Face à la précarité menstruelle qui touche de nombreuses femmes, de jeunes ivoiriens lancent une cagnotte pour changer les règles.
Ignorance s’effaçant à mesure que le temps avance et que des mots se posent sur des maux, notamment gynécologiques. Plusieurs troubles, longtemps mal diagnostiqués et par conséquent mal traités, portent aujourd’hui un nom.
Hier, c’était l’endométriose avec ces douleurs pelviennes chroniques. Aujourd’hui, c’est la précarité menstruelle.
Il s’agit de : l’impossibilité de pouvoir se procurer des serviettes périodiques, mais encore l’accès à des endroits sécurisés et propres pour se changer et l’absentéisme à l’école.
En Afrique en général, ce mal pernicieux et silencieux ronge des femmes désargentées. Afin de lutter contre cela, de jeunes ivoiriens ont lancé une collecte de fonds afin de récolter 5 000 euros pour : le Précarité Menstruelle Tour, ou PMT. Il servira à financer la construction et la rénovation de toilettes, mais aussi la tenue d’un atelier de sensibilisation à la précarité menstruelle, etc.
Rencontre avec l’une de ces activistes sociales : Tina Nicole Youan.
LA PRÉCARITÉ MENSTRUELLE, C’EST QUOI ?
Au pays du coupé-décalé, des jeunes gens qui veulent être roi sur TikTok et dans la vraie vie, il y a de nombreux sujets tabous.
Le premier étant probablement, attention joue-la comme Mizaru, Kikazaru, Iwazaru, soient les trois singes de la sagesse, avant de lire ce qui va suivre : « Qui a gagné les élections de 2010 ? »
Juste à côté du champ politique, où il n’est pas rare que certains taillent une Haye d’honneur à un ancien président, autrefois exilé, se trouve la sexualité. Ou plutôt l’éducation sexuelle.
ATTENTION : SUJET TABOU !
Si des garçons n’en reçoivent généralement aucune, faisant leur propre apprentissage, en épousant la veuve poignet de temps en temps, des filles, elles, sont beaucoup plus sensibilisées à la question. L’inégalité des sexes commence dès le bas âge. Et plus elles grandissent, plus il y a de chances qu’elles entendent la phrase suivante : « Les règles, c’est sale ! »
La méconnaissance de leur rendez-vous mensuel dans une société machiste et virile, où la place de la femme serait à la cuisine et non à la Quizzine, a rendu le sujet tabou. Et pourtant, c’est le cours normal des choses.
Une femme aurait en moyenne[1] : 500 fois ses menstrues dans une vie et utiliserait 10 000 protections. Mais entre les produits cancérigènes qui s’y trouvent (le glyphosate, par exemple), l’inconfort de certaines protections (serviettes hygiéniques plutôt que tampons par exemple) mais aussi la cherté des produits, ou pis encore l’accès à l’eau potable, pour faire sa toilette intime si besoin est, c’est tout sauf un long fleuve tranquille.
LE PRIX DE LA SANTÉ
L’Afrique subsaharienne, où une fille raterait 20% de l’école à cause de ses règles, en général et la Côte d’Ivoire en particulier sont touchées par cette précarité menstruelle. Le prix étant souvent le premier et principal obstacle. Une rapide recherche sur une célèbre application de commandes permet de constater que les prix varient du simple au double : de 425 francs CFA pour des serviettes périodiques Lilas maxi normal pliées 20 x 10 à 2 000 francs CFA pour des tampons applicateurs Super U x 20, en passant par 1210 francs CFA pour des protège-slip minces U x 30. Le santé, ça a un prix ! Alors certaines entreprises telles que Kmerpad commercialise des serviettes hygiéniques lavables et réutilisables : 6 000 francs CFA le kit de trois ; 7 500 francs CFA le kit de cinq. D’autres associations encore comme l’ONG SMED-CI en fournissent à des détenues de la trop célèbre prison ivoirienne : Maison d’Arrêt et de correction d’Abidjan, la MACA en version plus courte et effrayante. Et puis au milieu d’eux, il y a donc Tina Nicole Youan dont le parcours personnel l’a poussé à s’engager sur la question.
UNE HISTOIRE BASÉE SUR DES FAITS RÉELS
C’est à Lyon, dont l’équipe de football, où Kader « Popito » Keïta a joué, ne fait plus rugir de plaisir ses supporters, que vit la trentenaire engagée contre la précarité menstruelle.
« Je l’ai vécue moi-même. » ouvrant la douloureuse page de son histoire avec l’endométriose dont elle souffre. « 30% des femmes en France sont touchées. », complète celle avec qui tu échanges via Telegram.
En ce dimanche après-midi[2], des retardataires, ayant dansé toute la soirée, se trouvent fort dépourvus quand la lundiose[3]se pointe, mails et dossiers en mains.
Les siennes, Tina les utilise souvent pour pianoter et en parler sans relâche sur Twitter. « Je veux briser le tabou autour des règles ! », argumente-t-elle. Et des arguments, la jeune femme gouro[4] a eu le temps de les aiguiser depuis l’année 2019 où elle commence à « faire des recherches ».
« Je souffre du syndrome des ovaires polykystiques.», te renvoyant à ton meilleur ami Google. Pour faire simple, ce mal dont elle souffre se caractérise notamment par des règles irrégulières.
« C’est pas sale mais salissant ! »avance sereinement à propos des règles, celle qui a eu sa première crise d’endométriose en 2019.
Fort de toutes ses mauvaises expériences, Tina, sa maman, qui « est sa plus grande fierté parce qu’elle en parle mieux qu’elle-même », et d’autres bénévoles la jouent Naza et partent sac au dos à l’intérieur du pays. Direction le centre-ouest et la ville de Gohitafla, située à 400 kilomètres environ d’Abidjan, pour la première édition du Précarité Menstruelle Tour en 2021.
CHANGER LES RÈGLES DU JEU
Dans certains villages, certaines habitudes paternalistes ont la peau dure. Et, lorsque son groupe et elle arrivent sur terrain, l’accueil est loin de ce qu’elle avait imaginé.
Suite au premier refus de la mairie, par rapport à l’organisation de l’événement pour sensibiliser les femmes à la question de la précarité menstruelle, son oncle part en éclaireur puis revient : les nouvelles sont bonnes. Très bonnes : l’événement aura bel et bien lieu dans la salle municipale. Et puis tout à coup soudain brusquement : la donne change. Nouveau refus. Et pour cause : un arrêté municipal annonce la tenue d’un événement beaucoup mais alors beaucoup plus important : Variétoscope ; émission célèbre où de jeunes adultes, dans des tenues éclatantes, récitent par cœur les pas de danse du moment qu’ils ont appris. Y a pas photo dans un pays où amusement est plus important qu’enseignement.
Qu’à cela ne tienne, Tina et les siens changent de stratégie.
« Finalement, on a décidé devant la maison de mon grand-père, qu’on a rebaptisée à son nom à cause de cette action. »
Le bruit court alors qu’il se passe quelque chose.
Celles, qui étaient au marché, ont laissé leur panier.
Celles, qui étaient en train de piler, ont déposé le pilon.
Résultat : 200 femmes viennent s’informer et surtout poser des questions à l’abri des regards indiscrets sur des sujets intimes et trop personnels pour être exposé au grand jour, sur la place publique. « Y a une femme qui est venue me voir pour me dire que ça faisait deux ans qu’elle n’avait pas de règles. », selon ses propos.
ALLÔ MAMAN, BÔBÔ !
Et quand ce n’est pas à ses oreilles qu’elle se confie, ce sont à celles de sa maman. « Quand c’est comme ça, ma mère essaye de gérer d’abord, avant de m’appeler. »
À Abidjan, une caisse est mise à disposition pour pouvoir subvenir aux besoins de ces femmes démunies. Mais quand l’aide matérielle de la Ligue, l’association féminine qui était notamment monté au créneau au moment du simulacre du viol diffusé à la télévision ivoirienne, ne suffit pas, Tina et son époux mettent la main à la poche et pas qu’un peu !
« On a utilisé une partie de la dot pour faire le Précarité Menstruelle Tour ! » sourire aux lèvres avec ces yeux qu’on devine tournés, à ce very moment, vers son époux, qui n’a probablement rien manqué depuis l’échange. Avant d’ajouter, de tout tuer même : « On a une enveloppe prévue pour ça dans le budget. » Comme disait l’autre : « Quand on t’envoie, faut savoir t’envoyer. »
N’eut été ses problèmes personnels dont elle parle à cœur ouvert, la jeune femme « perfectionniste » et droite dans son droit constitutionnel n’aurait peut-être pas lancé avec la dernière énergie cette campagne qui a rapporté un peu plus de 1200 euros à 10 jours et quelques de la date butoir : le 22 avril prochain.
« Après cette campagne, y a des gens que j’ai tellement saoulés qui ne me parleront plus.» prophétise-t-elle.
Mais qu’importe puisque le mal aura déjà été fait : ils seront ce que c’est la précarité menstruelle et surtout qu’un geste peut aider.
POUR PLUS D’INFORMATIONS
Site internet pour la cagnotte : https://fr.ulule.com/precaritemenstruelletour-campagne-2022/
Instagram : https://www.instagram.com/precaritemenstruelletour/
Pour faire un dépôt (Wave) : +225 07 87 873 001
1] Les informations proviennent de l’émission « Les Femmes d’Ici du 15 décembre 2020 » et le sujet : « Précarité menstruelle : ces règles qui discriminent » ; disponible sur YouTube.
[2] L’entretien a été réalisé le 10 avril 2022.
[3] Haine viscérale du lundi matin.
[4] Ethnie du centre-ouest de la Côte d’Ivoire.