SAINT MATHIEU KOUAKOU, L’ENTREPRENEUR IVOIRIEN QUI VEUT RHABILLER LA MODE AVEC LA FRIPE

Pour cet entrepreneur ivoirien, la fripe c’est chic !

« J’en avais marre de me faire piquer mes affaires ! » démarre l’entrepreneur ivoirien Saint Mathieu Kouakou, qui s’est lancé dans le business de la fripe depuis maintenant deux ans avec Black Gentleman.

Difficile de dire si c’est parce que sa chérie les lui « emprunte » comme certaines ont parfois la fâcheuse habitude de le faire, avec un sourire pour désamorcer le futur incident diplomatique, qu’il ne jure que par la fripe sartoriale. Mais toujours est-il qu’à sa façon, le grand jeune homme noir fait partie de ces « Ivoiriens qui s’aiment s’habiller » selon la légende.

Cependant au pays des tee-shirts plus moulants que les leggins populaires, des polos de marques oubliées par les plus jeunes mais privilégiées par les « vieux pères » (Hackett, Polo Ralph Lauren, Tommy Hifiger, etc.) ou encore du bling-bling plus clinquant que le soleil du Plateau, qui frappe sans distinction sociale dans ce quartier d’affaires, l’ancien mannequin dénote.

Gros plan sur celui veut rhabiller la mode avec la fripe.

ARGENT, TRAVAILLEMENT, HABILLEMENT

SAINT MATHIEU KOUAKOU, L’ENTREPRENEUR IVOIRIEN QUI VEUT RHABILLER LA MODE AVEC LA FRIPE
Nul besoin d’être un prince charmant, pour trouver y trouver chaussure à son pied. ©️ Tous droits réservés

En cette fin d’après-midi où le rendez-vous est fixé, certains pensent encore pouvoir remporter au moins une des dix manches du « jour du Seigneur »…devant la télévision ou Netflix. D’autres, au sortir d’un repas familial trop copieux, avancent à reculons pour se jeter sur les routes abidjanaises.

SAINT MATHIEU KOUAKOU, L’ENTREPRENEUR IVOIRIEN QUI VEUT RHABILLER LA MODE AVEC LA FRIPE
Quand tu vois la sauce graine et la sauce gombo, au menu, tu riz déjà. ©️ Tous droits réservés

C’est l’une d’entre elles que nous empruntons : direction la Riviera Palmeraie, où tu peux te retrouver dans le centre du pays, et la capitale Yamoussokro, si tu rates malheureusement une des quinze mille voies qui constituent ce quartier d’Abidjan Nord, qui s’est trop vite agrandi.

SAINT MATHIEU LE SAUVEUR

« J’ai essayé de te joindre plusieurs fois mais ça passait pas. » dit doucement l’hôte du jour. Perdu dans les grosses entrailles 100 fins de la Palmeraie, avec un téléphone déchargé, il nous aura fallu plus d’une heure pour passer cette porte rouge, après Saint-Mathieu le sauveur.

Direction son showroom, situé au rez-de-chaussée de l’immeuble.

Béret vissé sur la tête, barbe noire, et gilet marron sans manches, avec les muscles qui portent les traces de quelques allers-retours à la salle de sport, au-dessus d’un pantalon de ville, le jeune homme à la vingtaine bien tassée maîtrise apparemment l’art de bien s’habiller.

« [De beaux habits pas chers, NDLR] je veux montrer qu’il est possible de s’en procurer au Black Market »

Le « Black » est à la Côte d’Ivoire ce que le marché aux puces de Clignancourt est à la France : une adresse qui fait peur malgré les bonnes affaires qui s’y trouvent !

Pour effrayer les garçons pubères en quête d’aventure, des mamans raconteraient les histoires les plus effrayantes imaginables, de vols à l’arraché et compagnie, pour décourager leur progéniture trop excitée par des hormones en ébullition. C’est probablement « rentré par ici avant de sortir par là-bas », pour celui qui y va « tous les samedis après-midis ».

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Au Black Market, les affaires sont bonnes. ©️ Tous droits réservés

MOUILLER LE MAILLOT POUR LE REAL ET LA JUVENTUS

C’est aux alentours de 16-17 ans que l’adolescent y va la première fois pour « chercher des maillots de foot du Real Madrid et de la Juventus Turin »

L’argent de fête, le « travaillement », que certaines mères gardent pour ne plus jamais le rendre, lui a servi pour faire ses premières emplettes.

« J’ai commencé par le marché de Belleville, d’une voix mi-douce, mi-forte, avant d’aller au Black »

S’il tient à aller là-bas, plutôt que dans les magasins, c’est parce que : « C’est moins cher. » Compte en moyenne 10 000 francs CFA pour une veste trouvée-là-bas, soit dix moins qu’une achetée en magasin.

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Le genre d’artilces que tu peux trouver au Black Market. ©️ Tous droits réservés

LE SALUT VIENT D’ADJAMÉ LIBERTÉ

Dans ce studio aux murs recouverts de peinture grise et de rêves par milliers, les vêtements qu’il a ramenés hier, après une longue après-midi de shopping, écoutent eux aussi leur propriétaire parler d’eux.

« Tu sais quand tu arrives mais tu ignores quand tu pars ! » reconnaît-il volontiers. Muni de sa liste de fournisseurs, le modeux les appelle pourtant la vieille pour qu’il « lui mette des choses de côté » Black gentleman privilege. Mais dénicher la bonne affaire prend du temps, beaucoup de temps. Pour ses trouvailles, le plus souvent des marques telles que H&M, Marks & Spencer, il dépense en moyenne entre 40 à 60 000 francs.

SAINT MATHIEU KOUAKOU, L’ENTREPRENEUR IVOIRIEN QUI VEUT RHABILLER LA MODE AVEC LA FRIPE
Pas besoin de se serrer la ceinture. ©️ Tous droits réservés

« Y a un jour où j’avais prévu de dépenser 20.000 francs seulement. Au final, j’ai dépensé 50.000 francs », pour bien montrer qu’il marche aux coups de cœur.

UN ENTREPRENEUR IVOIRIEN ADEPTE DU MAFUZZY STYLE

Celui, dont 80% de la garde-robe provient du Black (autant dire un exploit !), sourit un peu/de temps en temps/timidement. À croire que les années, qu’il a passées à défiler pendant des défilés de mode, ne l’ont pas aidées à vaincre cette timidité qui parfume assurément la pièce.

Parti, au Black, avec la mission de « trouver son propre style », le garçon de vingt-huit ans, qui a remporté le Top Model des Awards du mannequinat africain en 2015, s’habille aujourd’hui « souvent en costumes », « classe ! » Mafuzzi style.

DES HABITS QUI ONT FAIT FRIPÉ UN ANIMATEUR TÉLÉ

À défaut d’avoir encore pu « aller au Nigeria ou Togo », le chineur s’est récemment rendu au Maroc.

Les quelques ceintures qu’il a ramenées en témoignent. Elles sont beaucoup trop simples et sobres pour plaire à n’importe quel premier boucantier[1], aux slims qui plaquent plus souvent qu’une Bae impulsive.

Ce style coupé-décalé, ostentatoire, il l’apprécie peu et préfère plutôt le minimalisme d’un Marché Noir et de son propriétaire Amah Ayivi qu’il a raté « deux fois au Bushman[2]. »

CONSEILS VESTIMENTAIRES ET TOKLO TOKLO

La tête sur les épaules, le dénicheur de fringues chics ramène le plus souvent des vestes donc mais aussi des bretelles, des chemises, mais aussi des gilets, etc.

Féru de mode, il donne aussi des conseils vestimentaires et fournit un service de retouches. Dans cet endroit où il voulait « que le Black Market soit plus proche de ses clients », il continue à raconter son histoire.

SAINT MATHIEU KOUAKOU, L’ENTREPRENEUR IVOIRIEN QUI VEUT RHABILLER LA MODE AVEC LA FRIPE
Quand on t’envoie, faut s’avoir t’envoyer. ©️ Tous droits réservés

Le verre d’alcool qui s’est servi lui permet d’étancher sa soif et lui délie un peu la langue d’abord : l’histoire de ces toklo toklo, couturiers ambulants qui proposent leur service à la criée, qui font les retouches ici et ensuite, another story de ce journaliste dont l’attitude a changé lorsqu’il a su la provenance des vêtements qu’il avait pourtant déjà portés.

« Il a refusé de mentionner [la provenance, NDLR] sur ses réseaux parce que les vêtements venaient du Black. », sans une once d’animosité.

Désireux de « faire ressortir [le beau, NDLR] ce qu’on appelle poubelle », Saint Mathieu s’amuse de ces potes qui se trompent sur le montant de ses tenues qu’il porte : « [Parce que c’était beau, NDLR] Il pensait que c’était cher alors que c’était 20 000 francs CFA. » Ou encore des nombreux concurrents sur le marché de la fripe en Côte d’Ivoire : « Chacun respecte son couloir. », après les avoir cités un à un en bon chef d’entreprise qui a fait sa veille concurrentielle. Lui, avec sa petite entreprise, il veut montrer que : « C’est possible d’être classe en s’habillant au Black ! »

Rendez-vous dans quelques années pour vérifier s’il aura réussi son pari, celui de rhabiller la mode avec la fripe. D’ici là, il y aura très certainement deux choses qui n’auront pas changé : tu pourras toujours te retrouver dans le centre du pays, et la capitale Yamoussokro, si tu rates malheureusement une des quinze mille voies qui constituent la Palmeraie, et tu entendras toujours quelqu’un se plaindre, peut-être sa go : « J’en avais marre de me faire piquer mes affaires ! »

[1] Dans le coupé-décalé, c’est la personne qui fait le boucan, le malin sauvagement.

[2] Un restaurant café-hôtel, abidjanais, qui organise régulièrement des ventes privées et/ou évènements culturels.

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