Viol en Côte d’Ivoire : le buzz qui a fait déborder le verre à scandales.
« Comportement de waouh hein ! » emploie-t-on familièrement pour dénoncer une attitude déplacée, une conduite irrespectueuse, un geste inqualifiable en Côte d’Ivoire.
Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, où le mal parlage est le sport national le plus pratiqué avec le football, il y a à priori trois choses en abondance : de l’autodérision, de la bonne humeur et surtout du buzz.
Le dernier en date s’est déroulé ce lundi 30 août 2021 sur le plateau de la chaîne NCI, ou Nouvelle Chaîne de Côte d’Ivoire pendant l’émission Télé d’ici Vacances. Au cours de celle-ci, un violeur a été invité avant d’expliquer son modus operandi en mondovision. Retour sur cette affaire qui a certes connu une fin judiciaire mais qui restera dans les annales.
MAUVAISE HABITUDE DEVENUE COUTUME
Football, films, telenovela, etc. Ce seraient les programmes télé que de nombreux Ivoiriens regarderaient régulièrement. Surtout le troisième dont les histoires sans dessus dessous de la camarade de la nièce de la maman, Môkô !, attireraient hommes et femmes.
Et de temps en temps, leurs yeux se posent sur une émission phare diffusée sur l’une de ces nouvelles chaînes ivoiriennes en l’occurrence : NCI.
Présentée par l’animateur-vedette Yves de Mbella, la Télé d’Ici Vacances sert régulièrement affaire et séquences gênantes sur un plateau. La dernière victime ? Le rappeur Didi B.
Les chers bijoux du rappeur signés d’une haute maison de couture, en l’occurrence Givenchy, ont davantage été passés au crible que sa jeune et riche carrière. Celle-là même dont le succès reposerait sur de la sorcellerie, d’après les experts sur le plateau. Le père de l’artiste avait dénoncé ce comportement sur les réseaux sociaux.
Ajouté à cela la séquence hyper-gênante où Yves de Mbella pousse jusque dans ses derniers retranchements une reine de beauté, Miss Burkina Faso 2018, afin de connaître « la couleur de sa petite culotte ! »
Tel un rappeur qui aimerait que galère et plans foireux passent à la Trap, l’homme avait donc l’habitude de faire du sale. Bis repetita, ce 30 août donc.
VIOL EN CÔTE D’IVOIRE : AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA PAROLE
Diffusé à une heure de grande écoute, 19 heures, le talk-show de ce lundi donne la parole à M. Kader Traoré.
Un ex-violeur, qui depuis la diffusion de l’émission, a été déféré au parquet, condamné à 24 mois de prison ferme et 500.000 francs CFA d’amende pour « apologie du viol » et « atteinte à la pudeur ». Peu avant qu’elle ne tombe, il aurait affirmé ne pas être un violeur et n’être qu’un acteur…payé pour l’occasion. Affaire à suivre.
Invité par l’animateur, lui aussi condamné à 12 mois de prison avec sursis, 2 millions de francs CFA avec en plus une interdiction de quitter Abidjan, pour les mêmes raisons également, l’agresseur se dirige vers un mannequin mis sur le plateau pour l’occasion.
Dans une mise en scène macabre et surréaliste, il joint le geste à la parole.
…ET PUIS, VINRENT LES GESTES
« On fait semblant de saluer, et puis on se dépasse. Dès qu’on arrive, on attrape le cou… » Premiers mots d’horreur, et premiers ricanements qui s’échappent d’un public qui semble amorphe.
« Mais, ça peut l’exciter ? » demande M. Mbella.
« Oui, ça peut l’exciter. » confirme-t-il.
La suite n’est qu’une succession de propos crus et inadmissibles de la part de M. Kader Traoré. Le même pousse le vice jusqu’à donner des conseils sur l’heure à laquelle il faut sortir pour éviter le viol : « On peut pas violer dans la journée ! C’est un peu difficile. »
VAGUE D’INDIGNATIONS, SANCTIONS ET CONDAMNATIONS
Dès que l’émission se termine, la Toile ivoirienne s’empare de l’émission, la taille en pièces et tweete pour exprimer dégoût et ras-le-bol. Plus d’une vingtaine de milliers de tweets selon nos informations ! Morceaux choisis.
« Pas ma conception de la télé. » s’insurge très vite Pierre Akpro, l’un des présentateurs de la chaîne.
« Avez-vous pensé à toutes ces personnes qui ont été violées ? Celles qui ont dû avancer malgré tout mais gardent encore les séquelles ? » s’interroge notamment la sprinteuse ivoirienne Marie-Josée Ta Lou.
Ou encore : « Je suis outrée. Je suis peinée. Je n’ai pas de mots pour qualifier le sentiment qui m’anime. » commente, émue, pour Brut. Désirée Deneo, secrétaire générale de la Ligue ivoirienne des droits des femmes.
Cette organisation, qui enregistre en moyenne « deux cas de viol chaque jour », a organisé un sit-in devant la chaîne afin entre autres de réclamer « des sanctions sur cette chaîne [NDLR, NCI] ! ». À ce moment-là, la Haute Autorité de la Communication et de l’Audiovisuel, ou HACA, s’est déjà fendue d’un communiqué dans lequel une suspension de 30 jours est infligée à l’animateur. Sous les photos de certaines d’entre elles, certains internautes ont préféré commenter les tenues des manifestantes plutôt de que se concentrer sur le débat c’est-à-dire la banalisation du viol.
Pour rappel, le ministère aurait enregistré p481 cas de condamnation pour viol pour la période 2018-2019.
Mais si MM. Touré et de Mbella ont depuis été condamnés, l’animateur est-il vraiment l’unique et seul responsable ?
VIOL ET MISSION EN CÔTE D’IVOIRE
Parce que c’est une équipe qu’il faut pour monter puis diffuser une émission, M. de Mbella ne peut être tenu pour unique et seul responsable.
Parce qu’une équipe éditoriale, qui a pour mission d’informer le public, dans le cadre d’une émission télé, se construit parfois ainsi : un journaliste stagiaire qui traditionnellement exécute les tâches les plus ingrates (photocopie, courses du boss et bananes braisées, etc.), un journaliste expérimenté qui fait les recherches et/ou écrit le script, un rédacteur en chef qui valide en amont le sujet et est donc responsable du contenu avant que l’animateur ne lise son texte sur un prompteur, s’écartant de temps en temps du texte, M. de Mbella ne peut être tenu pour unique et seul responsable.
Pour information, le choix des sujets se fait le plus souvent – en début d’année – pendant la programmation éditoriale où les dates-clés dans l’année (Journée Internationale des droits de la femme, Pâques, fête des mères mais aussi Coupe du Monde ou Jeux Olympiques, rentrée scolaire, ou encore fêtes de fin d’année, etc.) sont identifiés puis surlignés au stabilo. Puis, ils sont le plus souvent débattus lors de conférences de rédaction animées par le rédacteur en chef pour vérifier l’état d’avancement.
Parce qu’une équipe technique, dans le cadre d’une émission télé, se construit parfois ainsi : un caméraman, un photographe, un preneur de son, M. de Mbella ne peut être tenu pour unique et seul responsable.
Parce que l’article 233, relatif au secteur de l’audiovisuel, dispose que : « Est puni d’une amende de 2 000 000 à 20 000 000 francs CFA, le dirigeant de la station de radio ou de télévision diffuse des émissions ostentatoires à la dignité humaine et contraires aux bonnes mœurs », M. de Mbella ne peut être tenu pour unique et seul responsable.
Au vu de tous ces éléments, tous les acteurs concernés ont failli à leur mission d’information.
Mais voilà, tu es dans un pays où le terme « crise post-électorale » est employé plutôt que « guerre civile »,
où certains versent dans l’autodérision plutôt que s’employer à trouver des moyens de guérison pour guérir de leurs traumatismes : « Garçon pleure pas ! »,
Où « on fait pipi contre le mur mais ça va pas quelque part ! »,
Où la tombe du créateur du coupé-déchaîné, feu Arafat, a été profanée.
Où chacun d’une manière ou d’une autre est responsable de ce qui se passe aujourd’hui, etc. Oui, oui.
Alors tu sais au fond de toi que sauf miracle exceptionnel, style le retour d’un ancien président sur le sol ivoirien, M. de Mbella sera tenu pour unique et seul responsable.
Mais ce samedi 4 septembre, lorsque tu verras quelqu’un d’autre à la place de l’animateur, qui a pour habitude de présenter le concours Miss Côte d’Ivoire, grand rendez-vous de la twittosphère, tu sauras que son absence est due à : « Comportement de waouh hein ! »