D’origine camerounaise, Jean-Baptiste ESSISSIMA est le fondateur d’Afritubes, une plateforme de distribution vidéos dont l’objectif est de promouvoir des contenus afro tout en permettant à leurs créateurs de gagner de l’argent.
Afritubes : la plateforme de distribution vidéo 100% Afro
Propos recueillis par Pascal Archimède
Bonjour Jean-Baptiste, parle-nous de ton parcours.
Bonjour Pascal, je suis Jean-Baptiste Essissima. D’origine camerounaise, je vis à Ottawa, au Canada. J’ai suivi un cursus scolaire « normal » comme tout Africain qui a étudié dans le système éducatif francophone en Afrique. J’ai eu mon Bac A en 1998 et me suis inscrit en filière Droit à l’université. Ma passion pour l’informatique prend naissance cette année-là aussi, avec l’explosion des cybercafés au Cameroun. Après les cours à l’université, j’aidais un ami, propriétaire d’un cybercafé en ville. A l’époque, avoir accès à Internet coûtait extrêmement cher. Mais le fait de bosser dans ce cybercafé m’a permis d’avoir accès facilement à certaines ressources dans le développement web. Je suis devenu un féru de tout ce qui tournait autour d’ Internet et du développement web. Je suis alors recommandé auprès du Directeur technique d’une ISP (Internet Service Provider) qui s’installait au Cameroun en 1999. A cette époque, c’était rare de trouver des techniciens qui maîtrisaient vraiment Internet. J’ai donc été recruté dans cette entreprise en tant que Responsable de Formation Internet. Entre 1999 et 2001, j’ai formé de nombreux fonctionnaires de l’administration camerounaise ainsi que d’autres profils.
En 2002, je suis recruté comme administrateur du site web du quotidien national ‘’Cameroon-tribune’’ qui est le média gouvernemental. J’y ai travaillé de 2002 à 2012. Durant toutes ces années, je n’ai pas arrêté de me former, de passer des certifications dans le domaine du développement web et des applications mobiles.
En 2012, je pose mes valises au Canada. En 2015, je commence mon aventure dans l’entrepreneuriat web. Je réfléchis sérieusement à la création d’une entreprise technologique : c’est ainsi que je lance la première web TV « Africa Ahead TV » en diffusion linéaire 24/24, 7/7 sur le web. Malheureusement l’aventure ne durera pas, faute d’annonceurs.
En 2020, je démissionne pour m’installer à mon compte et je crée Appzchitect Ltd; une entreprise qui propose des services tels que la gestion des projets I.T, la conception de sites web et d’ applications mobiles ainsi que du consulting. La même année, je commence le développement de la plateforme d’éducation et de révision en ligne www.schoolmobile.net destinée aux élèves de la 3e à la Terminale du système éducatif des pays francophones d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Par la suite, je mets en ligne le réseau social africain www.netiwooki.com, ainsi que la plateforme de financement participatif afro www.harambii.com. La dernière plateforme que j’ai créée est www.afritubes.com, une plateforme d’hébergement vidéos et réseau social qui permet aux utilisateurs de publier, commenter et partager des contenus vidéos. En gros, l’équivalent de Youtube, que les Africains connaissent beaucoup plus.
En juillet 2020, tu crées donc la plateforme de distribution vidéos « Afritubes.com ». Pourquoi? Que propose cette plateforme ?
Je crée Afritubes pour permettre aux Afros d’avoir une plateforme de distribution exclusivement réservée aux contenus afros. Une plateforme plus proche de leurs réalités. De nombreux « éveilleurs de conscience » afros se plaignaient déjà de la censure de Youtube, lorsqu’ils abordaient certains sujets. Je me suis dit : « mais pourquoi ne pas avoir une plateforme qui nous appartienne afin de parler des sujets qui nous concernent. Cela nous permettrait de valoriser les contenus afros sur une seule plateforme, plutôt que d’aller squatter des plateformes comme Youtube et pleurnicher chaque fois qu’on se fait taper sur les doigts? ».
Pour le moment, Afritubes propose 90% des fonctionnalités qu’on retrouve sur une plateforme de distribution digitale à savoir : donner la possibilité aux utilisateurs de publier, commenter, partager, liker leurs contenus vidéos ainsi que monétiser le contenu.
Nous avons aussi mis en place un programme de récompense pour tous les utilisateurs. Tu connais une plateforme qui récompense ses utilisateurs par rapport à leurs activités? Sur Afritubes, nous le faisons.
Une version Premium est en cours pour les producteurs de films qui recherchent une plateforme professionnelle de distribution des œuvres cinématographiques et documentaires.
Du coup, pourquoi serait-il plus intéressant pour un créateur de contenu d’utiliser ta plateforme plutôt qu’une autre telle que Youtube ?
Youtube est une plateforme leader dans le domaine, mais elle n’est pas l’unique plateforme de distribution vidéo. Elle est la plateforme la plus connue par les Africains, parce que ces 7 dernières années, on a vu l’explosion de nombreux artistes africains qui n’avaient pas d’autres solutions pour se faire connaître. Ces artistes se sont répandus dans Youtube sans en maîtriser les enjeux. Ils n’avaient qu’une seule chose en tête : publier leurs vidéogrammes et comptabiliser les vues et les likes. Nombreux se sont faits connaître à travers cette plateforme, mais beaucoup tirent le diable par la queue parce qu’ils n’ont rien reçu de concret de Youtube. Il s’agit là d’un modèle économique qui ne permet pas à l’artiste africain de vivre de ses productions. Une fois que vous mettez un contenu gratuitement sur Youtube, les utilisateurs ne sont plus contraints de payer l’œuvre. Le grand perdant, c’est l’artiste! Ça ne sert à rien d’avoir 1 million de vues et d’avoir un compte bancaire vide. Une œuvre musicale reste un produit commercial qui doit se vendre. Est-ce que le modèle Youtube permet à l’artiste africain de vivre de sa musique? La réponse est non! Si un artiste doit faire 1000 vues pour gagner 1$, combien de siècles de travail doit-il effectuer pour gagner une somme consistante. On peut comprendre que les youtubeurs soient heureux de recevoir 250 à 350$ de temps en temps, mais pour l’artiste, le retour sur investissement est nul.
C’est pour cela que nous invitons les créateurs de contenu à valeur ajoutée comme les artistes, les producteurs, les cinéastes, les formateurs, les médias …. à nous rejoindre sur Afritubes où ils sont libres de publier gratuitement leurs contenus ou de fixer un droit d’accès. C’est ce qu’on appelle la ‘’monétisation directe’’. L’utilisateur qui est conscient de la qualité du travail d’un créateur de contenu se doit de contribuer en payant une modique somme fixée par le créateur de ce contenu. Je te donne un exemple : Prenons le cas d’un créateur de contenu qui réussit à convertir 15% de 1 million de personnes qui regardent gratuitement son contenu sur Youtube. Quand ces derniers acceptent de payer 1$ pour regarder EXCLUSIVEMENT ce contenu sur Afritubes, le créateur de contenu gagne alors 150.000$ brut. Convertis dans une devise locale africaine, il s’agit là d’une grosse fortune que Youtube ne paiera jamais à un créateur africain.
Le modèle économique d’Afritubes consiste à permettre aux créateurs africains de contenu à valeur ajoutée de capitaliser leur audience en les convertissant en consommateurs et non en followers passifs adeptes du gratuit. La gratuité ne fait pas vivre un créateur de contenu.
Pour sa version Premium, les producteurs de films pourront diffuser leurs films, comme sur Netflix en monétisant directement leurs productions. Les projections en avant-première seront possibles pour les sorties officielles des films.
Ta plateforme est réservée exclusivement aux créateurs de contenu afros et afro-descendants. Est-ce que cela ne risque pas de réduire le champs des possibilités de ta plateforme? Ne crains tu pas également d’être taxé de communautariste ?
Je ne sais pas de quelles possibilités tu fais allusion. Lorsqu’un entrepreneur lance un produit, il a une cible bien définie. Si cette cible comble ses objectifs financiers, il n’a pas besoin d’aller prospecter sur la lune!
L’Afrique en 2020, c’était 102% d’utilisateurs des réseaux sociaux, alors que l’Amérique du Nord (Canada-USA), c’était 46%, et on prévoit 100.000 millions de nouveaux connectés en Afrique d’ici 2025, selon les études Hootsuit 2020. Est-ce que ces chiffres ne font pas de l’Afrique un gros marché à conquérir par les Africains eux-mêmes en créant des entreprises technologiques à fort potentiel plus proches des réalités des Africains? Ou alors, on doit attendre que les Bigtech occidentales et asiatiques viennent conquérir ce marché avec leurs applications mobiles qu’on est prompts à adopter facilement et à utiliser avec fierté?
Ces BigTech ne créent aucune valeur ajoutée dans nos pays africains. Elles ne participent pas aux PIB de nos États, ne recrutent pas la masse des jeunes Africains en Informatique, ne contribuent pas au transfert des technologies dans nos pays, et surtout pompent les données des utilisateurs africains vers leurs serveurs en Occident ou en Asie.
Nous avons des compétences et un gros marché pour créer des entreprises technologiques à fort potentiel pour conquérir le marché africain. Pour moi, je ne vois aucune réduction des possibilités, mais une forte opportunité pour s’implanter et devenir le premier dans cette niche.
Aussi, pourquoi une plateforme qui veut mettre en valeur des contenus propres à une communauté serait taxée de communautariste?
www.bilibili.com, est la plateforme de partage vidéo asiatique et également un gros concurrent de Youtube en Asie. Je ne pense pas que les fondateurs se soient préoccupés des états d’âme des occidentaux ou des Africains pour créer cette plateforme.
L’Africain doit enlever ces chaînes mentales qui l’empêchent d’avoir une volonté de puissance. Au lieu de se préoccuper de ce qui est bien pour sa communauté et qui peut tirer sa communauté vers le haut, il veut d’abord plaire au monde entier. Il veut d’abord aller chercher la validation chez les autres. Même si on doit aller à la conquête du monde, on doit avoir une communauté forte qui nous soutient. Ce qui n’est pas toujours le cas! L’occidental qui veut apprendre la culture et les valeurs africaines est le bienvenu chez Afritubes. Mais il n’est pas question de publier des contenus qui ne concernent pas l’Afrique et les Africains.
Tu as ouvert le capital de ta société. Pourquoi? Quelle est la démarche pour se procurer des parts ?
Nous sommes à la recherche de 600.000 euros pour permettre à la plateforme de monter en puissance et d’aller à la conquête de notre cible : les Africains et les Afro descendants. Nous avons lancé une levée de fond. L’action est à 100 euros. Pour de plus amples renseignements, ceux qui sont intéressés peuvent aller sur le site www.afritubesinvest.com
Comment imagines-tu Afritubes.com dans 5 ans ?
Dans les 5 prochaines années, j’imagine Afritubes comme la plateforme d’hébergement et de distribution digitale leader de contenus africains, avec au moins 50 millions d’utilisateurs.