Par Ghyslain VEDEUX président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires).
10 mai 2019 : Commémorer c’est bien, agir concrètement c’est mieux
Le 10 mai 2019, sera le 171ème anniversaire de la commémoration de l’abolition de l’esclavage depuis 1848. Comme chaque année, les traditionnelles cérémonies vont avoir lieu. Au-delà des symboles, quelles réelles avancées sur la situation des noirs vivants en France. ? Dans ce contexte, quel sens donner aux commémorations de l’abolition de l’esclavage qui se succèdent année après année ?
1/ Situation des noirs et afro-descendants en France
Le CRAN a fait la première étude en 2007, sur l’afrophobie*, le racisme et les discriminations qui touchent les populations noires en France. Cette étude, une première en France, a permis de donner une estimation du poids des populations noires âgées de plus de 18 ans. D’évaluer l’expérience de l’afrophobie subit, les lieux où il se produit et comment elle se manifeste. De plus, l’étude indique les recours possibles et comment sont informés les concernés sur l’usage de leurs droits. Aussi, le CRAN informe sur comment les personnes noires perçoivent l’évolution de ses discriminations, la confiance aux différentes institutions pour lutter et faire cesser ces discriminations et ce racisme spécifique qu’est l’afrophobie. Enfin, les éléments comparés avec l’ensemble de la population.
Voir document joint: https://www.tns-sofres.com/sites/default/files/310107_cran.pdf
Dans un second temps, l’étude a également permis sous la pression du CRAN de permettre la mise en place d’un observatoire de la diversité par le CSA. Ceci a mis en évidence le manque de représentation des noirs dans l’espace public et médiatique. Des années après 2007, le constat est très concret : si entre entre 2005 et 2007 il y avait un peu plus de 4% des personnes issues de la diversité dans les médias, entre 2015 et 2017, on en comptait un peu plus de 15%. Ce qui représente une avancée considérable.
A la même époque, le CRAN initiait le débat sur les statistiques ethniques en France, et si critiqué au départ, tous louent et imitent aujourd’hui le méthodologie utilisée par le CRAN comme le mentionnait un article du Monde après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.
En effet comme le rappel cet article, il est tout à fait possible de faire des statistiques ethniques en France: « Les enquêtes entièrement anonymes dès la phase de collecte ne sont pas soumises à la loi Informatique et Libertés » rappelle cependant le guide. C’est cette distinction qui a permis au CRAN d’ouvrir son site Statistiques populaires (http://statistiquespopulaires.fr/) », invitant chacun à participer à ses propres études sur la représentation de la diversité et de toutes autres formes de discriminations selon le besoin. Une avancée qui permet au CRAN et à d’autres d’agir concrètement sur ces questions et plus efficacement de nos jours.
2/Situation des noirs et afro-descendants en Europe
Sur ce modèle, de nombreux organismes Européens dont ENAR https://www.enar-eu.org/, la plus grande organisation qui lutte contre toutes les formes de racisme et de discriminations en Europe, s’est aussi appuyée sur le rapport de 2007 du CRAN. Depuis 2014, un énorme travail et un ensemble de recherches spécifiques sur le racisme anti-noir est fait par cet organisme.
C’est en s’appuyant sur ce travail d’ENAR et donc aussi du CRAN que la FRA (Fundamental Right Agency) a produit un rapport crucial présenté en partie par le président du CRAN Ghyslain Vedeux au parlement Européen le 28 novembre 2018. Il concerne l’afrophobie des noirs et afrodescendants qui vivent en Europe.
Lien pour le résumé du rapport de la FRA
https://fra.europa.eu/fr/press-release/2018/dans-lue-etre-noir-signifie-souvent-faire-face-au-racisme-et-la-precarite-en
lien direct vers ce rapport ://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2018-being-black-in-the-eu_en.pdf
3/ Résolution du parlement Européen de Strasbourg du 26 mars 2019
PLUS DE 50% des eurodéputés FRANÇAIS VOTRE CONTRE, quel constat et impact en France ??
Bien que cette résolution du 26 mars 2019 à Strasbourg pour les droits des afro-descendants vivants en Europe a été adoptée à une large majorité, au premier regard, cela est positif pour l’ensemble de l’Europe. Mais dès lors qu’on se penche sur le cas de la France avec une rapide étude statistique, la situation est criante: sur 80 députés Européens qui ont voté contre les droits des afro-descendants, 47% d’entre eux sont des euros-députés Français. Ce qui signifie que statistiquement, la France est le pays le plus afrophobe (racisme et discriminations contre les noirs) d’Europe avec plus de 50% de ces Eurodéputés ayant voté contre.
En se référant à l’analyse statistique : 535 voix, 80 contre, 44 abstentions; 39 sur 80 votants contre, étaient des Eurodéputés Français. Sur 74 Eurodéputés Français, 39 ont voté contre, cela fait donc 52,7% qui ont voté contre cette résolution en faveur des droits des noirs et afro-descendants d’Europe et donc de France (calcul: 39 x100:74=52,70%). A l’échelle nationale et internationale, c’est un constat alarmant.
Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi aucune réelle politique n’est mise en place depuis de nombreuses années en France pour lutter spécifiquement aussi contre le racisme anti-noir.
4/Analyse
Très globalement, en France, hormis le CRAN qui a fait la première étude en 2007 sur les discriminations qui touchent les noirs et hormis des études spécifiques comme celle par exemple de l’enseignant chercheur Pape Ndiaye (La condition noire, 2009) et quelques rares autres, aucune institution gouvernementale ne se préoccupe spécifiquement de l’afrophobie, soit, des discriminations et du racisme qui touchent les personnes noires.
S’il existe un observatoire pour la lutte contre l’islamophobie et un observatoire pour la lutte contre l’antisémitisme, sur lesquels s’appuie le ministère de l’Intérieur pour publier tous les ans un rapport qui fait un état des lieux concernant la recrudescence ou la baisse des différentes formes de racisme en France, ce même ministère de l’Intérieur ne publie rien concernant l’afrophobie (racisme et discrimination contre les personne noires).
Autre exemple, depuis 1990, la CNCDH publie également tous les ans un rapport sur l’état des lieux du racisme en France. Et alors que cette institution est interpellée depuis de nombreuses années par le CRAN quant au manque de données concernant la forme de racisme qui touche les personnes d’ascendance africaine, pour la première fois, bien qu’incomplet, les premières notions concernant l’afrophobie apparaissent dans son rapport 2018, publié le 23 avril 2019.
C’est dans ces conditions que le CRAN, le 21 mars 2019, à l’occasion de la journée internationale des luttes contre les discriminations et le racisme, annonçait la mise en place prochaine d’un observatoire du racisme antinoir/afrophobie.
Car comme l’a démontré clairement le vote des eurodéputés français où 52,70% ont voté contre l’avancée des droits des noirs et afro-descendants vivants en Europe, mais aussi comme le démontre pour l’instant la non prise en compte de cette problématique par les institutions gouvernementales françaises, il est urgent que les principaux concernés fassent leurs propres travaux et recherches comme l’a initié le CRAN dès 2007.
En France, ce qu’on ne nomme pas n’existerait pas. Et si les institutions gouvernementales s’obstinent à ne pas nommer ce racisme spécifique qu’est l’afrophobie, tous les autres pays européens le font. Il est urgent que dans les institutions françaises, soient nommés et traités et ceci donc de façon institutionnel le racisme antinoir, nommé negrophobie par certains, mais qui fait résonance sur le plan international et ce depuis la conférence de Durban de 2001, en étant nommé afrophobie.
La résolution votée le 26 mars dernier à Strasbourg, si elle ne peut forcer les Etats membres de l’union Européenne à exécuter des actions concrètes, les somme désormais à rendre des comptes sur les actions mises en place. Les enjeux sont nombreux, comme l’ont démontrés les différentes campagnes du CRAN, sur la représentation de la diversité dans l’espace public, sur les violences policières, les réparations, la lutte contre le racisme ordinaire (blackfaces, pâtisseries, et autres caricatures afrophobes et racistes…etc), sur les discriminations dans le domaine de la santé, les discriminations à l’accès à l’accès au logement , l’accès à la formation et l’emploi etc..
Rendez-vous donc en 2020 pour avoir le premier compte rendu prenant en compte le traitement et la lutte contre l’afrophobie en France où il devient plus qu’évident qu’il nous faut désormais une loi spécifique pour lutter contre cette forme de racisme spécifique.