunes gens sont. Ces irréductibles aux flow effortless ont bravé la pluie qui risque de faire son retour d’un moment à l’autre.
« J’ai commencé en novembre 2021. » raconte Andréa.
Cheveux courts et blonds à la MHD ou Douk Saga, c’est selon, l’étudiante en cinéma n’est présente sur la Terre que depuis…19 ans. Et aussi loin qu’elle s’en souvienne : « Elle a toujours voulu faire du skate. » avant de préciser : « Depuis que je suis enfant. »
En Côte d’Ivoire, au moment de pratiquer un sport, le choix se porte naturellement sur : le football. Encore plus depuis qu’un certain Didier, battu aux dernières élections de la FIF, a porté haut l’orange – blanc – vert dans le ciel gris londonien. Rares sont donc ceux et surtout celles qui optent pour un choix divers.
« C’est pas un sport qu’on introduit aux filles ! » reconnaît volontiers la jeune femme aux traits fins et à l’enthousiasme débordant.
« Ils m’avaient repérée. », au moment d’expliquer son arrivée au sein du groupe : Collectif Skate Côte d’Ivoire. Le groupe a peut-être vu le jour il y a peu mais il a pour modus operandi de traquer de jeunes pépites, tel le futur club de Kylian Mbappé : le Real Madrid.
L’échange terminé, Andréa, flottant presque dans sa salopette bleue, repart comme elle est venue : sur sa planche.
N’eût été la vigilance d’un membre du collectif, la blonde noire, casque enfoncé sur les oreilles, se serait faite cogner par un gros 4X4. Les risques du métier.
ABIDJAN SOUS LE FLOW DES SKATEURS
« Pas peur ! » assure le deuxième qui joue le « Je ».
Du haut de ses 21 ans, Chris, lui aussi étudiant, mais plutôt en biochimie, a commencé doucement avant de passer à l’étape supérieure. « Ça travaille le corps. » au sujet des bienfaits de ce sport. Les « tricks », les figures, notamment.
Si le « skateboard fait travailler le corps », il façonne aussi la confiance en soi et surtout le style. « C’est stylé ! Ça flex ! » enchaîne le vingtenaire sur ce qui lui plaît particulièrement dans cette discipline sportive
MELTING POTES
Ces skateurs qui sont autour/devant/derrière toi, t’encerclant amicalement, guettant tes interactions d’un coup de l’œil, tandis que l’autre analyse les environs, ont tous le même flow : baskets, tenues oversize, dans lesquelles tu peux glisser toutes les remarques que ces deux gardiens, observateurs ébènes, ont faites depuis le début du reportage.
Comme toi, ils se demandent probablement : « Qu’est-ce qui leur plaît autant ? »
« Faire de nouvelles rencontres. » répond le décontracté Chris.
Le jeune homme aux tee-shirt manches longues et aux chaussures destroy apprécie le fait que ce soit un melting-potes avec des personnes de « plusieurs origines, plusieurs langues » : « Noirs, blancs, métisses, etc. »
Ici, personne n’en veut à leur peau. Hormis le sol froid et mouillé qui attend de la leur faire : la peau.
STYLE TE PLAÎT
Le troisième qui se pointe devant ton stylo et ton carnet n’a absolument pas froid : ni aux yeux, ni même son corps.
Son débardeur blanc assorti à ces Stan Smith blanches est une preuve ostentatoire du réchauffement climatique.
Son corps frêle porte encore les traces d’une adolescence qu’il vient à peine de quitter. Hier, probablement.
« 19 ans ! », donnant son âge.
Ben Aziz Konaté dit « Ryson » a commencé le skateboard depuis…trois petits mois seulement.
« Avant je jouais au basket et c’est un ami qui m’a introduit. » explique l’adulte imberbe.
« C’est une famille. On fait de nouvelles connaissances. », à propos du Collectif Skate Côte d’Ivoire. Du basket et son trashtalking ? Des progrès qu’il a rapidement réalisés ? Difficile à dire d’où vient cette confiance qui transsude de son corps provient exactement mais lui l’étale puis étale son goût pour le « style » ; partie intégrante de la philosophie autour du skate.
Dire qu’il y a un engouement autour du skateboard serait un boniment. Il n’y a qu’à remonter le fil de la conversation entre Cédric Sia, l’un des 4 fondateurs du groupe, et toi pour comprendre que de skate-park, par exemple, ils n’en ont pas.
« On sera au Plateau. » annonce-t-il un jour avant d’écrire, toujours poliment, un autre jour cette fois-ci : « On sera du côté de Green Buro à Cocody Saint-Jean. »
Et pendant ce temps-là, dans un pays voisin, le Freedom Skate Park a vu le jour à Accra en décembre 2021.
LA PEUR NE LEUR ARRIVE PAS À LA CHEVILLE
La menace d’une pluie diluvienne et imminente brandie par Mère Nature plane au-dessus de ces têtes, telle une Maman qui met au défi sa progéniture. Basilia, elle, a sauté le pas.
« J’en avais envie depuis toute petite. », rapporte-t-elle à son tour.
Tresses, sacoche en bandoulière et pantalon cargo, la vingtenaire, étudiante en droit, a le flow d’une skateuses. No doubt ! Et développe ses idées autour du flow.
« Le flow [du skate, NDLR], le flow de la discipline. », peignant son amour pour cet amusement diurne.
DES MOIS QUI FONT DATE
« Je peux pas vivre sans le skate. Je ne peux pas me passer de mes amis, qui sont dans le collectif. », elle qui a démarré en 2021.
À ce stade-là, tu es obligé de lui demander : « Pourquoi vous vous rappelez vous tous de la date de vos débuts ? »
Simple, claire et limpide, son explication tient en deux mots : précision et progression.
Connaître la date précise de ses débuts permet de réaliser la somme de ses progrès. CQFD.
Ces mois qui font date, Frank Kouakou, lui aussi, étudiant et développeur d’applications, s’en rappelle.
« Février 2021. » donnant la sienne.
Tee-shirt et jean All Black Everything, chaussures qui Converse avec ses pieds, le vingtenaire a d’abord commencé par les rollers avant d’arriver au skateboard. Des « tutos », le plus souvent mis en ligne sur YouTube, lui ont permis de réussir sa transition.
« Un jour, je me suis dit que je peux essayer. Et je suis tombé direct au sol. Mais je n’ai pas eu peur de me blesser. », filant sans s’en rendre compte une frousse pour qui a déjà eu une fracture au pied.
Ni la peur de se faire mal, voire très mal, ni celle de l’échec, ne semblent pouvoir atteindre ses amis et lui.
Tout juste des « Voiture ! Voiture ! » pour sauver l’une d’entre elles avant quelques réprimandes plongées dans de l’amour.
PAR AMOUR DU SKATEBOARD
Autour de l’Ivoire Trade Center, les va-et-vient sont moins fréquents qu’une fin de mois où à peine les salaires tombés beaucoup sont déjà en train de les dilapider. Leur absence offre ainsi tout le loisir à des chauffeurs de VTC, apparemment peu rompus à l’utilisation du GPS, de se tromper encore et encore, refaire la manœuvre un millier de fois, en espérant que sa détresse alerte le client ou la cliente. C’est dans l’un d’entre eux qu’arrive Cédric Sia.
Digital marketer dans une entreprise de la place, le garçon de 25 ans au visage poupard, l’un des 4 fondateurs du collectif, salue les siens avant de venir à son tour se prêter au jeu des questions/réponses.
« En août 2021, j’ai acheté ma planche et en septembre, j’ai commencé. » retrace-t-il sobrement.
Cédric a commencé en même temps qu’Abdul Ouattara, cet étudiant en expertise-comptable de 22 ans qui a lui aussi « acheté sa planche, seul, avant de les croiser [le Collectif Skate Côte d’Ivoire, NDLR] ».
Si Abdoul a regardé des « vidéos en boucle » avant cette acquisition, Cédric, lui, a toujours été « passionné par les sports de glisse. »
Qui sont généralement : le BMX, la planche à voile mais aussi le roller, le surf, etc. Le fait de slide dans les DM de son crush étant lui le dernier sport de glisse apparu au 21ème siècle.
« J’aime la liberté, le fait que ton esprit soit libre. » avant d’ajouter : « Y a aussi la satisfaction de réussir des figures. »
Des figures, des heelflip, c’est-à-dire se débarrasser de sa planche qui tournoie dans l’air avant de remettre les pieds dessus, ou encore des ollie, figure inventée par Alan « Ollie » Gelfand en 1976 et qui consiste à sauter en l’air avec la planche collée au pied, ces jeunes skateurs les ont déjà réussies à force de plancher sur leur passion.