Le concept de souverainisme, dans son sens étymologique originel, met l’accent sur l’affirmation du pouvoir et de l’indépendance dans une clé nationale, alors que le panafricanisme aspire au dépassement du »national » pour atteindre comme objectif la construction d’un grand espace africain fédéral . Beaucoup pourraient donc se demander si les concepts de panafricanisme et de souverainisme seraient conciliables entre eux si l’on s’en tenait à leur sens étymologique. Ce point d’interrogation trouve sa réponse lorsque l’on tente d’analyser les étymologies et de remonter au status quo africain avant la création des Etats-Nations que l’on connait aujourd’hui.
LE PANAFRICANISME COMME VOIE SOTÉRIOLOGIQUE
Le panafricanisme a joué un rôle prépondérant dans la lutte pour les indépendances en Afrique. Il représente une idéologie sotériologique (c’est-à-dire de salut) puisque son but est de conduire la population africaine et afro-descendante vers une phase eschatologique face aux maux qu’elle connaît, prêcher la solidarité entre l’Afrique et sa diaspora, et la structuration d’un grand bloc monolithique fédéralisé africain qui sera souverain et libéré de toute paralysie socio-politico-économique endogène et de toute asphyxie impérialiste exogène. Toutes les civilisations qui pèsent sur l’échiquier géopolitique sont celles qui ont compris que souverainisme et unitarisme vont de pair et pour emprunter une voie sotériologique il convient de s’unir au nom d’un destin commun.
En Europe de l’Est, par exemple, un concept unitaire est répandu qui est l’eurasianisme, dont s’est inspirée l’Union économique éurasiatique, ainsi que le bolivarisme pour l’Amérique latine. On pourrait aussi prendre en exemple la Chine qui est une addition de plusieurs provinces ou les Etats-Unis d’Amérique qui, au-delà de toute critique possible, ont décidé de se fédéraliser et d’entreprendre ce qu’ils croyaient être leur destin commun. Lorsqu’on regarde la Chine ou les États-Unis d’Amérique, ils sont bien consolidés et unifiés en parlant au nom d’une seule souveraineté. Le souverainisme et le fédéralisme ne sont pas nécessairement opposés.
Pouquoi? Car dans sa définition, le souverainisme est la doctrine qui au nom de l’Etat-Nation exerce sa propre primauté territoriale, aérienne, juridique, politique et économique et se veut comme une indépendance intégrale supérieure à toute contrainte exterieure. Mais dans le cas africain, surtout dans une grille de lecture panafricaniste, se limiter au concept d’État-Nation signifierait ne pas prendre en considération la balkanisation du continent appliquée lors de la conférence de Berlin en 1884-1885, qui a démembré le status quo si loin de la configuration géopolitico-territoriale imaginée et constituée par les Africains.
L’Afrique est un continent hétérogène, polycentrique, bien qu’uni par une matrice civilisationelle commune, comme l’explique le Dr Cheikh Anta Diop dans ses nombreux ouvrages, en particulier dans ‘‘Nations Nègres et culture ».
Cependant, ce »pluri-culturalisme » continental n’a pas empêché dans le temps la prolifération de pôles impériaux en Afrique, où les peuples alliés s’engageaient sur une voie commune et étaient soumis aux mêmes principes de souveraineté. Le concept unitaire a toujours fait partie intégrante de l’Afrique. Le panafricanisme, donc, qui n’est pas opposé au souverainisme dans son acception anticolonialiste, veut dessiner une voie historico-culturel unitaire sur une vision, qui est celle de l’Etat fédéral africain.
Le panafricanisme ne peut représenter qu’un salut et un espoir, puisqu’il permettrait à l’Afrique de peser géopolitiquement, de dialoguer de manière souveraine et équitable avec les autres puissances.
LA SOUVERAINETÉ CONTINENTALE AFRICAINE DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE
Dans cette ère du multipolarisme, où les differents pôles émergent de plus en plus, l’Afrique n’a d’autre choix que de transcender la vision micro-nationaliste pour se structurer en bloc monolithique. Un bloc de plusieurs populations unies par une matrice historique, promouvant la libre circulation continentale, avec un gouvernement parlant d’une seule voie, une économie commune, une monnaie commune, une banque centrale commune, un fond monétaire africain et une force militaire commune, comme souhaité par les pères fondateur du courant panafricaniste.
Si le souverainisme est l’affirmation de son pouvoir indépendant, sous tous ses formes, il ne saurait y avoir d’inconciliabilité avec le projet fédéral panafricain qui permettra d’établir un nouvel ordre, une nouvelle configuration établie par les Africains eux-mêmes.