» Tant que Opah Koudou Laurent Gbagbo ne revient pas, je fais pas de sport ! », tu vas devoir l’abandonner très vite maintenant.
« Partagez le direct ! Partagez le direct ! » répètent en boucle certains activistes ivoiriens sur Internet au point d’être à leur tour mimés drôlement par des web-humoristes. Mais hier, ils étaient nombreux à « partager le direct, partager le direct », la faute ou plutôt à cause de Laurent Gbagbo.
L’ex-chef d’état de la Côte d’Ivoire, dont le mandat présidentiel a été interrompu par l’intervention de l’armée française, le 11 avril 2011, avant son transfert en catimini vers la Haye en novembre 2011 et enfin son acquittement le 31 mars dernier est désormais chez lui. Retour sur cette journée particulièrement chargée en émotions.
AU COMMENCEMENT ÉTAIENT LES MANIFESTANTS
À DOMICILE OU À L’EXTÉRIEUR
Plutôt que de demander systématiquement, après le 15 du mois : « Quand est-ce que le mois finit même ? », en implorant le ciel, beaucoup d’abidjanais se demandent : « Est-ce que ça vaut vraiment la peine d’aller travailler avec son retour-là ? »
Les plus chanceux, qui peuvent s’offrir le luxe de rester à domicile, sont notamment : les télétravailleurs. Ils jonglent entre bébé, qui veut toucher toutes les touches de l’ordinateur, et la réunion, où le tout le monde a le « okay ! ». Ainsi va la vie chez certains depuis que le COVID-19 a bouleversé les habitudes.
Les moins chanceux, eux, sont obligés de se rendre sur leur lieu de travail où dès les premières heures, ils suivent l’actualité du jour en direct et ces premières tensions matinales.
DES MANIFESTANTS ACCUEILLIS PAR DES GAZ LACRYMOGÈNES
Enivrés par l’irrépressible envie de le revoir, certains de ses sympathisants se dirigent vers l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, situé dans le sud d’Abidjan. Ces voitures personnelles et ces taxis, garés en file indienne pour la plupart, sont absentes du paysage lunaire. Derrière l’écran, la zone ressemble encore plus à un no man’s land, une ville fantôme, avec ces policiers qui font régner l’ordre. Les corps habillés – leur surnom en Côte d’Ivoire – les dispersent à coups de gaz lacrymogènes.
Et pendant ce temps-là, les premières images de Laurent Gbagbo, dans l’avion pour Abidjan, circulent énormément sur WhatsApp & Cie. C’est à qui aura l’information le premier, quitte à ce qu’elle est soit partiellement vérifiée et/ou vérifiable.
D’abord annoncé comme une rumeur, dans un pays qui en fabrique des centaines de milliers à la minute, avant d’être confirmée par l’intéressée elle-même, c’est le départ de la première dame Simone Ehivet Gbagbo qui « va chercher son mari à l’aéroport ». Sauf que l’ex-futur exilé a embarqué avec ses proches parmi lesquelles sa deuxième épouse : Nady Bamba.
LAURENT GBAGBO EST LÀ !
Le parfum d’excitation, qui flotte dans la ville depuis ce matin, chatouille encore les narines de nombreux abidjanais, ceux qui il y a quelques mois encore blaguaient sur le retour du septuagénaire aux cheveux grisonnants en disant notamment : « Il ne reviendra jamais ! »
Mais voilà, il était écrit que ce 17 juin 2021 serait marqué d’une pierre blanche. Il est un peu plus de 16 heures GMT quand Koudou Laurent Gbagbo arrive dans son pays natal, dix ans après. La ville s’arrête, des millions de coeurs battent à l’unisson, tandis que des souvenirs douloureux remontent à la surface. Que l’on soit pour ou contre lui, il faut se frotter les yeux, embués, pour le croire.
ZÉRO DEMANDE D’EXPLICATION
À l’aéroport, ces escaliers que tu descends d’ordinaire, valises en main, sont noirs de monde.
Ce sont notamment les membres du personnel eux-mêmes, qui smartphone en main, le mitraillent. Flashings Lights.
Parce que tout semble permis en ce jour , alors, il n’y a aucune chance que les curieux reçoivent une demande d’explication. Aucune.
LAURENT GBAGBO ET SIMONE
Plus que son refus apparent – pour des raisons de sécurité – de rejoindre le pavillon présidentiel pourtant mis à sa disposition par l’actuel chef de l’État : Alassane Dramane Ouattara, c’est la maladresse avec laquelle il aurait rejetée Simone Gbagbo, avec qui il est instance de divorce, qui est analysée/commentée/disséquée sur les réseaux sociaux, bouillonnant d’analystes du dimanche pour l’occasion.
Certains pensent qu’il a effectivement envoyé valsé, d’autres, encore, affirment plutôt qu’il s’agit d’une mauvaise interprétation.
Mais l’essentiel est ailleurs : Koudou Laurent Gbagbo est là !
CRIS DE JOIE & LARMES AU QUARTIER GÉNÉRAL
« Partagez le direct ! Partagez le direct ! » disent ceux et celles, à la recherche d’un lien pour suivre la remontée de son impressionnant cortège, et ces rues principales vidées de toute présence humaine ou presque. Dès que le live se termine, chacun s’en refile un autre où les klaxons qui l’accompagnent n’ont jamais été à la fois aussi proches et lointains.
À défaut de le toucher, beaucoup l’acclament ou pleurent encore.
À la nuit tombée, une fois dans son quartier général d’Attoban, quartier du nord d’Abidjan, bourré comme un jour de concert de feu DJ Arafat, lui-même en fera autant.
Une fois le masque pour se protéger tombé, le Woody de Mama pleure parce qu’il n’a pas pu dire « au revoir à sa mère », pleure parce qu’il n’a pas pu dire « merci » à son défunt ami de lutte Aboudramane Sangaré qui les avait organisées, ces funérailles-là. La salle surchauffée, où chacun tente de capter un bout d’histoire à coups de tablettes trop grandes pour l’occasion ou de téléphones trop petits pour TOUT filmer, l’acclame, l’encourage, etc.
Koudou Laurent Gbagbo, qui devrait selon nos informations recevoir une indemnité mensuelle de 17 millions de francs CFA, est là et bien.
Il fallait le voir pour le croire, il fallait : « « Partagez le direct ! Partagez le direct ! »