Il n’y que DJ Kerozen qui puisse s’asseoir à la même table que le néo champion d’Afrique, Edouard Mendy, et dire qu’il a galéré plus que lui.
Contrairement à son adversaire du soir, l’Égyptien Mohamed « Gabaski » Gabal, accusé de « sorcellerie » par de naïfs internautes découvrant que les tirs au but se préparent méticuleusement, au point d’écrire les préférences des tireurs sur une bouteille d’eau, recouverte ensuite d’une serviette blanche, Edouard Mendy, lui, n’inspire pas la crainte. Non, le talentueux gardien sénégalais, pourtant « premier africain à être désigné meilleur gardien de l’année », par la FIFA, dégage une étonnante et apaisante sérénité. Celle-ci est si facile à méprendre pour de la faiblesse qu’il est malheureusement sous-estimé. Et, c’est quelque chose qui n’est pas nouveau dans la carrière serpentueuse du néo-champion d’Afrique, notamment passé par une période de chômage avant de décrocher quelques années plus tard une Champions League avec Chelsea où il a mis sur le banc Kepa, « le gardien le plus cher du monde ». Portrait de Mendy, Edouard aux mains d’argent.
EDOUARD MENDY OU LE HAVRE DE PAIX
Dans les locaux de Netflix, situés en Californie, où des brainstormings sur la vie mouvementée de célèbres sportifs deviennent finalement de fausses bonnes idées, comme ce documentaire sur « Neymar Jr : le chaos parfait », ils sont probablement en train de s’agiter, de se dire qu’il faut absolument retracer la vie inspirante d’Edouard Mendy qui a commencé, dans le nord de la France il y aura bientôt 30 ans, dans une famille d’une demi-dizaine d’enfants selon nos informations.
C’est à Montivilliers que le futur gardien des Lions de la Téranga, auxquels le président Macky Sall aurait offert une prime de 50 millions de francs CFA et deux terrains, après le sacre continental, voit le jour. Pour la petite histoire, il est le fruit d’une union entre un père bissau-guinéen, défunt, et une mère sénégalaise.
VIENS, VIENS À L’ÉCOLE DES CHAMPIONS
Comme la plupart des petits montivillions, « Edou » tape dans le ballon et c’est à l’âge de 13 ans que ses parents l’inscrivent dans le centre de formation du Havre ; sorte d’École des champions où sont passés pêle-mêle : les Marseillais Dimitri Payet et Steve Mandanda, le Mancunien Paul Pogba, etc.
Mais voilà, le pré-adolescent n’a d’yeux que pour le poste le plus médiatisé, le plus clinquant : celui d’attaquant. Sauf qu’un de ses entraîneurs de l’époque décide, lui, de l’envoyer dans les buts au plus grand désespoir du gamin.
« Je commence sur le terrain mais je vois très vite que sur le terrain, ça ne va pas être forcément possible. Et j’ai un entraîneur qui me met dans les buts, raconte-t-il devant la caméra de Brut. À cette époque, non ça me faisait pas rêver du tout, moi j’avais envie de courir, marquer des buts, célébrer avec mes potes. » Qui pourrait vraiment lui en vouloir de détester un poste où dans des parties dominicales, sur le terrain goudronné ou vert, c’est le moins doué techniquement qui file droit au but ? Personne.
Mais, personne ne se douterait non plus que Mendy s’y plairait au point de devenir l’un des meilleurs gardiens actuels, surtout après tous ces gestes-barrière que la Vie a utilisées pour le stopper dans son élan.
Le premier stop dans sa carrière, il se le mange quand Le Havre décide de choisir comme gardien titulaire Zacharie Boucher plutôt que lui.
« Ce sont des choses qui brisent le cœur. Ça t’énerve. Tu es frustré. Tu te dis que c’est comme ça, mais moi, je n’accepte pas. […] » expliquera-t-il à Outsider France quelques années plus tard.
Pour pouvoir aller plus haut, le futur goalkeeper de Chelsea, qu’il a rejoint en septembre 2020, descend dans les divisions inférieures : d’abord le CSP Municipaux du Havre (2006 – 2011) puis l’AS Cherbourg.
LES REIMS SOLIDES
C’est dans cette ville normande que le deuxième coup d’arrêt, quasiment fatal, celui-là, intervient.
Après y avoir grandi loin sur le plan professionnel et surtout humain, loin du cocon familial, le calme portier agile se retrouve libre de tout contrat le 1er juillet 2014. Dans les faits, il peut s’engager où il veut mais finalement c’est la galère qui s’offre ses services.
VOTRE CORRESPONDANT NE PEUT ÊTRE JOINT
Faute de bonnes nouvelles de son agent, qu’il ne réussira jamais à joindre, le « sans club » se tourne alors vers la machine à broyer corps et âme : Pôle Emploi.
« En 2014, c’est la fin de ma troisième année à Cherbourg, toujours face à la caméra Brut. Quand je me retrouve sans club, c’en en discutant avec mes proches, c’est ma mère qui me dit d’aller faire un dossier à Pôle Emploi pour percevoir mon allocation chômage. C’est la désillusion ! On se dit que c’est un rêve qui s’effondre, un objectif qui sera inatteignable parce qu’on part de trop loin. On se dit que, bah, c’est peut-être pas fait pour nous. »
Imagine un instant la scène : Mendy, du haut de ses 195 centimètres, qui pénètre dans le hall froid et glacial de ladite agence, prend ensuite un ticket, patiente des heures et des heures afin qu’un conseiller ne le reçoive. Imagine un seul instant.
Et comme si ça ne suffisait pas, à cette période de sa vie, sa compagne attend un…heureux événement. La belle histoire ne dit pas si Ça qui l’a motivé, poussé, mais toujours est-il que le Sénégalais n’a littéralement rien lâché ! Tel un mort-de-faim, il a redoublé d’efforts, comme le relate parfaitement une vidéo signée Oh My Goal. Selon ce média, il serait retourné dans son Havre de paix, s’y serait entraîné deux fois par jour pendant une année soit à priori un total 730 séances.
PRÊT-À-PORTER UN NOUVEAU MAILLOT
Et au moment où celui qui « a pensé à arrêter le foot » s’apprête à signer dans une boutique de prêt-à-porter, il reçoit un appel d’un ami qui lui que l’Olympique de Marseille cherche un gardien. La nouvelle émeut sa mère.
« Oui, j’ai vu ma mère pleurer parce qu’elle était contente pour son fils. Elle savait qu’il avait une chance de se relancer, qu’il allait avoir un contrat, qu’il allait pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. » Cette famille, ce père de deux enfants, est finalement assez discret dessus.
À partir de là, de cette chance qui s’offre à lui, Édouard Mendy, après avoir fait étalage de ses qualités aux entraînements de l’Olympique de Marseille, en tant que 3ème gardien, signe son premier contrat professionnel d’une durée de deux ans à Reims toujours en tant que remplaçant. Mais les choses vont vite et bien pour lui.
MENDY OU L’ART DE PRENDRE LES RENNES DE SON DESTIN
1er août 2016, Amiens – Reims, au stade de la Licorne.
Le gardien titulaire rémois, Johann Carrasso, est expulsé au bout de cinq petites minutes de jeu ! Alors, Édouard Mendy, avec une crête dans l’ère du temps, remplace le milieu de terrain Grégory Berthier et débute ainsi à l’âge de 24 ans sa carrière professionnelle avec ce numéro 16 collé au dos ! Devenu titulaire par la suite, il est sacré champion de France de Ligue 2 et rejoint à l’été 2019 le Stade Rennais pour la modique somme de 7,6 millions d’euros selon Transfermarkt.
En terre bretonne, le Sénégalais « franchit tous les palets » et surtout multiplie les parades que ce soit dans les pieds d’attaquants adverses, sur la ligne ou sur pénalty.
Ces nombreux arrêts, son agilité, sa capacité à garder ses cages inviolées (9/24 matchs) n’échappent pas au sélectionneur sénégalais Aliou Cissé, qui un jour s’est déplacé pour le voir à sa plus grande surprise.
« C’est quelque choses que je n’imaginais même pas deux mois avant. Et donc je le vois et il a même pas besoin de parler, toujours Brut, parce qu’il venait prêcher à un convaincu. »
Contrairement à ces futurs internationaux, ces binationaux qui piochent à tort ou à raison dans un tiroir d’excuses pour décliner une sélection, Mendy ne l’a pas fait.
« […] Oui, c’est vrai que j’aurais pu jouer aussi pour la France. Mais c’est comme je l’ai toujours dit. Moi, depuis tout petit, c’est pour le Sénégal que mon cœur penche. […] »
Et régulièrement, l’international sénégalais, depuis une première sélection le 17 novembre 2018, et un match face à la Guinée Équatoriale, fait pencher la balance en faveur de son pays.
Comme lors de cette séance de tirs au but, désormais fameuse.
CHAMPION D’AFRIQUE, FRÈRE !
Lorsqu’il s’avance vers son futur destin tragique, l’Égyptien Mohamed Lasheen, auteur du pénalty manqué, n’ignore probablement rien de l’homme d’en face : Edouard Mendy, qui traîne des records à la pelle.
PAPA NA CLEAN SHEET
Premier africain à avoir obtenu le « prix de meilleur gardien » selon la FIFA , après poussé un coup de gueule contre le fait qu’il ait été représenté sous des couleurs autres que celles de son club ou de la liquette de l’équipe nationale, mais aussi « gardien le plus cher de la Ligue 1 », après son transfert de 30 millions d’euros bonus compris vers Chelsea, ou encore codétenteur avec Santiago Cañizares et Keylor Navas du nombre de clean sheets en Champions League (9 en 12 rencontres) et enfin unique gardien à avoir réalisé 12 clean sheets en 22 titularisations dans le championnat anglais, Opta Jean.
Tous ces titres collectifs et individuels qu’il a glanés, ces records qu’il a battus, Mohamed Lasheen les sait probablement quand il s’apprête à tirer. La peur est dans son camp et la sérénité se lit sur le visage noir, de celui que beaucoup de ses ex-coéquipiers rennais décrivent comme « un grand homme ».
Mendy plonge sur sa droite, stoppe le tir et se relève. Comme il l’a toujours fait dans sa vie. La suite, tu la connais : Sadio Mané transforme le dernier pénalty et le Sénégal ramène la coupe d’Afrique à la maison, pour la première fois de son histoire !
Et son gardien humble, qui aurait préféré que ce soit Gabaski qui décroche le trophée de « meilleur gardien de la CAN 2021 », repart avec deux nouveaux trophées.
Le best goalkeeper in the world, que « Personne à part N’golo Kanté ne connaissait dans le vestiaire de Chelsea !», s’est d’abord refait une santé mentale et physique puis ensuite un nom : Edouard aux mains d’argent.
À part DJ Kerozen, personne ne peut s’asseoir à la même table que lui et affirmer avec conviction : « Quand je pense à mon passé et tout ce que j’ai traversé, je me mets genoux à terre pour rendre gloire à Dieu ! ». Iyolélé oh ! Sa vie a changé !